Histoires de Paris

A chaque coin de rue de Paris, des histoires… souvent revues, réadaptées mais fascinantes

Histoires de tour

Le Moulin d’amour

Le Moulin d’amour : un vestige champêtre au-delà de la barrière d’Enfer emportée lors de la Grande Guerre…

 

Voici une histoire que les romantiques ne remettraient pas en cause ! Un vestige des temps anciens, provenant des profondeurs médiévales, avec une forte coloration champêtre et qui dut s’incliner avec l’urbanisation. Et puis, quel nom ! Le Moulin d’amour…

 

Un moulin au Sud de Paris

Dans le Rappel du 15 décembre 1885, nous trouvons cette petite description :

« Enfin, tout près de la barrière d’Enfer, il y avait aussi le moulin d’Amour, habité par Fréron le critique, qui n’eut qu’une gloire, celle d’être l’adversaire acharné de Voltaire, et cette gloire l’a tué. »

 

Le Journal du 27 mars 1934 précise pour nous un peu davantage son ancienne localisation :

« Le « Moulin d’amour », s’élevait autrefois rue Ernest-Cresson. Mais il a disparu depuis 1917. »

 

Un moulin médiéval

Aussi, creusons davantage son histoire et remontons dans le temps, en feuilletant les Annales Politiques et Littéraires du 16 mars 1919 !

« Le « Moulin d’Amour » possède ses titres de noblesse, les uns guerriers, les autres artistiques. Sa fondation semble dater du XIIIe siècle, époque où les seigneurs de Montrouge possédaient en ces parages plusieurs groupes de moulins et de granges qu’en 1360, au commencement de la guerre de Cent ans, les troupes ennemies détruisirent dans toute la région. »

 

La Patrie du 28 juillet 1920 poursuit :

« Le Moulin d’Amour était un moulin banal qui, comme les fours et les pressoirs, formait une source de revenus pour les seigneurs.

Ceux-ci ont dû, dès l’usage des moulins à vent, c’est-à-dire antérieurement à la première croisade, en faire construire à proximité de leurs granges dès la fin du XIIe siècle, là où, dans la suite, s’élevèrent les nombreux moulins de Montrouge, parmi lesquels le « Moulin d’Amour », qui vient de disparaître.

L’infortuné moulin eut d’ailleurs bien des avatars au cours des siècles. En 1360, au commencement de la guerre de Cent Ans, les troupes détruisirent les granges et les moulins de la région. »

 

Un moulin qui fit face aux troubles du XVIe siècle

Nous l’avons vu, le Moyen Age ne fut pas tendre pour le Moulin d’Amour. La Renaissance non plus, comme nous le confirment les Annales Politiques et Littéraires du 16 mars 1919 :

« Le « Moulin d’Amour », réédifié, fut de nouveau brûlé par les reîtres allemands en 1569. Le meunier d’alors, sans se décourager, reconstruisit son moulin qui, pour la troisième fois, est détruit par l’armée royale (1590 – 1591), à l’époque du siège de Paris par Henri IV. Quatre ans plus tard, nous savons que ses ailes tournaient de nouveau, et nous en retrouvons encore l’emplacement sur le plan de Verniquet (1789). » 

 

La Patrie du 28 juillet 1920 évoque aussi ces temps difficiles :

 « Le Moulin d’Amour dut subir le sort des autres. Apres avoir été remis en état et à nouveau giflé par les reîtres allemands, en 1569, il fut reconstruit et encore une fois détruit par l’armée royale en 1590-1591, lors du siège de Paris par Henri IV. Rebâti en dernier lieu en 1505, en même temps que le moulin des Chartreux, il a dû, à partir de celte époque, conserver l’aspect qu’il avait encore avant sa récente démolition. »

 

Le Moulin aux mains de religieux

Comme souvent dans Paris au Moyen Age, des institutions religieuses avaient la suzeraineté des alentours.

« Le territoire qui s’étend en longueur au-delà de l’ancien prieuré de Notre-Dame-des-Champs et du fief des Francs-Mureaux, dans la direction de Montrouge, et, en largeur, depuis la collégiale de Saint-Marcel jusqu’aux limites de la paroisse de Vanves et de la seigneurie de Sainte-Geneviève, constituait, pour les hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, plus tard nommée Saint Jean de Latran, leurs fiefs de Lourcines, de la Tombe-Ysore et du Petit-Montrouge. C’est ainsi que ces domaines sont désignés dans les rentiers des Hospitaliers, dès le XIIIe siècle. Le clos des Péruchaux, qui dépendait du fief de Montrouge, où s’élevait le Moulin d’Amour, s’étendait sur le terrain limité de nos jours par l’avenue de Montsouris, l’avenue du Mairie, la rue Mouton-Duvernet et la rue Froidevaux. »

 

Le Moulin de Fréron

La Patrie nous signale également ses hôtes :

« Le Moulin d’Amour cessa d’être utilisé comme moulin on 1766 et devint maison d’habitation avec diverses destinées. Le célèbre critique Fréron l’occupa vers 1786. En 1790, il fut saisi et devint bien national. Son histoire était à peu près terminée. Elle s’est achevée en 1917 sous la pioche des démolisseurs. »

 

Un moulin à l’abandon au XIXe siècle

Puis avec l’avancée de la ville, le caractère champêtre du coin diminue. L’utilité du moulin aussi, comme le confirment les Annales Politiques et Littéraires du 16 mars 1919 :

« Et nous voici gagnant le n° 26 de l’avenue d’Orléans ; une avenue célèbre qui, dans les temps reculés, s’appelait « l’ancienne voie romaine de Lutèce vers Montrouge », puis, avant l’annexion de la banlieue, vers 1860, « le chemin de Paris à Montrouge ». Une porte cochère avec, au-dessous, une bande de calicot : « Matériaux de démolition à vendre », un passage boueux, un vaste terrain défoncé. Nous sommes sur les ruines de ce qui fut le « Moulin d’Amour. ».

Le « Moulin d’Amour » a pris le nom plus orthodoxe de « Moulin Saint-Jacques » et fait partie des biens de la fabrique paroissiale de Saint-Jacques-du-Haut-Pas. L’an suivant, le moulin est saisi comme bien national. »

 

Un moulin qui a sa part dans la littérature

Nous n’avons pas extrait nos sources des Annales Politiques et Littéraires pour rien ! Le Moulin d’amour ne pouvait qu’y avoir une place de choix.

« Quant à la partie artistique et aimable que comportait son joli nom, le « Moulin d’Amour » la doit non seulement aux Parisiens, artistes et galants, qui venaient y vider bouteille et y faire danser les jolies filles au son des crincrins, mais encore à quelques hôtes, sinon illustres, du moins célèbres. C’est ainsi que nous retrouvons la trace d’un séjour qu’y fit Jean Fréron, l’ennemi personnel de Voltaire. Ses camarades et lui s’y réunissaient pour se divertir et sécher les pichets de vin gris, tout en stigmatisant l’idole du quai des Théatins. Peu à peu, année par année, les embellissements parisiens — si j’ose dire — remplacèrent par des pierres de taille, des moellons, des planches, les beaux arbres et les vertes charmilles de jadis ; et le moulin, comme encerclé entre des barricades de bâtisses, perdit bientôt tout caractère artistique. Une décision récente de son dernier propriétaire vient de le condamner définitivement. Le pic du démolisseur s’y est abattu depuis plusieurs semaines, et ce sont ses débris que nous venons contempler.

De tant de souvenirs que reste-t-il aujourd’hui ? De la boue, des plâtras, des terres retournées, un jardin saccagé, où passent et repassent les brouettes des terrassiers. A en juger par les lointains, qu’égayent encore des cimes de grands arbres, l’endroit devait être tout à fait pittoresque. D’ailleurs, les anciens plans de Paris ne laissent aucun doute à cet égard. Jusqu’au dernier quart du XIXe siècle, Montrouge fut champêtre et bucolique…

Dans Les Misérables, Victor Hugo conte que Gavroche et ses amis avaient soigneusement repéré toute la faune des environs de Paris ; c’est ainsi qu’ils savaient « où trouver la « bête-a-bon-Dieu », le « puceron-tête-de-mort », le « faucheux », le « diable », insecte noir qui menace en tordant sa queue armée de deux cornes ». Gavroche et ses amis étaient fixés sur les découvertes entomologiques que comportait chaque région parisienne. Chaque fois, c’était pour ces gamins des surprises nouvelles et merveilleuses… Le mystère persiste, et si, avec la même facilité que Gavroche levait brusquement un payé pour y contempler des effarements de cloportes, nous pouvions soulever, à notre tour, les voûtes des souterrains encore existants dans tous ces décombres et sous la butte moussue qui servit d’assise à l’ex- « Moulin d’Amour », il s’en échapperait à coup sûr des fantômes, qui, le plus galamment du monde, nous conteraient l’histoire de ce vieux coin de Paris… »

 

Une disparition au cœur de la Première guerre mondiale

Mais en 1917, le moulin est emporté par les démolisseurs. Laissons l’Action Française du 10 novembre 1916 nous donner quelques précisions.

« Après plus de sept siècles d’existence, le Moulin d’Amour (dit aussi Moulin Saint-Jacques) ne sera plus dans quelques jours qu’un souvenir.

Les démolisseurs achèvent leur œuvre, au 26 de l’avenue d’Orléans où l’on peut voir encore quelques  restes de ce moulin construit par les Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem, sur un terrain qui leur fut donné en 1101, par le père d’un héros qu’il semble opportun de signaler aujourd’hui. »

 

Une destruction à réaliser dans le parallèle d’un autre conflit avec l’Allemagne et l’Empire

L’Action Française décrit un surprenant parallèle, tout en sachant qu’à ce moment-là, la Grande guerre bat encore son plein.

« C’était à la journée de Bouvines, 27 juillet 1214, au fort de l’action, « Guillaume des Barres, la fleur des chevaliers », avait pu saisir par son heaume l’empereur teuton et il le martelait de sa masse d’armes, quand tout à coup il entend : « Aux Barres, aux Barres, secours. Au Roi ! » Il laisse Othon et accourt.

Philippe-Auguste est en péril, car des sergents à pieds thiais l’ont cerné (thiais signifie allemands — nous dirions : boches) ; l’intrépide chevalier fait bientôt « si grant- place à l’entour du roi de France que l’on y pouvait mener un char à quatre roues », tant il éparpillait et abattait de gens devant lui ». Les ancêtres d’Othon disaient déjà, dès 1120 : « Il n’y a qu’un maître du monde, l’empereur ! — sa volonté fait la loi ! » — C’est ce que proclamaient encore les hordes unies ravageaient la Lorraine et la Champagne en se précipitant sur l’Ile-de-France au XVIe siècle, ainsi que l’écrit un Parisien, Nicolas Versoris, en 1523.

Guillaume II garde la même devise et il veut, sept siècles après Bouvines, prendre une suprême revanche. Il voit que la race des preux n’est pas éteinte en France et qu’il y « pleut toujours des chevaliers » ».

 

Sources bibliographiques :

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