Histoires de Paris

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Histoires de Seine

Le pont Neuf empaqueté par Christo et Jeanne Claude

Le pont Neuf empaqueté par Christo et Jeanne Claude : quand la toile drapée réfléchit la lumière sur la Seine

 

Du 22 septembre au 14 octobre 1985, le pont Neuf se présente sur un autre jour ! Il est devenu une œuvre d’art à un nouveau titre. Il est en effet empaqueté par Christo et Jeanne Claude.

A l’occasion de l’exposition présentée du 1er juillet au 19 octobre 2020 au Centre Pompidou, « Christo et Jeanne Claude. Paris ! », nous revenons sur les grands moments artistiques du couple à Paris. Le pont Neuf empaqueté fait effectivement office de quintessence de leur présence artistique en France.

 

Un projet éphémère pensé depuis bien longtemps

Depuis les années 1960, Christo réalisait des œuvres éphémères à l’extérieur. Il avait ainsi empaqueté une statue sur le parvis du Trocadéro ou laissé un mur de barils d’essence dans la rue Visconti. Mais là, avec le pont Neuf, il voit plus grand.

Ainsi, vers le milieu des années 1970, il commence à songer véritablement à cette opération. Dans son esprit, empaqueter le pont Neuf n’est du reste pas sa seule envie du genre : pourquoi pas le faire aussi à l’Arc de Triomphe, ou au niveau des arbres des Champs Elysées. Mais, à l’époque, c’est sur le pont Neuf qui lance son dévolu.

Avant de rejoindre la France, Christo avait participé aux efforts de son pays, la Bulgarie, pour recouvrir de faux décors les usines vues par les passagers de l’Orient Express. L’enjeu pour les autorités locales étaient de donner une bonne impression du pays et cacher quand cela était nécessaire les choses moins belles au regard. Il avait tiré de cette expérience une connaissance dans le recouvrement de façade mais était fasciné par les effets de forme obtenus.

 

Les expositions préalables

Christo avait plusieurs principes dans son approche. Il devait pouvoir exprimer son art, mais en assumer lui-même le financement. De cette manière, il pouvait s’assurer sa véritable autonomie artistique.

Pour ce faire, il commercialisait auprès du public des épreuves en amont, en organisant des manifestations. C’est ainsi, dans une vitrine de la Samaritaine louée pour un mois, tout près du pont, il avait installé une démonstration de son pont Neuf empaqueté déjà en octobre 1981. Il y avait installé une maquette de son projet, réalisée par des étudiants d’architecture recrutés pour l’occasion. Longue de six mètres, la représentation était fidèle avec les candélabres, les bateaux mouches passant dans la Seine.

Cette manifestation était bien sûr une occasion pour sensibiliser sur son projet, pour lequel il ne dispose pas encore d’autorisation, mais aussi de commercialiser des esquisses, des dessins préparatoires du projet… le tout pour financer l’œuvre finale.

En 1982, une autre présentation publique est réalisée, sur la place Dauphine cette fois. Il s’agissait de convaincre une fois encore les parisiens, toujours utiles pour appuyer le dossier auprès des autorités.

Chacune des étapes de la constitution du projet fait l’objet d’intenses enregistrements. Ils doivent servir à des expositions futures (ce dont l’exposition de 2020 au Centre Pompidou s’inscrit).

 

Les négociations pour obtenir l’autorisation

Autant Christo avait pu s’exonérer d’une autorisation pour bloquer la rue Visconti, autant il lui est nécessaire de convaincre. Et de convaincre du beau monde.

Alors bien sûr, il pouvait s’appuyer sur ses réseaux. Le père de Jeanne Claude, tout d’abord, Jacques de Guillebon a largement mouillé la chemise. Ainsi, ils purent présenter le dossier à des figures d’autorités passées comme Michel Debré, ancien premier ministre de de Gaulle, tout comme Claude Pompidou, la femme de l’ancien président de la République, connue pour sa passion pour l’art contemporain…

Dans l’Hôtel de Ville, on put voir notre artiste arpenter les salons, avant de rejoindre enfin le bureau de Jacques Chirac. Le maire de Paris finit par donner son accord, tout en lui faisant promettre que cela ne coûterait rien à la ville. Mais cela ne suffisait pas. Le pont Neuf, propriété de l’Etat, était du ressort du gouvernement.

Ainsi, il fallu attendre juillet 1985 pour obtenir l’autorisation finale. Le président de la République, François Mitterrand avait fini par donner son aval. Son ministre de la Culture, Jack Lang, put largement appuyer la démarche.

 

L’essai sur un pont

Comme on peut l’imaginer, il était essentiel que l’œuvre d’art n’abime en aucune façon le pont Neuf. Aussi, il fallait tester l’approche ailleurs, sur un autre pont. Christo jeta son dévolu sur un pont à Grèz sur Loing, tout près de Fontainebleau. Cet ouvrage était également ancien, datant du XIIe siècle (soit plus vieux que le pont Neuf même).

Avec l’autorisation de la municipalité, Christo pu tester sur place les modalités d’accroche de la toile autour des arches et des piles. C’est là, ainsi que le précise Jean Michel Charbonnier dans le numéro spécial de Connaissance des Arts dédié à l’exposition du Centre Pompidou, que les artistes purent retenir le type de toile et sa couleur… qui restera dans les annales.

Les essais n’étaient pas de trop. Il fallait entraîner le groupe de plongeurs, d’alpinistes, d’élagueurs nécessaires pour l’empaquetage.

 

Les effets d’une œuvre

Dés sa finalisation, le 22 septembre 1985, l’effet sur les parisiens est unanime. Ils se précipitent pour voir l’ouvrage empaqueté, en marchant sur les trottoirs. En effet, le pont Neuf était resté ouvert à la circulation, notamment automobile. Les bateaux pouvaient aussi passer dessous, comme si de rien n’était. De cette manière, les passagers des bateaux mouches purent voir l’œuvre d’art dans toutes ses coutures, sur les deux bras de la Seine traversés par le pont.

L’effet visuel était très fort. Suivant la variation de la lumière du jour et de la nuit, les reflets de la toile dans l’eau étaient puissants, comme en témoignent les photos prises à l’époque.

En outre, la forme du pont était exagérée, grossissant le tablier. La toile présentait aussi un aspect drapé, renforçant l’impression.

Ainsi, Christo contribua à sa façon à la légende du pont Neuf, tout en donnant un coté événementiel et grandiose à son œuvre.

 

Sources bibliographiques :

 

 

 

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