Histoires de Paris

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Histoires de Seine

Les bateaux-lavoirs dans la débâcle de 1880

Les bateaux-lavoirs dans la débâcle de 1880 : sauve qui peut général face à la puissance des glaces en furie.

 

La débâcle ? De quoi parle-t-on en réalité ?

Revenons un petit peu en arrière ! Même si cela fait partie du passé depuis pas mal de temps, il arrivait certains hivers que la Seine gèle. L’activité sur le fleuve était alors totalement bloquée. Pour protéger le bras Marie entre l’île Saint Louis et la rive droite, une passerelle en bois avait été construite : l’estacade.

On se méfiait en effet des glaçons, notamment à un moment clef : la débâcle.

Ce moment renvoyait au début du réchauffement après un grand froid. La glace commence à fondre, entraînant un grand mouvement d’eau, mais aussi des glaçons dans le lit du fleuve. Cette période était particulièrement dangereuse, pouvant se traduire par une crue, mais aussi par des lourds impacts sur les bateaux et les points.

Au tout début de janvier 1880, la situation est alors particulièrement problématique. Les bateaux-lavoirs se retrouvent en première ligne dans cet épisode périlleux, que nous retraçons grâce au Mot d’ordre du 5 janvier 1880.

 

Description d’une grande débâcle

« La débâcle, qui était attendue depuis plusieurs jours, est un fait accompli.

De Charenton au Point-du-Jour, la Seine présentait hier l’aspect le plus curieux et le plus désolant. Des glaçons, en rangs serrés, poussés par un courant irrésistible, s’entrechoquaient dans une course vertigineuse, brisant tout ce qui s’opposait à leur passage. »

 

« La circulation avait, du reste, été interrompue sur un certain nombre de ponts ; ce sont les suivants : le pont de Sully, pont de l’Archevêché, le pont Marie, le pont des Arts, le pont des Saints-Pères et le pont Solférino. Il ne faudrait pas croire que ce fut excès de prudence. En effet, la passerelle des Invalides avait été enlevée la veille au soir et le pont a subi le même sort. A onze heures du matin et à deux heures et demie, trois arches ont été entraînées par la débâcle. Ce sont trois arches centrales.

 En ce qui concerne l’écroulement de la passerelle, voici quelques renseignements intéressants à ce sujet :

 Hier malin, à six heures et demie, toutes les glaces amoncelées en amont du pont de Solférino et provenant de la partie du fleuve qui s’étend de ce point jusqu’au Pont-Neuf, sont venues s’accumuler dans les deux passes protégeant les travaux de reconstruction du pont des Invalides. On a tout de suite essayé de faire partir, à l’aide de la dynamite, l’amas énorme de glaçons accumulés et dont la plupart mesurent de 35 à 40 centimètres d’épaisseur.

 A cet effet, le conducteur des ponts et chaussées de service s’est placé sur la passerelle avec deux équipes d’ouvriers. Sous le choc répété des glaçons, les piles de celle-ci fléchissaient avec un craquement horrible. »

 

Les bateaux-lavoirs au cœur de l’incident

Ainsi que nous pouvons le constater, les bateaux-lavoirs payèrent un lourd tribut à la catastrophe. Certains furent lourdement endommagés et des personnes à bord se retrouvèrent à l’eau.

 

« Sur les blocs qui prenaient parfois les proportions de véritables banquises, des épaves de toutes sortes descendaient le courant. Il y avait là, des mâts, des planches, des tonneaux, et jusqu’à des portes et des croisées : ces dernières avaient été arrachées à des bateaux-lavoirs que la débâcle avait mis en pièces. Enfin, outre ces épaves, le fleuve emportait encore des cadavres. Depuis avant-hier, en effet, six cadavres ont été portés sur les dalles de la Morgue.

 

« Les quais étaient encombrés par la foule, avide de contempler ce spectacle ; mais sur les ponts, tout stationnement était interdit. Nous avons demandé la raison de cet ordre, inexplicable au premier abord. Il nous a été répondu que beaucoup de personnes ayant eu l’imprudence d’asseoir des enfants sur les parapets pour qu’ils pussent mieux voir le coup d’œil, du fleuve, on craignait que le vertige ne s’emparât d’eux et qu’on eût, de ce côté, des accidents à déplorer. En interdisant aux curieux de stationner, on prévenait ainsi tout malheur. »

 

Le journal évoque le cas de plusieurs bateaux-lavoirs pris dans le piège :

« Au pont Louis-Philippe, le lavoir Langlois, dont les amarres se sont rompues, est allé se briser à l’angle du pont et du quai de Béthune.

Quatre heures du soir, le bateau-lavoir, amarré au quai du Louvre, a été endommagé par les glaces ;

A trois heures quarante-cinq, le bateau-lavoir du sieur Bizet, amarré en amont du pont de Bercy, a sombré sous le choc des glaçons ; pas d’autre accident. »

 

La situation était particulièrement dure du côté de l’île de la Cité et de l’île Saint Louis, où on trouvait ces bateaux-lavoirs.

« Le petit bras de la Seine était complètement pris depuis la Morgue jusqu’au barrage. Là, les glaçons s’étaient accumulés et formaient des montagnes d’une grande élévation. Des sapeurs-pompiers s’étaient installés à cet endroit pour procéder au déblaiement, sauver les barques qui étaient enferrées par les blocs glacés au milieu du fleuve et prévenir les accidents. Malgré leurs efforts, deux bateaux ont sombré, l’un au pont Saint Michel, l’autre au Pont-Neuf. »

 

 

De nombreux accidents

Malheureusement, comme nous pourrons le constater dans ce rapide tableau, la situation était dure pour toutes les embarcations présentes sur le Seine.

« Les accidents ont été malheureusement trop nombreux.

 

Voici les principaux : A six heures du soir, le bateau la Céleste, chargé de minerais, menaçait de sombrer près du pont d’Austerlitz. Les sapeurs-pompiers du poste de la Salpêtrière ont pu conjurer le danger.

  •  A huit heures dix, le bateau Espérance, amarré au quai de la Tournelle, a sombré subitement ; le sieur Huguenin, propriétaire de ce bateau, a pu se réfugier à temps sur un autre bateau.
  • A six heures quinze du soir, la rampe du ponton des bateaux-omnibus, quai des Tuileries, a été emportée par la débâcle.
  • A huit heures du soir, un bateau chargé de pierres, a sombré près du pont d’Austerlitz ; pas d’accident de personnes.
  • A quatre heures du soir, un bateau chargé de charbon de bois, appartenant au sieur Bénard, de Joigny (Yonne), a sombré quai du Louvre en amont du pont des Arts,
  • Quai d’Auteuil, un grand chaland vide et deux barques ont été brisées par les glaçons.
  • Quai de Javel, trois bateaux ont coulé : un bateau de charbon, un chargé de rails et un bateau-lavoir.
  • A neuf heures du matin, une partie des bains froids amarrés près du pont des Arts a sombré.

« L’île des Cygnes est particulièrement curieuse à observer. Il s’est formé de chaque côté deux montagnes de glaces qui sont arrivées à hauteur même de la terre ; si bien que le choc violent de ce courant contraire, fait sauter par-dessus l’île d’énormes glaçons mesurant plusieurs mètres. »

Sources bibliographiques :

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