Histoires de Paris

A chaque coin de rue de Paris, des histoires… souvent revues, réadaptées mais fascinantes

Histoires de litterature

Les habitants d’une France en ruine en 4908

Les habitants d’une France en ruine en 4908 : Quand A Franklin parle d’un retour à une civilisation primitive

 

Publié dans la seconde moitié du XIXe siècle, Alfred Franklin propose un roman d’anticipation étonnant : les ruines de Paris en 4908 !

Il y raconte la découverte par un explorateur d’un Paris en ruine, au contact d’habitants vivant comme des indigènes. Au travers d’une lettre qu’il envoie au ministre des Colonies à Nouméa, d’où il vient, il nous décrit sa rencontre avec les habitants des lieux.

 

Premiers contacts avec ces habitants

« Les naturels accourent au-devant de nos marins, puis s’empressèrent autour d’eux, parlant, criant tous à la fois, s’escrimant pour les voir de plus près, les contemplant avec une avidité enfantine. Cinq minutes après son arrivée, la petite troupe était environnée d’une foule compacte, dont les regards curieux, l’attitude franchement indiscrète n’avait rien de menaçant.

Quelques mots prononcés par le lieutenant furent aussitôt compris et on lui répondit dans une langue, qui a, comme la nôtre, de frappante analogie avec le français. »

 

Les mœurs de cette population

« Les mœurs de cette peuplade, que nous avons été depuis à même de bien connaître, offrent d’étranges contrastes. Au sein de cette tribu sauvage, qui semble avoir émergé du sol dans ces régions inhabitées, chez ces barbares vêtus de peaux de bêtes, on remarque des vertus, des vices, des goûts, des travers, des aspirations qui sont en général le produit des civilisations raffinées.

Leur grande préoccupation est la recherche du plaisir. Tout leur est occasion de fête ; sous le moindre prétexte, ils se rassemblent au dehors ou se réunissent les uns chez les autres pour chanter, boire, manger, danser, parler.  Tout événement les occupe, les amuse, tout spectacle les ravit. Bruyants, bavards, mobiles, impressionnables, ils s’enthousiasment sans raison, et se lassent aussi vite qu’ils se sont engoués. L’amour propre est le plus saillant de leurs défauts. Tout ce qui brille, tout ce qui reluit les attire et les passionne ; la vue des plumets, des galons les affole. Avec cela, bons, francs, hospitaliers, généreux, braves, intelligents, fins, plein de bon sens, tant qu’il ne s’agit pas du gouvernement de leur petite patrie. »

 

Des ambitions politiques et des renversements de pouvoirs

« Les natures modestes rêvent de posséder une humble position publique qui leur livre au moins quelques subalternes à régenter ; mais tous, même les plus misérables se croient parfaitement aptes à régir la tribu, parlent à tort et à travers des affaires de la cité, émettent des idées, des théories, des principes aussi insensés que disparates, et ne les voyant pas adoptés, vivent, dans un perpétuel état de mécontentement politique, qui, du reste, n’enlève rien à leur bonne humeur.

On nous a raconté qu’à une époque encore récente, ils se préoccupaient plus du titre destiné à leur chef que de la manière dont celui-ci devait les gouverner. On nous dit encore que le renversement de ce chef constituait un de leurs ordinaires passetemps, et qu’ils s’étaient ainsi créés des amusements qui leurs sont chers et le prétexte de glorieux anniversaires. »

 

Les places des femmes que peu envieraient au XXe siècle

« Les femmes envient beaucoup aux hommes le privilège de gouverner et de faire les révolutions ; faute de mieux, elles s’efforcent de dominer dans la hutte, et y fondent souvent un despotisme latent, mais incontesté. Impressionnables, passionnées et nerveuses, elles se montrent tour à tour bonnes, douces, caressantes, aigres, taquines ou cruelles, selon l’état de l’atmosphère. Elles sont spirituelles et fines, légères et futiles, frivoles et d’une coquetterie effrénée. Gracieuses, frêles, délicates, mais affamées de plaisir, elles en supportent les fatigues avec une énergie inconcevable. Le plaisir a pour elle toutes un attrait instinctif que les plus raisonnables sont parfois impuissantes à combattre, et elles expriment les besoins irrésistibles qu’entraine cet état par un mot qui n’existe pas dans notre langue, le verbe pronominal ‘se distraire’, les maris sages baissent la tête et attendent que l’accès soit passé. »

 

L’attachement à la terre

« Cette peuplade est fort attachée au sol qu’elle occupe depuis un temps immémorial, et est très fière de sa petite cité. On se disputa l’honneur d’y guider nos marins, qui durent la visiter en tous sens, et rencontrèrent partout l’accueil le plus cordial. On leur vanta aussi la beauté des environs, et par-dessus tout, l’imposant spectacle que présentaient les ruines d’une ville immense, située à une demi-lieue de là. »

 

Rencontre avec le chef

« Dés le lendemain, je fis annoncer ma visite au nouveau chef que les naturels s’étaient choisi.

Je descendis à terre vers trois heures, accompagné de mon état-major. Des indigènes, envoyés au-devant de moi, frayèrent un passage à travers les masses pressées de la foule, et nous conduisirent jusqu’à la hutte occupée par le chef, où tout avait été disposée pour une réception solennelle. Des gardes, à mine hardie, en défendaient les abords, et l’éphémère souverain nous y attendait, entouré de ses ministres.

Il était couvert d’une ample peau de loup, toute constellée de coquillages, de verroteries aux couleurs variées et de menus objets en cuivre poli : boucles, anneaux, clous, agrafes, colliers, boutons, grelots. A sa coiffure, composée d’aigrette, de plumes et de panaches, brillait une écaille d’huitre dont la surface nacrée resplendissait au soleil. Je m’efforçai de paraître ébloui par tant de richesses, ce qui réjouit beaucoup le chef, sans le surprendre.

Ses manières ne manquaient, cependant, ni de dignité, ni de grâce, et il répondit, sans le moindre embarras au compliment que je lui adressai. »

 

Sources bibliographiques :

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