Histoires de Paris

A chaque coin de rue de Paris, des histoires… souvent revues, réadaptées mais fascinantes

Histoires de parc

Le Clos Montmartre

Le Clos Montmartre : une vigne encore active et donnant l’occasion de faire la fête chaque année sur la butte

 

Du vieux Montmartre, on garde bien sûr le souvenir des cabarets guinguettes. Installés à l’origine au pied des anciens moulins, on venait y déguster du fromage de chèvre et du vin blanc produit à proximité. En effet, on l’exploitait largement la butte déjà au XVIIIe siècle. En profondeur pour y extraire du gypse à plâtre. En hauteur, en y faisant pousser de la vigne.

Seulement voilà, avec l’urbanisation de la butte, la vigne reculait fortement. On la disait atteinte de la maladie de la brique. Ainsi, elle avait pratiquement disparu au milieu du XIXe siècle. Le dernier clos de vigne fut arraché au tournant du XXe siècle.

Mais au début des années 1930, à l’initiative de la Ville de Paris, on voulut replanter sur la butte quelques ceps de vigne. Ainsi naquit le Clos Montmartre dont nous racontons l’histoire ici.

 

Le souvenir d’une tradition plus ancienne

Retour en arrière ! Bien en arrière ! Sur les pentes de Montmartre, comme sur les collines du pays parisien, la vigne se développa au Moyen Age. Son produit fut même réputé, dans le coin de la Goutte d’or au Moyen Age. Le vin de Suresnes était aussi réputé, si on en croit les anciens récits.

Imaginez-vous à la place du square Louise Michel, le grand jardin en terrasses juste devant le Sacré Cœur actuel que vous vous promenez non pas dans des allées bien dressées, mais entre les vignes. En effet, comme on peut s’en douter, le climat parisien restait bien septentrional pour garantir la maturité chaque année des raisins, alors autant le faire plein sud.

Le produit de la vigne faisait aussi le bonheur des religieuses de la butte, en leur apportant des revenus. Puis, lorsque les guinguettes de Montmartre devinrent à la mode, on appréciait y boire ce vin, certes un peu âpre produit à proximité.

Mais voici, comme nous le disions en ouverture, que la place dédiée au raisin baissait. Bien sûr, on continuait à vouloir en profiter, mais on trouvait que construire des nouvelles maisons pour répondre à ce Paris décidément bien gourmand en espace, était préférable.

 

L’initiative du conservateur en chef des promenades de Paris

Au tout début des années 1930, un certain M. Demorlaine est conservateur en chef des promenades de Paris. Ce lointain successeur d’Alphand à qui nous devons nombre de parcs parisiens, avait un beau pédigré pour la fonction. Inspecteur général des Eaux et Forêt, professeur de l’Institut National Agronomique… montmartrois de surcroît. Le voilà, tout désigné pour s’intéresser à la vigne. Ce d’autant qu’il revendiquait le souvenir d’avoir vu un clos encore planté de vigne dans sa jeunesse.

Il se trouve que la ville de Paris avait un terrain de 2 000 mètres carrés, au-dessus du cimetière de Montmartre, à l’angle de la rue des Saules et Saint Vincent. La pente y était particulièrement marquée, aussi impossible de construire dessus.

Aussi, notre conservateur en chef se rendit devant le préfet de la Seine, fort du soutien des édiles locales, porter son projet. L’accueil fut favorable !

Il put alors lancer les travaux, impliquant tout d’abord de mettre en terrasse la parcelle. En effet, la pente pouvait excéder 15% par endroit.

 

Quels cépages retenir ?

Comment faire revivre le vignoble de Montmartre ? Plusieurs questions se posaient.

Tout d’abord, ce terrain présentait un coteau, orienté vers le nord. Or, nous avons évoqué juste précédemment que la vigne préférait, sous la latitude de Paris, une orientation davantage chaude. Aussi, il fallut se poser un peu pour trouver quel cépage choisir, afin de garantir un raisin mûr et récoltable régulièrement.

Avec son sol froid et sableux, reposant sur un sous-sol argilocalcaire, le terrain pouvait toutefois espérer recevoir suffisamment de lumière de onze heures du matin au coucher du soleil. En effet, les immeubles des alentours ne pouvaient excéder une certaine taille, du fait de la configuration des lieux. En outre, en pratiquant une modalité de culture spécifique, on pouvait limiter le risque de gel, si dangereux pour la promesse de récolte.

 

Contrainte supplémentaire, on souhaitait que les cépages retenus laissent également du temps pour rentrer des vacances en été. Début octobre pour les vendanges serait idéal. Cela impliqua d’éliminer le Morillon, cépage historique de Montmartre car il est trop rapide.

On voulait aussi retenir deux cépages : un noir et un blanc. Aussi, on se décida à retenir des raisins Vinifera, de Fontainebleau, choisi pour fournir des grands de grandes tailles, dans des grappes puissantes. On pouvait les vinifier, mais aussi les consommer en raisin de table. Pour le porte greffe, car il fallait bien se protéger du Phylloxéra, on retint un croisement de Bourrisquou et de Rupestri.

 

La fête de la plantation

Comme le retour de la Vigne était une fête, son installation dans son nouveau domaine fut dûment relayé dans les médias parisiens. Il y avait donc foule en cette moitié d’avril 1932, avec une ambiance de retour à la terre… enfin c’est ce qu’écrivait, emballé, Comœdia.

 

Rien n’était trop beau pour ce retour. On avait convié la presse, les « actualités cinématographiques ». On raconte même qu’on aperçut des montmartrois encore en chemise de nuit, se remettant probablement d’une belle soirée, comme la butte savait en réserver à ses habitués. Tous étaient venus voir se produire Adrien Baratin, jardinier en chef du Palais de Fontainebleau. Ce dernier était venu avec des produits de la « treille du roi », offrant ces vignes à Montmartre.

« Entre le lierre, la tonnelle et le lilas, on remua la terre. Le moment était solennel ; les discours de circonstance, la musique et les muses de la Commune libre furent enregistrés par les objectifs et les micros. La postérité les recueillera… »

Alors rapidement, on ne trouva rien mieux à faire que de profiter de l’occasion pour déboucher quelques bouteilles. Il était bien sûr trop tôt pour qu’elles proviennent du clos Montmartre, mais on avait alors la promesse de connaître des vendanges l’année suivante.

Ce fut ainsi l’occasion de célébrer la nouvelle vigne, comme on l’entendit au cours d’un discours qui nous a été ensuite rapporté :  

« Nous avons le vin de Bordeaux, d’Anjou et de Bourgogne – j’en oublie – et nous allons avoir du Montmartre, comme au bon temps de Villon !… Un vin qui portera naturellement à la tête avec gaieté et esprit car notre gaieté, à Montmartre, réside en nous-mêmes et avec le vin naturel bien davantage que dans les cocktails, whisky et gin du pays sec de Montparnasse… »

Ce retour de la vigne était aussi accompagné par la perspective possible de plantation d’arbres fruitiers à proximité.

 

La production et la fête des vendanges

Comme nous l’indiquons, la parcelle restait de petite taille. Aussi, les volumes ne permettaient d’espérer une production inondant les marchés internationaux… Mais ce n’était pas l’objectif. La Revue de Viticulture nous donne quelques éléments de production en 1947 :

« La vigne de Montmartre produit deux à trois hectolitres de vin et environ 600 kilogrammes de raisin de table. Le vin et ces raisons sont venus au moment des vendanges, au cours d’une fête à laquelle prêt un concours de nombreux artistes parisiens. Le produit de la vente alimente les œuvres de la Mairie du 18e arrondissement. »

Ainsi, les vendanges du Clos Montmartre sont chaque année l’occasion de belles fêtes. Se déroulant tout début octobre, elles animent le quartier.

 

Sources bibliographiques :

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