Nini Lopez, modèle de Montmartre : la muse oubliée des peintres de la Belle Époque
Dans l’imaginaire collectif, Montmartre évoque une époque révolue de bohème, de cabarets et d’ateliers enfumés, peuplés d’artistes en quête d’absolu et de femmes libres. Parmi ces figures, certaines, essentielles à la création artistique, sont restées dans l’ombre. C’est le cas de Nini Lopez, modèle parisienne emblématique, qui posa pour Toulouse-Lautrec, Renoir, Steinlen ou encore Puvis de Chavannes. Tour à tour muse, femme de tête et figure populaire, elle incarne un certain esprit montmartrois, insolent et indépendant. Redécouvrir son parcours, c’est rendre justice à l’une de ces femmes qui, sans pinceau, ont profondément marqué l’histoire de l’art.
Une fille du peuple dans le Paris de la fin du XIXe siècle
Née dans les années 1860 ou 1870 (les sources sont rares), Anne-Marie “Nini” Lopez grandit dans les quartiers populaires de Paris, probablement dans le 18ᵉ arrondissement. Elle appartient à cette génération de jeunes femmes issues des classes ouvrières qui gagnent leur vie comme modèles, blanchisseuses ou employées de cabaret. Le quartier de Montmartre, avec ses pentes encore semi-rurales, devient alors le foyer d’une intense vie artistique : les loyers y sont bas, les cafés accueillants, les ateliers nombreux.
Nini Lopez apparaît comme l’un des visages les plus familiers de cette époque. Elle est décrite comme vive, spirituelle, provocante, parfois colérique – une femme à la personnalité affirmée, loin de l’image de modèle passif. Son surnom “Nini” évoque l’univers populaire de la chanson, des grisettes et des petites mains, autant que celui des égéries artistiques.
Nini Lopez, muse des peintres
Nini Lopez devient modèle professionnel dans les années 1880-1890. Elle pose pour plusieurs grands noms, dont Pierre-Auguste Renoir, Henri de Toulouse-Lautrec, Théophile-Alexandre Steinlen ou Puvis de Chavannes. On retrouve son visage rond, ses cheveux foncés et son regard franc dans de nombreuses toiles, croquis ou lithographies. Elle incarne à la fois la femme du peuple et la Parisienne indépendante – un archétype très prisé à l’époque.
Chez Renoir, elle est l’un des modèles du tableau Le Moulin de la Galette (1876), où elle apparaît parmi la foule joyeuse du célèbre bal montmartrois. Chez Toulouse-Lautrec, elle prend part aux scènes de cabarets ou d’intérieurs où transparaît la réalité crue du monde de la nuit. Elle est aussi le modèle d’affiches ou d’études de nu, témoignant de sa liberté et de son absence de tabou vis-à-vis de son corps.
Le modèle, à l’époque, est à la fois support et actrice de la création. Nini, par son tempérament, imprime une énergie aux œuvres dans lesquelles elle apparaît. Les artistes recherchent en elle un naturel, une vitalité, une vérité brute.
Une femme du monde de la nuit
Mais Nini Lopez n’est pas qu’un modèle d’atelier. Elle fréquente assidûment les cafés-concerts, les bals populaires, les cabarets où se croisent artistes, chanteuses, journalistes et anarchistes. Elle fait partie de ces femmes qui vivent seules, parfois en couple libre, et défient les normes bourgeoises.
Cette indépendance a son revers : la précarité. Le métier de modèle est mal payé, instable, souvent stigmatisé. Nini, comme beaucoup de femmes de ce milieu, connaît sans doute les difficultés du quotidien. Pourtant, elle incarne aussi cette Montmartroise fière, cultivée à sa manière, qui participe à la vie culturelle d’un quartier en ébullition.
Certaines sources l’associent à des engagements féministes diffus, à une parole libre dans les ateliers, et à une forme de conscience sociale. Si peu de documents l’évoquent directement, les récits d’époque (comme ceux de Francis Carco ou des mémoires d’artistes) laissent deviner son caractère hors du commun.
Un effacement progressif
Comme beaucoup de modèles de cette époque, Nini Lopez disparaît des archives après l’âge d’or de Montmartre. On ignore la date et le lieu de sa mort. Ce silence n’est pas anodin : il dit la manière dont l’histoire de l’art a marginalisé les modèles, réduits à des corps, des présences muettes, rarement considérés comme des actrices à part entière du processus artistique.
Alors que les noms des peintres se perpétuent dans les musées, ceux des femmes qui les ont inspirés tombent dans l’oubli. Nini, qui a pourtant donné son visage à des œuvres majeures, fait partie de ces absentes que les recherches récentes tentent de réhabiliter.
Conclusion : redonner voix à Nini Lopez
Nini Lopez fut bien plus qu’un modèle : elle fut une figure libre, expressive, incarnant une vision neuve de la femme dans l’art et la société. Elle appartient à cette génération de femmes anonymes qui ont donné vie à l’imaginaire pictural de Montmartre, tout en forgeant leur propre existence, en dehors des normes.
La redécouverte de son nom, de ses traits, de son rôle, participe aujourd’hui à une démarche salutaire : celle qui consiste à ne plus regarder les muses uniquement comme des objets de désir ou de beauté, mais comme des sujets à part entière, des partenaires de création et des figures culturelles essentielles.
Sources bibliographiques :
Berman, P. (1996). Montmartre and the Making of Mass Culture. Rutgers University Press.
Denvir, B. (1993). Toulouse-Lautrec. Thames & Hudson.
Wikipedia contributors. (2024). Nini Lopez. Wikipedia