Histoires de Paris

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Repères

Gabrielle Renard, modèle et muse oubliée de Pierre-Auguste Renoir

Dans l’ombre des grands maîtres impressionnistes, nombreuses sont les figures féminines qui ont, par leur présence et leur regard, façonné des œuvres majeures. Gabrielle Renard est l’une de ces figures essentielles, quoique souvent oubliée. Nourrice, modèle et muse de Pierre-Auguste Renoir, elle fut également une influence capitale dans la vie et l’art de Jean Renoir, fils du peintre et futur cinéaste emblématique. Cet article propose de revenir sur son parcours singulier, entre rôle artistique et lien familial, afin de redonner la place qu’elle mérite à cette femme d’exception.

Les origines et l’arrivée chez les Renoir

Gabrielle Renard naît en 1878 à Essoyes, dans l’Aube, dans une famille modeste mais attachée à ses racines rurales. Elle est cousine éloignée d’Aline Charigot, la future épouse de Pierre-Auguste Renoir. En 1894, alors qu’elle n’a que 16 ans, elle rejoint la famille Renoir à Montmartre, à Paris, pour devenir la nourrice de leur fils aîné, Jean. À cette époque, Renoir est déjà un artiste reconnu, mais sa santé commence à décliner, notamment à cause de la polyarthrite rhumatoïde qui le déforme progressivement.

Gabrielle s’intègre rapidement au foyer, bien au-delà de son rôle initial. Elle devient une présence constante, attentive, assurant l’équilibre familial et accompagnant au quotidien un peintre vieillissant mais toujours créatif. Montmartre est alors un quartier artistique bouillonnant, où Renoir côtoie d’autres peintres impressionnistes.

Gabrielle Renard, modèle et muse de Pierre-Auguste Renoir

Plus qu’une simple nourrice, Gabrielle devient une muse pour Renoir. Elle pose pour lui dans plus de 160 tableaux, ce qui en fait l’un des modèles les plus représentés dans l’œuvre du maître. Sa jeunesse, sa douceur et sa présence calme inspirent des scènes lumineuses, où la femme est souvent présentée dans des cadres intimes, domestiques, baignés de lumière.

Parmi les œuvres emblématiques où elle apparaît, on peut citer Gabrielle à la rose (1911), portrait délicat capturant sa grâce et sa féminité, ou encore Gabrielle et Jean (1895), où mère et fils semblent liés par un lien tendre et protecteur. Ces portraits incarnent un idéal féminin simple et sensuel, en harmonie avec la nature, typique du dernier Renoir, plus doux et apaisé que ses œuvres impressionnistes des débuts.

Influence sur Jean Renoir : éveil artistique et affectif

Gabrielle joue un rôle capital dans l’enfance et l’adolescence de Jean Renoir. En plus de ses fonctions maternelles, elle lui fait découvrir le théâtre de Guignol, un spectacle populaire qui marque profondément l’enfant. Ce goût pour la narration populaire sera une source d’inspiration majeure dans le futur cinéma de Jean.

Plus encore, Gabrielle initie Jean Renoir à la magie du cinéma naissant, l’encourageant à explorer cet art en pleine émergence. Leur lien dépasse la simple relation nourrice-enfant : Jean Renoir la décrit comme une femme d’une simplicité absolue, mais dotée d’une influence immense sur sa sensibilité artistique et humaine. Leur correspondance et ses souvenirs révèlent une complicité profonde, qui perdure toute leur vie.

IV. Une vie au-delà des Renoir : mariage et exil

En 1921, Gabrielle Renard épouse Conrad Slade, un peintre américain rencontré lors de ses fréquents séjours à Paris. Ce mariage marque un tournant dans sa vie, qui s’éloigne peu à peu du cercle strictement français.

Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, Gabrielle s’exile aux États-Unis, à Beverly Hills, où Jean Renoir s’est également installé pour poursuivre sa carrière cinématographique loin des conflits européens. Elle y reste jusqu’à sa mort en 1959, conservant jusqu’au bout ce lien indéfectible avec la famille Renoir et l’art.

Gabrielle Renard, femme de l’ombre et figure emblématique

Malgré son rôle central dans l’œuvre de Renoir et dans la jeunesse de Jean Renoir, Gabrielle demeure une figure souvent méconnue du grand public. Son histoire illustre la place ambiguë des femmes dans l’histoire de l’art, souvent réduites à leur rôle de modèles ou de muses, sans reconnaissance propre.

La biographie La Vie rêvée de Gabrielle – Muse des Renoir de Lyliane Mosca tente de redresser cette injustice, en proposant un portrait sensible d’une femme discrète mais essentielle. À travers elle, c’est toute une époque, une famille et une manière de concevoir l’art et la vie qui se dessinent.

Gabrielle Renard est bien plus qu’une simple nourrice ou un modèle parmi d’autres. Elle fut une muse lumineuse pour Pierre-Auguste Renoir, une figure maternelle et inspirante pour Jean Renoir, et une femme qui sut traverser les bouleversements du XXe siècle avec dignité et simplicité. Son histoire nous invite à reconsidérer le rôle des figures féminines dans l’art, au-delà des toiles, comme des actrices à part entière de la création et de la mémoire artistique.

Sources bibliographiques :

France Culture. (2023). Jean Renoir : “Gabrielle, le modèle de mon père, avait une influence insensée tout en étant d’une simplicité absolue” [Podcast]. Les Nuits de France Culture.

Mosca, L. (2022). La vie rêvée de Gabrielle – Muse des Renoir. Presses de la Cité.

Renoir, J. (1974). Renoir, my father (R. & D. Weaver, Trans.). New York: New York Review Books. (Original work published 1962)

Distel, A. (Ed.). (1995). Renoir. Paris : Réunion des musées nationaux.

Whitney, K. (2001). Renoir’s domestic portraits and the art of the everyday. The Art Bulletin, 83(4), 716–741.

Wikipedia contributors. (2024, January 7). Gabrielle Renard. Wikipedia.