Histoires de Paris

A chaque coin de rue de Paris, des histoires… souvent revues, réadaptées mais fascinantes

Histoires de Seine

Les bateaux-lavoirs

Les bateaux-lavoirs : ces établissements pleins de vie accueillirent les lavandières pendant près de 400 ans.

 

Quel plaisir de se promener sur les bords de Seine ! Longez les quais, admirer la vue, voir l’eau couler ! Aujourd’hui malgré nos flâneries, les berges sont bien calmes au regard de l’activité grouillante qu’elles connaissaient, il y a encore 100 ans.

Du fait du déplacement de l’activité marchande fluviale tout d’abord, mais pas seulement. Attachés aux amarres, des bateaux étaient présents à demeure : ils étaient dédiés au lavage du linge.

Voici l’histoire des bateaux-lavoirs !

 

Les origines

Pour démarrer cette histoire, nous n’allons pas remonter au Moyen Age ! Retour en réalité au début du XVIIe siècle. En ce temps, on s’active pour aménager l’île Saint Louis.

En réalité, on la reforme en fusionnant deux anciennes petites îles et on l’urbanise. De magnifiques hôtels sont édifiés sur les quais.

Un homme est à la manœuvre : Christophe Marie ; il a laissé son nom au pont Marie qui relie l’île Saint Louis à la rive droite.

Christophe Marie se voit attribuer par le pouvoir royal un nouveau privilège : celui d’exploiter des bateaux amarrés aux berges où on pourrait laver le linge. Ainsi naquirent les premiers bateaux-lavoirs de l’île Saint Louis.

Il ne parvint pas à installer tous les bateaux qu’il souhaite tout autour de l’île, mais le système était lancé.

Progressivement, on vit apparaître ces bateaux dans Paris mais aussi dans la banlieue.

 

Les blanchisseuses et le business des lessives

Avec les lavoirs, les bateaux-lavoirs offraient un endroit pour laver son linge.

Deux profils de clientes s’y rendaient. Tout d’abord, les professionnelles du lavage, les blanchisseuses ou les lavandières, qui en vivaient, prenant en charge les vêtements sales des parisiens, mais aussi des ménagères plus pauvres. Ces dernières étaient du reste bien nombreuses dans le centre de Paris, au moins jusqu’aux grands travaux du XIXe siècle.

Les propriétaires des bateaux-lavoirs avaient installé des gérants qui y vivaient à demeure. Ces derniers se chargeaient de la perception des tarifs, tout en leur vendant de la lessive. Ils avaient également comme rôle dans l’administration et l’entretien de ces bateaux-lavoirs.

Tout était fait pour bien guider nos lavandières tout en veillant bien à la rentabilité du business.

La promiscuité avec l’eau, la très faible hauteur de plafond, le nombre de lavandières devaient rendre ces bateaux-lavoirs peu agréables. On raconte que les batteries étaient généralement bien sombres.

 

La vie dans les bateaux-lavoirs

Malgré leur grande vétusté, les bateaux-lavoirs étaient très animés. Tout d’abord, en raison du va-et-vient des clientes qui se succédaient devant les différents bacs

Mais, comme ils attiraient du monde, inévitablement, de nombreux marchands ambulants en profitaient. Ainsi, tôt le matin, la marchande de café au lait proposait ses breuvages. On pouvait au choix prendre un café, mais aussi du chocolat ou une soupe.

Ensuite, c’était au tour du marchand de gâteaux de proposer ses derniers délices. Et ainsi de suite, défilaient les vendeurs de journaux, de fil et d’aiguilles, de dés, de ciseaux. Ici, on pouvait laver son linge mais aussi récupérer le nécessaire pour le raccommoder si besoin.

En fin de matinée, les marchands de fruits, de poissons, de poulet proposaient aux lavandières de faire leurs courses, se disant qu’elles auraient des difficultés à rejoindre le marché avant qu’il ne ferme.

Mais on ne trouvait pas que des marchandises dans les bateaux-lavoirs. On y dansait aussi. Ainsi, il était fréquent qu’un musicien monte à bord et se lance dans des chansons à la mode. Comment résister à la joie de vivre ?

Le bateau-lavoir, un business mais aussi un art de vivre alors !

 

Quelques bateaux-lavoirs emblématiques

Commençons par les bateaux-lavoirs de l’île Saint Louis ! Comme nous l’avons détaillé en début d’article, ici a démarré cette formidable aventure. Ils n’eurent pas la vie facile, entre les accidents bien sûr, mais aussi aux résistances des riverains. Ces derniers manifestèrent vite leur souhait de les voir limiter dans leurs nombres dès la seconde partie du XVIIe siècle, à peine 50 ans après leur installation première.

 

Le bateau-lavoir du pont Neuf est aussi resté dans les mémoires, déjà en raison des vues photographiques prises par Atget au début du XXe siècle. Ensuite, il fit parti des tous derniers à résister. Il était toujours attaché à son quai lors de la Seconde Guerre mondiale. Il y était un des derniers vestiges de la vie en bord de Seine d’antan. Les bateaux de commerce avaient déjà quitté les lieux pour d’autres ports.

 

Les accidents des bateaux-lavoirs

Être en bord de Seine n’était pas de tout repos.

Tout d’abord, on y subissait les désagréments et les caprices du fleuve. On peut s’imaginer que les crues n’étaient pas des moments faciles. En effet, avec les grandes eaux, tout tourbillonnait beaucoup plus vite, mais surtout, le fleuve transportait une grande quantité de débris de toutes tailles. Ces derniers représentaient de grands dangers pour les bateaux-lavoirs. Ainsi qu’on peut l’imaginer, l’eau montante de la crue de 1910 apporta son lot d’accident (ce fut le cas du reste quelques semaines avant le pic en réalité pour un bateau-lavoir amarré au quai Bourbon).

En janvier 1880, c’est la débâcle. A ce moment-là, la Seine, prise en glace, commence à dégeler. Il s’ensuit un grand mouvement d’eau avec de nombreux glaçons qui dérivent. Les accidents sont aussi bien nombreux.

En dehors de ces périodes difficiles d’inondation, le trafic sur la Seine était très important. Au début du XXe siècle, l’activité portuaire est à son apogée dans Paris. Les bateaux-lavoirs sont ici encore aux premières loges pour assister aux différents accidents. Il n’était pas rare qu’un gérant se lance à l’eau, dans des opérations de sauvetage pour un bateau ou un marinier en difficulté.

 

Les luttes entre les bateaux-lavoirs et l’administration

Outre les tumultes de la vie sur la Seine, les bateaux-lavoirs eurent comme puissants ennemis l’administration et les autorités de la ville.

Ainsi, pour de nombreux détracteurs au cours du XIXe siècle, les bateaux-lavoirs étaient des vestiges d’un Paris crasseux qu’ils voulaient voir disparaître. Ensuite, les mariniers et les responsables des déchargements des bateaux voyaient dans ces établissements des concurrents pour cet espace si rare sur les bords de Seine.

L’administration se voulut limiter tout d’abord, le nombre de bateaux-lavoirs, voire accélérer leurs disparitions.

Elle leur reprocha deux choses : être des obstacles pour la navigation, mais aussi générer des pollutions et poser, de ce fait, des problèmes d’hygiène.

Elle dut s’y reprendre à plusieurs reprises. En effet, les responsables des bateaux-lavoirs avaient de l’influence dans Paris. Ils savaient notamment faire appel à des personnalités en vue dans les journaux ou ailleurs. Nous avons ainsi trouvé plusieurs plaidoyers dans la presse de la fin du XIXe siècle en leur faveur, démontant les arguments opposés à leur maintien.

En tout état de cause, plusieurs aller-retours furent réalisés dans les droits à l’activité de ces bateaux-lavoirs. Aucun n’allait dans l’interdiction pure et simple mais à certains moments, il était interdit de remplacer des bateaux-lavoirs trop endommagés, cherchant par la sorte à une fin inéluctable.

 

La disparition des bateaux-lavoirs

Et oui ! Cette belle histoire a tout de même une fin. La meilleure preuve est l’absence de ces établissements de nos jours. Cela signifie-t-il la réussite des tentatives de l’administration ?

A y regarder de plus près, pas réellement ! En effet, malgré ses injonctions, les bateaux-lavoirs continuaient leur existence et trouvaient toujours les relais quand ils en avaient besoin.

Seulement, avec les mutations des quartiers centraux de Paris, la population qui y vivait changeait du tout au tout. Ainsi, les ménagères pauvres, partie importante de leur clientèle, avaient dû déserter les lieux, pour des quartiers de périphérie.

Ensuite, les habitudes pour laver son linge changeaient également avec la modernisation. Les blanchisseuses traditionnelles souffraient avec de plus en plus de difficulté de la concurrence des blanchisseries, équipées de différentes machines. Il est en fin évident que l’équipement des machines à laver des foyers dans la seconde moitié du XXe siècle ne pouvait plus laisser un espace d’activité pour ces établissements d’un autre temp.

 

Sources bibliographiques

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