Histoires de Paris

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Histoires de quartier

Les modalités de contrôle aux barrières de l’octroi : vérifications des marchandises et paiement immediat

Passage à la barrière de l’octroi

Le jour se lève à peine sur Paris quand la longue file de charrettes et de voitures s’étire devant la barrière du Trône, l’une des plus fréquentées du mur des Fermiers généraux. L’air est frais, chargé des odeurs mêlées de fumée, de vin et de terre humide. Le bruit des sabots sur les pavés résonne en cadence tandis que les hommes, fatigués après une nuit de voyage, s’apprêtent à franchir la porte fiscale qui délimite la ville.

À l’entrée, des grilles de fer battent lentement, ouvertes par un garde en uniforme bleu, visage marqué par des années passées à scruter les chargements. De l’autre côté, une petite guérite en pierre abrite le bureau de l’agent de l’octroi. Celui-ci, carnet et plume à la main, scrute attentivement chaque charrette qui s’approche.

Un charretier soulève une toile grossière pour montrer les sacs de farine, pendant qu’un autre présente une bouteille de vin pour être mesurée. L’agent engage la conversation d’un ton sec :

— “Qu’avez-vous là, marchand ?”

— “Cent kilos de farine, monsieur, tout droit du moulin de la Seine.”

Le contrôle commence : la marchandise est pesée sur une balance robuste, le poids confirmé, puis le tarif est appliqué sur un bordereau que l’agent remplit méthodiquement. Le charretier tend une pièce d’argent, que l’agent reçoit sans un mot, lui remettant en échange un reçu officiel, preuve du paiement de l’octroi.

Dans l’ombre, un autre employé observe, prêt à signaler toute tentative de fraude. Certains transporteurs, nerveux, essaient parfois de masquer quelques sacs, mais le regard aiguisé des gardes ne laisse rien passer.

Le charretier, maintenant autorisé, peut franchir les grilles, rejoindre la ville et y vendre sa marchandise. Derrière lui, la file continue, et le rythme du contrôle se répète inlassablement, un maillon essentiel de la vie parisienne.

Introduction

Au tournant du XIXe siècle, franchir les portes de Paris ne se résumait pas simplement à changer d’espace géographique. C’était aussi, pour marchandises et voyageurs, un passage obligé sous le regard vigilant de l’octroi, cet impôt municipal prélevé sur les biens entrant dans la capitale. Aux barrières érigées sur l’enceinte des Fermiers généraux, un dispositif complexe de contrôle s’active jour et nuit. Cet article propose d’éclairer en détail ces modalités de contrôle, à la croisée de la fiscalité, de l’urbanisme et de la surveillance urbaine, afin de comprendre comment la Ville de Paris régulait ses flux économiques et ses ressources fiscales.

Le système de l’octroi : une fiscalité de l’entrée

L’octroi est un impôt indirect institué à Paris dès le Moyen Âge et renforcé sous l’Ancien Régime. Sa particularité ? Il ne taxait pas la consommation en elle-même, mais l’entrée dans la ville de marchandises susceptibles d’être vendues sur son territoire. Il était géré par une administration municipale spécifique et rapportait une part significative des revenus de la capitale.

Au XVIIIe siècle, pour mieux contrôler cet impôt, fut érigée une enceinte particulière : le mur des Fermiers généraux. Sur ce périmètre, conçu par l’architecte Claude Nicolas Ledoux, furent bâties des barrières, sortes de postes de péage, où les marchandises devaient être déclarées et taxées. Au total, Paris comptait une vingtaine de ces barrières principales, qui délimitaient le territoire d’application de l’octroi.

Les produits soumis à l’octroi étaient nombreux : vin, charbon, farine, viande, charbon, et toutes denrées entrant dans la consommation urbaine. Chaque produit avait un tarif spécifique, variable selon sa nature et sa provenance.

Les acteurs du contrôle à la barrière

Le contrôle de l’octroi reposait sur une organisation administrative et humaine précise. Aux barrières, les agents de l’octroi — aussi appelés gabelous — étaient chargés de la perception de la taxe. Ils portaient souvent un uniforme bleu, portaient un brassard et détenaient un carnet de constat.

Le personnel comprenait plusieurs niveaux hiérarchiques :

• Les préposés ou gardes, en première ligne, qui contrôlaient les marchandises et les documents.

• Les inspecteurs, qui supervisaient plusieurs barrières, contrôlaient la bonne application des règlements et géraient les contestations.

• Parfois, la police municipale ou les douaniers venaient prêter main-forte en cas de troubles ou de tentatives de fraude plus importantes.

Ces agents n’avaient pas seulement un rôle fiscal, mais aussi un rôle de contrôle social et de régulation des entrées dans Paris.

Modalités pratiques du contrôle

Le poste de barrière

Chaque barrière était une construction architecturale pensée pour le contrôle et la perception. Les bâtiments comportaient des bureaux pour les agents, des guichets fermés par des grilles, et des espaces extérieurs où s’organisait la circulation.

Les barrières étaient équipées de grilles ou portiques pour diriger le passage des charrettes et des voitures. On y trouvait des balances pour peser les denrées comme les légumes ou les grains, ainsi que des instruments pour jauger les liquides (vin, huile) ou mesurer les volumes.

Déclaration et vérification

Les transporteurs devaient présenter un bordereau de marchandises, indiquant la nature, la quantité et la provenance des biens. Ce document servait de base à l’évaluation du montant de l’octroi.

Les agents procédaient à plusieurs opérations de contrôle :

• Pesée ou mesurage des marchandises à l’aide des balances ou jauges.

• Vérification visuelle pour détecter des fraudes évidentes (contenu dissimulé, produits non déclarés).

• Contrôle documentaire : comparaison du bordereau avec les marchandises transportées.

Perception et paiement

Le paiement de l’octroi se faisait sur place, souvent en espèces. L’agent délivrait alors un quittance ou reçu attestant du versement. Ce reçu devait accompagner la marchandise dans toute sa circulation dans Paris, en cas de contrôle ultérieur.

Le contrôle ne se limitait pas à l’entrée dans Paris : certaines barrières pratiquaient aussi une surveillance sur les sorties, notamment pour vérifier les exonérations ou les réexportations.

Les fraudes, contournements et réponses

L’existence des barrières ne signifiait pas l’absence de fraudes. Les transporteurs cherchaient souvent à éluder l’octroi en contournant physiquement les postes par des sentiers ou des chemins non contrôlés, appelés chemins de traverse.

Parfois, ils sous-déclaraient les quantités, dissimulaient les marchandises, ou utilisaient des documents falsifiés. Face à ces pratiques, les agents de l’octroi déployaient des patrouilles mobiles appelées brigades volantes pour surveiller les points de passage illégaux.

Les sanctions pouvaient être sévères : amendes lourdes, confiscation des marchandises, voire poursuites judiciaires. Ce dispositif de répression s’inscrivait dans une logique de dissuasion.

Fonctionnement au quotidien : rythmes, flux, tensions

Les barrières de l’octroi fonctionnaient généralement 24h/24, bien que certaines heures de pointe, notamment tôt le matin, voyaient une affluence particulière.

La circulation des marchandises était intense, surtout dans les barrières proches des grandes routes commerciales. Les agents de l’octroi devaient gérer un flux continu, sans trop retarder le transport, sous peine de ralentir l’économie locale.

Ce travail quotidien était aussi marqué par des tensions : entre les agents et les commerçants, parfois hostiles à l’impôt, entre les transporteurs inquiets des contrôles, et les autorités chargées de maintenir l’ordre.

Conclusion

Les contrôles aux barrières de l’octroi constituaient un maillon central de la fiscalité parisienne pendant près d’un siècle. Au-delà d’un simple prélèvement d’impôt, ils étaient le reflet d’une organisation urbaine et économique qui cherchait à réguler l’entrée des marchandises dans la capitale.

Aujourd’hui disparus, ces dispositifs laissent une empreinte dans le paysage urbain et la mémoire collective, avec certains bâtiments classés et noms de lieux témoignant encore de ce rôle de garde-fou fiscal et social.

Sources bibliographiques :

Béraud, J. (1994). L’octroi de Paris et son mur : histoire d’une fiscalité urbaine. Paris : Éditions du CNRS.

Bruneau, G. (1999). Le mur des Fermiers généraux : architecture et contrôle fiscal à Paris au XVIIIe siècle. Paris : Éditions du patrimoine.

Chevalier, L. (2010). La fiscalité indirecte dans la France préindustrielle. Paris : Presses Universitaires de France.

Dictionnaire historique de Paris. (2003). Octroi. Paris : Éditions Robert Laffont.

Histoire de Paris. (2005). Les barrières de l’octroi et la surveillance des entrées. Paris : Éditions Tallandier.

Ledoux, C. N. (2002). L’architecture des barrières de l’octroi. Paris : Éditions Gallimard.

Vigier, P. (2015). Le mur des Fermiers généraux : enjeux sociaux et économiques. Paris : Presses de Sciences Po.