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Les tarots à la mode de Paris : entre ésotérisme, esthétique et lifestyle

À Paris, depuis quelques années, le tarot est partout. Il surgit dans les vitrines des concept stores, s’invite dans les collections de grandes maisons de couture, inspire les graphistes et sert de support à des ateliers de développement personnel dans les quartiers branchés du Marais, de Belleville ou de Montmartre. Ce qui n’était autrefois qu’un jeu de cartes réservé aux initiés ou aux cartomanciennes de salons semble aujourd’hui devenu un phénomène culturel à part entière.

Entre esthétique symbolique, objet de mode et outil d’introspection, le tarot connaît une véritable renaissance dans la capitale française. Quelles sont les racines de ce phénomène ? Pourquoi ce regain d’intérêt ? Et que dit cette vogue des tarots sur la culture parisienne contemporaine ? Cet article se propose de retracer la trajectoire de cette fascination moderne, en explorant ses sources historiques, son expression dans les arts et la mode, et sa portée spirituelle dans un Paris en quête de sens.

Héritages et réinventions : Paris et le tarot, une vieille histoire

Une tradition ancienne, un ancrage parisien

Le tarot est loin d’être un phénomène nouveau à Paris. Son histoire remonte à plusieurs siècles. Introduit en France depuis l’Italie du Nord à la fin du Moyen Âge, le tarot connaît un développement notable dans les cercles cultivés de la capitale à partir du XVIe siècle. Déjà présent à la cour, il est ensuite réinterprété par les cercles ésotériques du XVIIIe siècle. C’est à Paris qu’Antoine Court de Gébelin publie, en 1781, dans le tome VIII du Monde primitif, l’idée révolutionnaire — bien que fantasmée — selon laquelle le tarot serait l’héritage d’une sagesse égyptienne oubliée.

Ce texte inaugure l’ère du tarot occultiste. Paris devient alors un centre majeur de cette réinvention symbolique, grâce à des figures comme Etteilla (Jean-Baptiste Alliette), Eliphas Lévi et Papus (Gérard Encausse), qui en font un instrument d’initiation, un langage de l’âme. La capitale est aussi le berceau du tarot de Marseille, du moins dans sa diffusion moderne : les premières réimpressions et modernisations de ce jeu, issues des presses parisiennes (Grimaud, Camoin), en assurent la notoriété au XIXe siècle.

L’esthétique du tarot comme matrice culturelle

Les cartes du tarot, notamment les 22 arcanes majeurs, ont toujours fasciné par la puissance de leur iconographie. Leur langage visuel, mêlant figures hiératiques, allégories médiévales et motifs ésotériques, forme un répertoire imaginaire particulièrement fécond pour les artistes. Dès la fin du XIXe siècle, les symbolistes et les occultistes parisiens s’en emparent. Le tarot devient alors un miroir de l’imaginaire fin-de-siècle, entre décadence, mysticisme et fascination pour l’invisible.

Le tarot comme objet esthétique et culturel dans le Paris contemporain

Le tarot dans les arts et les éditions

À partir des années 2010, une nouvelle génération d’artistes et d’éditeurs parisiens redonne au tarot une vitalité visuelle remarquable. Les jeux de tarot sont réédités, remixés, réinterprétés dans des versions souvent luxueuses, artisanales ou engagées. On pense au Tarot de Marseille redessiné par Alejandro Jodorowsky et Philippe Camoin, mais aussi à des créations contemporaines comme le Tarot de l’Étoile cachée (chez Albin Michel), ou les jeux conçus par des illustrateurs indépendants, mêlant influences ésotériques, culture pop et graphisme minimaliste.

Le tarot devient un objet de collection, de contemplation, parfois même de décoration. Il est exposé dans des galeries, présenté comme œuvre d’art, édité en tirages limités avec papiers précieux et dorures. À Paris, des lieux comme la librairie L’Insolite (dans le 6e), La Maison de la Radiesthésie, ou Merci (dans le Haut-Marais) participent à cette revalorisation esthétique.

Tarot et mode : les arcanes sur les podiums

Le monde de la mode n’est pas resté indifférent à cette aura. Dès 2017, la maison Dior, sous la direction artistique de Maria Grazia Chiuri, lance une collection cruise directement inspirée du tarot. Les robes sont brodées de soleils, de lunes, de papesses et d’étoiles, tandis que les accessoires affichent le Bateleur ou la Maison Dieu comme autant de signes initiatiques.

Dans les vitrines de concept stores parisiens (comme L’Exception, Colette jusqu’à sa fermeture, ou Centre Commercial), on retrouve des objets dérivés du tarot : foulards, bijoux, carnets, parfums nommés d’après les arcanes. Ce phénomène dépasse la simple citation visuelle : il traduit un désir d’enchantement du quotidien. Le tarot devient ici une langue de signes partagée par une communauté esthétique, un code secret pour initiés du style.

Le tarot comme outil de quête personnelle à Paris

Ateliers, retraites et cercles de lecture

La redécouverte du tarot à Paris ne se limite pas à sa valeur décorative ou mode. Elle touche à des préoccupations plus profondes : quête de sens, développement personnel, spiritualité douce. Dans les cafés alternatifs, les cercles de lecture, les retraites urbaines, on voit apparaître des ateliers d’initiation au tarot, souvent animés par des femmes, autour de thématiques comme l’intuition, l’ancrage ou la guérison intérieure.

Des lieux comme Les Merveilles (XIIe), Maison Gaia (XXe), ou L’Académie du Tarot (en ligne et en présentiel) proposent des parcours de formation, souvent associés au yoga, à la méditation ou à l’astrologie. Le tarot devient un support de narration intérieure, un miroir psychologique. On y lit moins l’avenir qu’on ne tente de comprendre le présent.

Des figures émergentes : entre spiritualité et féminisme

Certaines figures parisiennes du tarot, influentes sur Instagram ou Substack, se situent à la croisée du féminisme, de la spiritualité alternative et de la créativité. On assiste à l’émergence d’un tarot queer, d’un tarot politique (abordant les rapports de pouvoir, les archétypes genrés), ou d’un tarot écologique, comme moyen de se reconnecter aux cycles naturels.

Le tarot, dans ces contextes, n’est plus un outil de prédiction, mais un langage symbolique pour interroger sa place dans le monde, se raconter, reconstruire un récit personnel à partir d’images communes. Paris, avec son histoire intellectuelle, ses traditions de contre-culture et sa densité créative, offre un terreau fertile à cette réinvention.

Le tarot, miroir des aspirations d’une capitale

Pourquoi un tel succès à Paris aujourd’hui ?

Dans une époque marquée par l’incertitude, la complexité et la fatigue technologique, le tarot propose un espace analogue au rêve. Il offre à la fois une structure narrative, un système de signes, et une esthétique rassurante. Il permet d’échapper aux injonctions rationnelles, tout en conservant une cohérence, une profondeur.

Paris, capitale des arts et du style, est le lieu idéal pour cette renaissance : la ville conjugue culture intellectuelle, goût de l’allégorie, sens du rituel et amour du beau. Dans un monde saturé de données et d’algorithmes, le tarot, avec son tirage à l’aveugle, sa lenteur méditative, son mystère visuel, propose une alternative symbolique.

Le tarot comme capital culturel et style de vie

Le succès parisien du tarot s’explique aussi par sa fonction de capital culturel. Posséder un tarot élégant, le pratiquer en conscience, en parler dans un dîner ou en faire un élément de décoration de son salon haussmannien ou de son studio du canal Saint-Martin, c’est marquer une appartenance. C’est exprimer à la fois une sensibilité esthétique, une conscience spirituelle, une ouverture intellectuelle. Le tarot devient ainsi une forme de lifestyle spirituel, à la fois intime et socialisé.

Les tarots à la mode de Paris révèlent bien plus qu’un simple engouement passager. Ils incarnent une reconquête du symbolique dans une ville longtemps marquée par la raison, une réconciliation entre esthétique et intériorité. Qu’il s’affiche sur les podiums, dans les ateliers de développement personnel ou sur les murs des galeries, le tarot parisien témoigne d’une mutation culturelle où la quête de sens rejoint la quête de beauté.

Peut-être est-ce là le secret de son succès : un langage ancien devenu à nouveau vivant, dans une capitale qui n’a jamais cessé de rêver à travers les images. Entre jeu, art et rituel, le tarot est plus que jamais à la mode… de Paris.

Sources bibliographiques :

Court de Gébelin, A. (1781). Le monde primitif, analysé et comparé avec le monde moderne (Tome VIII). Paris : Chez l’auteur.

Dummett, M., & Decker, R. (2002). A Wicked Pack of Cards: The Origins of the Occult Tarot. New York, NY: St. Martin’s Press.

Kaplan, S. R. (1978). The Encyclopedia of Tarot (Vol. 1). New York, NY: U.S. Games Systems.

Jodorowsky, A., & Costa, M. (2004). La voie du tarot. Paris : Albin Michel.

Chavigny, J. (2006). Le tarot : Histoire, iconographie, ésotérisme. Saint-Savin : Éditions Pardès.

Barthes, R. (2006). L’Empire des signes. Paris : Points.

Lipovetsky, G. (2007). L’esthétisation du monde : Vivre à l’âge du capitalisme artiste. Paris : Gallimard.

Jobert, B. (1998). L’art : une histoire d’expositions. Paris : Éditions du Centre Pompidou.

Entwistle, J. (2015). The Fashioned Body: Fashion, Dress and Social Theory (2nd ed.). Cambridge: Polity Press.

Heelas, P., & Woodhead, L. (2005). The Spiritual Revolution: Why Religion is Giving Way to Spirituality. Oxford: Blackwell.

Schnapper, D. (2012). La religion dans la démocratie : Parcours de la laïcité. Paris : Gallimard.

Berzano, L., & Genova, C. (2015). Sociology of the Sacred: Religion, Embodiment and Social Change. Farnham: Ashgate.

Chiuri, M. G. (2021). Dior: Cruise 2021 Tarot Collection [Catalogue de collection]. Paris : Dior.

Le Monde. (2023, 15 juillet). Les cartes du tarot reviennent dans les boutiques et sur les podiums. Le Monde, rubrique Style.

Numéro. (2021). Pourquoi le tarot fascine-t-il à nouveau les jeunes générations ?. Numéro Magazine. https://www.numero.com