Histoires de Paris

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Histoires au détour d'une rue

Les pavés en bois à Paris : entre innovation technique et échec urbain

L’image du pavé parisien évoque spontanément les blocs de granite rugueux, les rues pavées de Montmartre ou les barricades révolutionnaires. Pourtant, un matériau bien plus inattendu a marqué un épisode méconnu de l’histoire de la voirie parisienne : le bois. À la fin du XIXe siècle, alors que Paris est en pleine mutation haussmannienne, l’administration municipale tente de résoudre un problème lancinant : le vacarme provoqué par la circulation sur les pavés de pierre. Le bruit des sabots de chevaux, le roulement des lourdes voitures à chevaux, les cris des conducteurs, forment une cacophonie constante qui inquiète les autorités, irrite les riverains et gêne les activités urbaines. C’est dans ce contexte que le pavé en bois est envisagé comme une solution moderne et silencieuse.

Mais cette tentative ne dura que quelques décennies. Rapidement, le bois révéla ses limites dans l’environnement parisien : glissant sous la pluie, fragile face aux variations climatiques, combustible en cas d’émeute. Aujourd’hui disparus des rues, les pavés en bois restent pourtant une expérimentation fascinante qui révèle les tensions entre progrès technique, confort urbain et contraintes matérielles. Cet article revient sur cette tentative oubliée de rendre la ville plus douce sous les sabots.

Une invention pour dompter le bruit de la ville

Dès le milieu du XIXe siècle, les plaintes contre le vacarme de la circulation à Paris se multiplient. Dans les quartiers aisés comme autour de l’Opéra ou de la Madeleine, les habitants dénoncent le tumulte nocturne causé par les fiacres. Les médecins, eux, alertent sur les effets du bruit sur la santé nerveuse des Parisiens. Le progrès technique – l’expansion des transports, la densification des flux – engendre des nuisances que la pierre ne peut amortir. Le pavé en bois s’impose alors comme une réponse prometteuse.

Cette innovation n’est pas une invention parisienne : Londres, Berlin, Moscou et certaines villes américaines l’ont déjà expérimentée. L’idée est simple : substituer aux pavés de granite des blocs de bois – matériau plus souple et donc plus silencieux – posés sur une couche de sable ou de bitume. À Paris, les premières expérimentations sont menées dans les années 1880 sur certaines artères de prestige, comme l’avenue de l’Opéra ou la rue Réaumur. Les ingénieurs de la voirie municipale, encouragés par des industriels du bois, en vantent les mérites.

Une solution technique audacieuse

Le pavé en bois parisien se présente sous forme de petits blocs rectangulaires, souvent d’une dizaine de centimètres de côté, posés à la verticale (le bois étant plus résistant dans ce sens) et serrés les uns contre les autres. On utilise principalement du chêne, de l’orme, parfois du pin traité. Pour en augmenter la résistance à l’humidité et au pourrissement, les blocs sont souvent imprégnés de goudron ou de créosote.

L’un des principaux arguments avancés en faveur de ces pavés est le silence qu’ils procurent. Les sabots des chevaux, les roues métalliques des véhicules glissent presque sans bruit sur leur surface. Le confort de marche pour les piétons est également meilleur, surtout en hiver. D’un point de vue esthétique, le bois donne un aspect plus chaleureux et homogène à la rue, contrastant avec l’aspect froid et irrégulier du pavé de pierre.

En outre, le bois est relativement léger à transporter et facile à poser, ce qui séduit les services techniques. Sa souplesse offre un confort appréciable pour les chevaux, très nombreux dans la ville du XIXe siècle, et les cochers se montrent parfois enthousiastes.

Fragilités, critiques et déclin rapide

Cependant, les désavantages du pavé en bois ne tardent pas à apparaître. En cas de pluie, les blocs deviennent extrêmement glissants, provoquant des accidents fréquents de chevaux et de passants. Le bois se gorge d’eau, gonfle, puis se contracte en séchant, provoquant des irrégularités gênantes. En hiver, le gel accélère leur dégradation. Les coûts d’entretien s’envolent : il faut souvent remplacer les blocs après seulement quelques mois.

Surtout, les risques d’incendie posent un problème majeur. Imprégnés de goudron ou de produits pétroliers, les pavés s’enflamment rapidement. Lors de la Commune de Paris en 1871, ou pendant les insurrections républicaines de la fin du XIXe siècle, ils servent de combustible aux barricades. Ces incendies, particulièrement difficiles à maîtriser, finissent par rendre le bois indésirable aux yeux des autorités.

Les journaux se moquent de cette “folie de bois” et publient régulièrement des caricatures de chevaux glissant ou de rues transformées en marécage. Malgré quelques tentatives de rénovation du procédé, l’idée est progressivement abandonnée au tournant du XXe siècle. À partir des années 1910, le bitume et le macadam s’imposent comme alternatives plus durables, moins risquées, et adaptées aux débuts de la circulation automobile.

Patrimoine effacé, mais pas oublié

Aujourd’hui, plus aucun pavé en bois ne subsiste sur la chaussée parisienne. Cependant, des photographies anciennes témoignent de leur présence sur des boulevards haussmanniens ou aux abords des gares. Quelques spécimens sont conservés dans des collections privées, au musée Carnavalet ou dans des archives techniques. Certains travaux de fouilles archéologiques, comme ceux menés lors de rénovations urbaines, ont mis au jour des restes de ces blocs, noircis par le temps et l’humidité.

Dans la mémoire collective, le pavé en bois est devenu un symbole d’un Paris expérimental, en quête de confort et d’innovation, mais aussi confronté aux limites matérielles de ses ambitions. Dans les écrits de certains mémorialistes ou chroniqueurs urbains, on trouve des mentions nostalgiques de ces rues « douces au pas du cheval », vestiges d’un Paris à la fois plus bruyant et plus silencieux que le nôtre.

Conclusion

L’épisode des pavés en bois à Paris illustre parfaitement la dynamique d’innovation urbaine du XIXe siècle. Cherchant à améliorer le quotidien sans perturber la marche de la ville, les ingénieurs ont expérimenté un matériau original, sans pour autant parvenir à en surmonter les faiblesses. Le bois n’a pas résisté à la pluie, au feu, ni à la modernisation de la circulation. Pourtant, son usage révèle une volonté typiquement parisienne d’inventer la ville confortable, élégante et silencieuse, même au prix d’échecs. Oubliés du pavage, les blocs de bois appartiennent aujourd’hui à l’archéologie sensible de Paris, celle qu’on découvre parfois, en silence, en retournant un pavé.

Sources bibliographiques :

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