Histoires de Paris

A chaque coin de rue de Paris, des histoires… souvent revues, réadaptées mais fascinantes

Histoires au détour d'une rue

Les séances de spiritisme du Café de l’Université : du Paris mondain à l’étrange monde des spectres

Un soir de 1872, dans le calme feutré du Café de l’Université, un événement glaçant marqua à jamais les esprits. Tandis que les conversations discrètes des habitués emplissaient la salle aux murs sombres, un médium, invité pour la soirée, entama une invocation. Brusquement, une étrange brume s’insinua entre les tables, comme surgie des profondeurs invisibles. Sous le regard médusé des clients, la nappe blanche trembla légèrement, puis une voix, d’abord sourde, se fit entendre dans l’air lourd. Elle appela distinctement par leur nom deux convives, révélant devant l’assemblée un secret familial soigneusement gardé. Le choc fut tel que, des jours durant, le quartier tout entier murmura les échos de cette nuit où le voile entre les vivants et les morts sembla se déchirer.

Le Café de l’Université, discret établissement de la rive gauche, se forgea à cette époque une réputation singulière. Entre ses murs, la frontière entre le tangible et l’évanescent se faisait chaque jour plus ténue, attirant une clientèle à la fois érudite et avide de mystères. Cet article propose d’explorer l’histoire fascinante des séances de spiritisme qui en firent l’un des hauts lieux occultes du Paris du XIXe siècle.

Le Café de l’Université, un foyer discret du Paris spirite

À deux pas des grandes institutions du savoir, le Café de l’Université aurait pu n’être qu’un établissement ordinaire, un lieu de rendez-vous pour étudiants et professeurs. Mais son atmosphère tamisée, ses alcôves profondes et ses salles retirées en firent rapidement un repaire pour les amateurs d’expériences paranormales.

Les témoignages abondent : on évoque des tables tournantes organisées à l’improviste, des séances de communication avec l’au-delà sous le regard complice du patron des lieux, et même des soirées entières passées à interroger les « esprits frappeurs ». Le café n’était pas un théâtre à grand spectacle, mais plutôt un laboratoire secret où sceptiques, savants, curieux et médiums s’affrontaient dans un climat d’attente fébrile.

Les protagonistes : médiums, savants et rêveurs

Parmi les habitués, on comptait des figures étranges : jeunes médiums en quête de reconnaissance, érudits fascinés par les phénomènes inexpliqués, et même quelques figures de la littérature en quête d’inspiration.

Léon D., un étudiant en médecine connu pour ses expériences de “psychographie”, impressionnait par ses transes silencieuses au cours desquelles il rédigeait, yeux clos, de longues lettres dictées — prétendument — par des esprits. D’autres soirs, un certain Monsieur F., philosophe désabusé, tentait de rationaliser les phénomènes, dressant des théories aussi subtiles qu’inquiétantes sur la survivance de l’âme.

Ce brassage insolite de croyants et de sceptiques contribua à forger la légende du Café de l’Université comme l’un des épicentres discrets mais puissants de la fièvre spirite parisienne.

Les grandes séances : moments de trouble et de révélation

Certaines nuits devinrent célèbres par la force de leurs manifestations. On raconte qu’au cours d’une séance particulièrement intense, l’apparition fugace d’une silhouette vaporeuse, projetée contre les boiseries du café, glaça l’assistance.

Des tables qui bougeaient seules, des réponses précises aux questions murmurées dans le secret des pensées, des chandelles s’éteignant sans cause apparente : tout semblait concourir à convaincre même les esprits les plus rationnels que quelque chose d’invisible rôdait parmi eux.

Ces manifestations, oscillant entre supercherie savamment orchestrée et véritables énigmes inexpliquées, participèrent à alimenter une rumeur qui attira bientôt à l’établissement des visiteurs de toute la capitale, avides d’assister à l’inexprimable.

Le déclin d’un lieu hanté par les souvenirs

À mesure que la mode du spiritisme s’effaçait au profit de nouveaux centres d’intérêt, les séances du Café de l’Université perdirent peu à peu leur éclat. Les anciens médiums se firent rares, les étudiants passèrent à d’autres modes d’expression et les tables cessèrent de vibrer.

Cependant, pour ceux qui connaissaient son histoire, le Café de l’Université ne resta jamais un lieu tout à fait ordinaire. Même longtemps après la fin des expériences, certains affirmèrent sentir, à la nuit tombée, comme un frisson glacial traverser la salle, rappel discret des heures où, entre deux lampes vacillantes, l’ombre des morts venait murmurer à l’oreille des vivants.

Le Café de l’Université demeure dans la mémoire parisienne comme un de ces endroits où le visible et l’invisible semblèrent un jour se toucher. Refuge des âmes en quête d’étrangeté, il incarna à sa manière l’espoir, la peur et le mystère qu’éveilla le spiritisme dans une société en quête de réponses face à l’inconnu. Aujourd’hui disparu ou transformé, son souvenir continue, lui, de vibrer dans les recoins oubliés de la ville, comme un écho discret aux murmures des esprits d’antan.

Sources bibliographiques :

Delalande, Arnaud. La Société du mystère : Les cercles spirites au XIXe siècle. Paris, Plon, 2005.

Lacassagne, Alexandre. Esprits et médiums : Études médico-psychologiques sur les phénomènes spirites. Paris, Félix Alcan, 1892.

Oppenheim, Janet. The Other World: Spiritualism and Psychical Research in England, 1850–1914. Cambridge, Cambridge University Press, 1985.

Monvoisin, Célia. Spectres et illusions : Paris, capitale du spiritisme au XIXe siècle. Paris, Éditions du Cerf, 2020.

Flammarion, Camille. Les maisons hantées : Observations et témoignages sur les apparitions. Paris, Marpon et Flammarion, 1923.

Podmore, Frank. Modern Spiritualism: A History and a Criticism. Londres, Methuen, 1902.