Histoires de Paris

A chaque coin de rue de Paris, des histoires… souvent revues, réadaptées mais fascinantes

Histoires de quartier

Témoignage d’un ancien apache

Témoignage d’un ancien apache : un membre anonyme de la bande de Lecca se remémore ses années dans la rue…

 

Qui était les apaches qui écumaient les rues de Paris au début du XXe siècle ? Pour nous aider, le journaliste Edouard Neuburger de la Nouvelle Presse réalise un portrait d’un d’entre eux, dans l’édition du 15 août 1905.

Et ce n’est pas n’importe quel apache ! En effet, l’enquêté faisait partie du groupe de Lecca, dont la rivalité avec Manda avait fait l’objet d’un procès retentissant en 1902.

 

Un repenti établi dans le nord est parisien

« Dans une rue tranquille du vieux quartier de Charonne, une maisonnette rustique au fond d’un grand jardin. C’est là, dans son atelier de tourneur, que j’ai rencontré cet homme.

Je tairais son nom, car je le lui ai promis ; il fut jadis assez loti pour se mêler aux démêlés de Lecca et du fameux Manda au sujet de la volage Casque d’Or. Il fut compromis dans l’affaire des Apaches, connut les tristesses de la prison préventive, les longs interrogatoires des juges instructeurs, puis fut enfin relâché, les magistrats n’ayant pu arriver à établir sa culpabilité !

Ces faits lui servirent de leçon. Il regagna l’atelier, redevint un bon ouvrier, et aujourd’hui, marié, père de famille, il vit heureux parmi les siens grâce à l’aisance qu’il doit à son travail. »

 

Les apaches, des groupes surmédiatisés ?

Dès le début de sa présentation, l’ancien apache le dit. C’est un phénomène mis en avant par les journaux et qui faisait sensation :

« Lorsque je me présentai chez lui, l’ancien apache terminait sa journée. A mon arrivée il suspendit son travail, quitta son établi, et cordialement répondit à mes questions.

– Les Apaches, commença-t-il, à vrai dire, ils ont été créés par les journalistes. Avant la fameuse affaire de Charonne, il n’en existait pas, et ceux que l’on baptisa de ce nom sauvage n’étaient en somme que de vulgaires rôdeurs, comme il en a toujours existé, se battant souvent et vivant quelquefois de la débauche de leur compagnie.

Après avoir baptisé Apaches, ces mauvais sujets, les reporters leur créèrent une sorte d’héroïsme. Leurs moindres querelles, leurs moindres rixes devenaient dans les journaux des batailles rangées, des campagnes effrayantes, que les rédacteurs de certains journaux amplifiaient, dramatisaient, détaillaient avec imagination,

Lecca devint un héros, Manda, son adversaire, un grand capitaine.

Leurs renommées firent rêver les jeunes chenapans. Ils voulurent imiter les Apaches. Ils formèrent à leur tour de véritables bandes et se battirent à tous propos, attaquèrent les passants, commirent de nombreux meurtres cette fois. Ils existaient réellement. »

 

« Dilettantes du crime » 

« Les Apaches d’aujourd’hui sont de tout jeunes gens, des adolescents de 10 à 18 ans. Avides de liberté, ils se lassent vite du travail de l’atelier, et s’enrôlent facilement dans l’armée du crime. Ils agissent par gloriole, pour leurs amis, pour leurs amies surtout ! Chaque coup de couteau est un chevron pour eux, un chevron à leur couronne. Ils frappent, blessent, tuent, par pur dilettantisme. Comme disait l’un de ces misérables, ils tuent par amour de l’art !

Ils s’attaquent sans liaison à tout le monde. Ils cherchent querelle à n’importe qui jouent du couteau comme du revolver pour le moindre motif.

La nuit, la vue est leur domaine. Malheur au passant attardé ! »

 

Ainsi, les apaches étaient des jeunes gens, refusant toute contrainte et activité obligatoire.

 

Des crimes gratuits

« Ils se tiennent par bandes dans les carrefours et attendent le « pante » !

Lorsque celui-ci se présente, l’un des Apaches s’avance vers lui et sans mot dire, lui plonge son couteau dans te ventre !

– Mais pourquoi ? – Sans raison. Un jour, comme on demandait à un de ces vauriens la cause qui avait poussé à tuer un brave ouvrier, il répondit que c’était simplement parce qu’il avait parié avec un de ses amis de poignarder la première personne qui passerait !!!

D’autres fois, on voit un Apache tirer sur un homme, dans le but d’essayer un revolver qu’il vient d’acheter !

Une après-midi, trois Apaches réunis rue des Pyrénées, parlaient entre eux. L’un d’eux vantait un coup de pied bas qu’il prétendait infaillible. Sceptiques, ses camarades souriaient.

– Vous allez voir, dit simplement l’Apache, la première personne qui passera, je lui casserai la jambe

– Nous verrons, reprirent ses amis. Un instant plus tard, pliant sous un lourd fardeau, une vieille lavandière se présenta. L’Apache s’élança sur elle, et d’un coup de pied lui fractura la jambe droite !

 

Des anecdotes de ce genre démontrant le danger de ces malfaiteurs, j’en connais des centaines : ils tueront un passant parce qu’il porte un chapeau haut de forme, ou parce qu’il refuse de leur payer à boire ; ou encore parce qu’il a une jolie femme à son bras. Enfin parce que d’une façon ou d’une autre il a attiré leur attention et que c’est pour eux un jeu, un plaisir de faire usage de leurs armes. »

 

Des jeunes criminels

La conclusion est redoutable. Ce sont les jeunes qui étaient dangereux, tout simplement car la justice était plus clémente pour eux.

« Les gosses sont les seuls Apaches redoutables. Les souteneurs et les escarpes plus âgés connaissent la prison et craignent la relégation et ils volent souvent, cambriolent, mais ils n’attaquent les passants que rarement et toutefois ils évitent de faire usage de leurs armes. »

Le journaliste s’est rendu auprès d’un commissaire de police pour le faire confirmer.

« – Eh ! me dit-il, nous connaissons tous ces détails, mais nous n’arriverons jamais à purger nos rues de ces scélérats. Les rafles sont généralement inutiles, les jeunes gens arrêtés sont relâchés le lendemain, leurs familles les réclament et le parquet les remet en liberté malgré nos rapports de police.

Si, arrêtés, nous arrivons à établir leur culpabilité, les tribunaux se montrent trop indulgents pour ces malfaiteurs, Ils s’en tirent avec une peine légère et en sortant de prison, ils recommencent, ils reviennent parmi leurs camarades grandis par leurs condamnations et plus redoutables encore !

Le qu’il faudrait, c’est retenir tous ceux que nous arrêtons jusqu’à ce qu’ils aient l’âge de contracter un engagement volontaire et de les envoyer dans tes régiments coloniaux où la discipline et le service militaire sauraient bien venir à bout de leurs mauvais instincts. Ce serait là le veilleur moyen de purger nos quartiers des malfaiteurs qui les terrorisent. »

 

Sources bibliographiques :

 

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