Histoires de Paris

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Histoires de Seine

Le dynamitage des glaçons de la Seine gelée

Le dynamitage des glaçons de la Seine gelée : un moyen très explosif utilisé pour limiter la débâcle de 1880.

 

Après s’être trouvé prise en glace, une bonne partie du mois de décembre 1879, la Seine commence à présenter des signes annonçant la débâcle autour des fêtes de fin d’année. Même si l’épaisseur de glace reste épaisse, permettant à certains de s’y inviter pour le réveillon, la température commence à s’adoucir.

Il devient primordial de se préparer à la débâcle. En effet, la Seine va se remettre en mouvement. Des courants forts vont se reformer, entraînant avec eux des déplacements de morceaux de glace, ainsi que des débris. Ils iront se fracasser en passant près des bateaux, menaçant également les ponts, notamment les ponts les plus fragiles.

Aussi, on décide alors de reprendre une initiative utilisée dans l’Est, près du Rhin : faire exploser à l’aide de dynamite les plus gros glaçons.

 

La démarche de dynamitage

Cette approche peut sembler relever de l’apprenti sorcier dans sa présentation initiale. L’idée était de déclencher en avance de phase la débâcle et générer des morceaux de glace beaucoup plus petits. Certes, ils seront plus nombreux, mais ils s’écoulent plus facilement sur le parcours, évitant de mettre à défaut les goulots d’étranglement que sont les ponts, ainsi que les courbures de la Seine.

Le Petit Journal du 1er janvier 1880 décrit pour nous la démarche retenue alors, pour générer cette « débâcle artificielle » :

« C’est aux abords du pont de la Concorde que nous avons assisté aux expériences. Une équipe d’ouvriers, armés de haches, pratique d’abord dans la glace une entaille de manière à détacher un glaçon de grande dimension qui s’en va à, la dérive, emporté par le courant de l’eau.

Quatre personnes, montées sur une barque, suivent ce glaçon jusqu’à une distance d’environ deux cents mètres en aval du pont. Au cours de ce voyage, trois des personnes qui étaient d’abord montées sur la barque se sont bravement installées sur le glaçon. Un ouvrier pratique un trou dans la glace, un second ouvrier introduit dans ce trou une sorte d’étui renfermant la matière explosible, tandis qu’un troisième tient une torche à la main, et met le feu à une mèche de traînée. Cette triple opération n’a pas duré plus de trois minutes. Les ouvriers ont déjà repris leurs places dans leur barque qui prend le large à toutes rames. Ceux-ci sont à une distance de huit à dix mètres à peine lorsqu’il se produit une explosion qui brise le glaçon en mille morceaux en soulevant une nappe d’eau.

Et l’on recommence de même l’opération sur un autre glaçon. »

 

Une approche utilisée rapidement autour de la passerelle des Invalides

En cet hiver 1879 – 1880, le pont des Invalides est en rénovation profonde. Il est alors totalement impraticable. Mais pour laisser la possibilité de traverser la Seine à cet endroit, et ne pas venir engorger les autres voies, on le double d’une passerelle en bois. Rappelons qu’à l’époque, le pont Alexandre III n’existe pas encore. Aussi, les voies de passage les plus proches sont les ponts de la Concorde en amont et de l’Alma en aval, ce qui correspond à une étendue bien large au cœur de Paris.

Comme on peut l’imaginer la passerelle en bois est très fragile face aux conditions climatiques alors. Aussi, point étonnant de lire qu’une attention forte s’y installe, avec le recours aux artificiers !

Le Petit Journal du 25 décembre 1879 nous le confirme : « On a fait, près du pont des Invalides, des expériences de brisement des glaces par la dynamite »

Le journal dans son édition du 31 décembre poursuit son reportage.

« Sur quelques points, cependant, les glaçons se détachent. Entre le pont de la Concorde et celui des Invalides, grâce à l’emploi de la dynamite, on a créé de larges courants. De nombreux ouvriers sont occupés à briser la glace le long des établissements flottants, qui ont eu beaucoup à souffrir de la congélation. Sur les canaux, le brise-glace continue à fonctionner. »

On cherche alors à anticiper la débâcle et le dynamitage fait clairement partie de la stratégie de lutte.

 

Tout comme autour des bateaux

Les ponts ne sont pas les seuls points de vigilance. Au bord des berges, de nombreux bateaux sont amarrés. Certains y stationnent en attendant des jours meilleurs. D’autres y sont de manière fixe (comme les bains et les bateaux-lavoirs).

Aussi, il convient de les protéger. On cherche à éviter qu’ils ne soient emportés, mais aussi endommagés par les débris emportés par les flots. On redouble les amarres.

Le dynamitage est une opération ici aussi comme le détaille le Monde Illustré du 3 janvier 1880.

« Tandis que dans l’intérieur de Paris la glace recouvrant la Seine était abandonnée à elle-même, ou rompue seulement autour des bateaux, des lavoirs, des établissements de bains, au pont des Invalides actuellement en construction, il a fallu entreprendre le percement d’un large chenal. Les chocs sans cesse répétés des glaçons ayant ébranlé la passerelle provisoire établie en amont du pont, l’ayant même fait quelque peu dévier de la ligne droite, des ouvriers déterminaient la rupture delà glace en faisant exploser des cartouches de dynamite aux points de soudure des glaçons. L’effet de ces explosions était des plus intéressants avec craquements de la glace, larges fissures, jets d’eau en fusées, frémissements dans la croûte que l’on voyait osciller et trembler sur une large étendue. »

 

Pour le Petit Parisien du 1er janvier 1880, c’est un succès :

« Les travaux commencés à l’aide de la dynamite ont très bien réussi. Ce procédé active la désagrégation des glaces et aide puissamment à dégager les bateaux. »

 

Une généralisation que ne passe pas inaperçue

Comme les résultats étaient plutôt probants, on eut recours à la pratique dans différents endroits. Le Petit Journal du 4 janvier nous en dit un peu plus.

« Hier soir, à partir de quatre heures, les parties encore solides de la glace ont été attaquées avec de la dynamite, sur la Seine, du pont des Arts au Point-du-Jour, sur le canal Saint-Martin et sur le canal Saint-Denis. »

Seulement voilà, la dynamite ce n’est pas ce qu’il y a de plus discret !

« Les explosions, assez violentes, ont intrigué et effrayé un grand nombre d’habitants ; nous pouvons les rassurer. L’emploi de la dynamite a pour but de faciliter le charriage des glaçons et d’amortir, autant que possible, les effets de la débâcle. »

Il fallait rassurer car cela s’accompagnait d’incidents : Même s’ils étaient plus petits, les glaçons restaient dangereux

« Les énormes quantités de glaçons qu’ont fait sauter la dynamite ont causé de nombreux accidents le long de la Seine ; au pont des Arts un bateau de charbon a sombré ; le bateau à lessive de la Samaritaine a eu son plancher brisé et s’est effondré quelques secondes après l’explosion de dynamite du Pont-Neuf. »

 

Une approche qui n’était pas infaillible

Nous avons dit que l’usage de la dynamite s’était fait près de la passerelle de Invalides. Comme nous le lisons toujours dans le Petit Journal du 4 janvier, il n’empêcha pas la rupture de l’installation.

« Les masses de glaçons frappant les charpentes de la passerelle ont amené à six heures 45 la rupture complète dans toute la partie du milieu.

Toute circulation avait été heureusement interrompue ; seuls, les ingénieurs et leurs ouvriers se trouvaient sur la passerelle pour lancer, grâce à un système très ingénieux, des cartouches de dynamite sur les glaçons afin de les briser ; mais ceux-ci devenant trop nombreux, il était impossible de continuer ce travail de protection. Huit travées ont été enlevées en quelques secondes avec un bruit effrayant. »

 

En outre, à un autre point, ainsi que le Petit Journal le rapporte le 12 janvier 1880, le recours à la dynamite fit un blessé indirectement :

« Entre le pont Saint-Michel et le Petit-Pont, des cantonniers travaillaient sur la berge à désagréger un énorme bloc de neige durcie en le diminuant par la base.

On comptait qu’une fois ébranlé, le bloc tomberait du côté de la rivière ; mais il s’abattit au contraire du côté du mur. Cinq hommes se trouvèrent surpris par la chute de cette masse ; trois purent se dégager; un autre eut le bras droit pris, le dernier se trouva enseveli jusqu’aux reins. On essaya de fendre le bloc à coups de pioche, mais le déblayement était long et la situation de la victime exigeait de prompts secours.

Heureusement, les mariniers d’un bateau-toueur amarré près du quai prêtèrent une amarre ; on en en toura le bloc, cinquante hommes tirèrent dessus, et l’énorme masse s’ébranla enfin. Le blessé, un Italien, nommé Laurent Toranne, âgé de vingt-quatre ans, demeurant rue Linné, a été transporté à l’Hôtel-Dieu. II n’a pas de fractures, mais ses contusions sont très graves ; les genoux particulièrement sont horriblement ecchymoses »

 

 

Sources bibliographiques :

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