Histoires de Paris

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Histoires d'immeubles

L’institut médicolégal

L’institut médico-légal remplaça la morgue en 1923, éloignant des yeux de tous les morts trouvés dans la rue.

En 1923, c’est un nouveau temps qui s’ouvre. La morgue est morte ! Vive l’Institut médico-légal. Mais pour nous vivant au début du XXIe siècle, c’est surtout l’imaginaire des séries policières qui font penser à cet établissement. Nous ne sommes d’ailleurs pas nombreux à le situer sur le bord de la Seine.

Pourtant, il y a cent ans, l’imaginaire était totalement différent. Nombre de parisiens avaient connu les expositions publiques de la morgue du quai de l’Archevêché, où pour les cas faisant les gros titres des journaux, plusieurs dizaines de milliers de personnes défilaient pour voir par curiosité le corps trouvé dans un des quartiers de Paris.

Après avoir été fermée au public en 1907, la morgue ensuite déménage.

Pour comprendre ce changement, parcourons les journaux d’alors !

« Pas un être humain dans la maison des morts »

Voici le titre que donne le journal du Matin du 27 février 1923, pour annoncer ce changement !

Le journaliste poursuit :

« Pourtant la nouvelle morgue ouvre jeudi

L’Institut médicolégal entre en service le 1er mars, à ce qu’on dit. L’Institut médicolégal c’est la nouvelle morgue. Morgue altière et superbement bâtie, en amont de son ainée, dans ce coin de la place Mazas où le métro surgit des entrailles du sol, se dresse de toute sa hauteur avant de sauter d’un bord à l’autre de la Seine. »

C’est un changement à plus d’un titre. Certes l’établissement reste près de la Seine, comme ses devanciers, mais son nom est transformé. Ne parlez plus de morgue mais d’Institut médicolégal !

On quitte l’île de la Cité est l’hypercentre de Paris, pour aller non loin de la gare de Lyon.

Ensuite, d’un lieu facilement accessible, on va dans un autre dont l’accès est plus délicat. Derrière le métro !

« Ce n’est pas seulement le bâtiment de la morgue qui va disparaitre mais le nom lui-même. Aujourd’hui la morgue est morte pour laisser place à l’Institut médicolégal, dont le nom plus sérieux n’a pas l’attrait du pittoresque qui fait le charme de certaines coutumes parisiennes. » L’Homme Libre du 2 mars 1923.

Un bâtiment très moderne pour l’époque

Autant la morgue était considérée comme d’une architecture et d’un fonctionnement très ancien, autant l’Institut Médicolégal est valorisé pour sa modernité.

L’Intransigeant du 28 février 1923 décrit le projet :

« Depuis 1908, le projet de création de l’établissement moderne du quai de la Rapée, avait été conçu sur l’initiative de M. Georges Lemarchand.

Le nouvel institut, élevé sur les quais de la Seine, près du pont d’Austerlitz, comporte deux bâtiments superposés.

Il comprendra des laboratoires de médecine légale, de toxicologie et d’identification judiciaire. Trois salles d’autopsie, admirablement comprises, ont été installées.

Les autres salles, dont un musée du crime, ont été conçues dans un esprit pratique qu’exige la science médicolégale moderne. »

Après l’inauguration officielle à la fin du mois de mai 1923, le journal l’Homme libre du 25 mai revient sur la description du nouvel établissement.

« Nous avons pu visiter cet établissement qui est, certes le plus beau du genre dans toute l’Europe. Près de la Seine, place Mazas, il dresse ses pavillons à l’italienne, au milieu de jolis jardins. On croirait entrer dans quelques sanatoriums ou dans un hôpital très moderne. De larges vestibules inondés de lumière, recouverts de céramiques et de peintures claires, de motifs décoratifs agréables, conduisent aux différents départements de la maison. »

Des salles pour la réception des corps totalement modernes

Le journaliste de l’Homme libre poursuit en se focalisant dans la salle de la partie morgue plus précisément.

« Les services de la Morgue sont installés comme suit : les cadavres sont amenés par une petite cour dans une première salle sur une table basse en marbre noir. Là, on les dépouille de leurs vêtements, qui sont toujours plus ou moins sales, plus ou moins porteurs de vermine ou de germes infectieux. Ces vêtements sont immédiatement lavés et désinfectés, puis séchés et mis dans des cases d’où ils sortiront que pour servir aux besoins de la justice ou être distribués à l’Assistance publique quand ils n’auront pas d’autre utilisé. Les morts sont ensuite mis dans des compartiments frigorifiques se trouvant dans les caves. Des machines électriques donnent à ces compartiments une température constante allant de 0 à moins 5 degrés.

Lorsque des visiteurs désirant reconnaître un mort, les corps sont montés dans un ascenseur dans une salle séparée des familles par une glace. Ceci a pour premier avantage de ne laisser échapper aucune mauvaise odeur, sans compter que l’impression éprouvée ainsi est beaucoup moins pénible. S’il est nécessaire de s’approcher du cadavre pour lui découvrir un signe particulier, une petite porte donne accès à la salle d’exposition. Les caves de la morgue renferment encore : une salle d’autopsie pour les corps en putréfaction, des placards où sont conservées les viscères et organes spéciaux, un chenil pour les animaux d’expérience, des laboratoires de photographie microscopiques, le tout aménagé de façon la plus moderne, la plus saine, la plus rationnelle. Nulle part, même dans le coin réservé aux cadavres très avancés, nous n’avons eu l’impression d’une odeur désagréable.

Pour les enterrements, deux belles salles ornées de vitraux d’un gout parfait ont été réservées, l’une pour les familles, l’autre pouvant être transformée en chambre mortuaire ou en chapelle ardente selon la religion du défunt. » 

Les salles de la Faculté de médicine mais aussi la bibliothèque et le musée du crime

« Les services de criminologie, psychiatrie et médecine légale, rattachée à la Faculté de médecine, se trouvent dans l’autre aile du bâtiment, se composent de salles d’autopsie pour les médecins légistes, d’un amphithéâtre pour les étudiants, d’une salle d’identité pour la mensuration et les photographies des cadavres, d’une bibliothèque où se trouvent déjà réunis plus de 3 000 volumes provenant des collections Ogier et Toinot, d’un musée où se trouvent des moulages, des crânes perforés par des balles, des lames de couteau brisées… des pièces anatomiques prélevées sur des corps assassinés, des fœtus momifiés par un procédé nouveau dû aux docteurs Dervieux et Piédelièvre ; des armes, différentes espèces de poudre, de balles.

Enfin, la plus grande merveille de l’Institut médicolégal consiste dans les laboratoires pour les professeurs et les étudiants. Ils ont été aménagés pour le travail en commun, qui stimule la découverte et qui, par conséquent, donne de meilleurs résultats. Certaines machines d’invention récente ont été installées là. L’une sert à faire à la fois le vide et l’air comprimé. Il suffit d’ouvrir un robinet pour produire le gaz ou pour le supprimer ; l’autre sert, inventée par le docteur Balthazard, à dégager rapidement et proprement la moelle de la colonne vertébrale, opération qui se faisait auparavant au moyen d’un marteau de bronze et d’un pied de biche, qui prenait un temps très long et qui ne réussissait pas toujours ; une autre enfin, qui sert à scier en quelques secondes les crânes les plus durs…

Etudiants, professeurs, personnels de garde, ont des vestiaires avec eau courante et même une salle de bain et de douche. »

Récit d’un déménagement particulier

Dans son édition du 2 mars, l’Homme libre rapporte ce transport entre le quai de l’Archevêché à la place Mazas.

 « Hier matin, des déménageurs revêtus d’insignes officiels, montés sur quatre camions s’arrêtèrent devant le petit monument et se mirent en état de déménager les archives et le mobilier. Après cette besogne facile, il a fallu transporter à l’Institut médicolégal du quai de la Rapée, les trente deux corps mis en dépôt provisoire quai de l’Archevêché. »

Le même, le Journal complète :

« Très discrètement, dans le recueillement qui convenait à une cérémonie funèbre, trente deux cadavres ont pris, hier, possession de la nouvelle morgue, qui est devenue l’Institut médicolégal, comme le Mont de Piété est devenu le Crédit Municipal.

Trois camions chargés de corps, quatre fourgons blindés de meubles et d’archives, tel fut le triste cortège qui se rendit, hier, du quai de l’Archevêché au quai de la Rapée, en rampant sur les bords de la Seine, gonflées jusqu’aux berges, comme pour mieux reconnaître quelques unes de ses victimes. Pas de cérémonie, les docteurs Balthazard et Paul, MM. Pennequin et Konh Arbrest accompagnaient seuls, ce convoi tout à fait hors classe. »

Comme on le constate, l’ouverture de l’Institut Médicolégal est mise en avant comme un modèle de modernité, un modèle du genre dépassant largement les frontières !

L’Homme libre du 25 mai 1923 finit son article ainsi :

« Bref, on le voit, l’Institut médicolégal est un modèle du genre qu’il serait difficile de trouver ailleurs en Europe. Un très gros effort a été fait dans le sens de l’amélioration de l’hygiène sociale et de la morale publique. »

Sources bibliographiques :

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