Histoires de Paris

A chaque coin de rue de Paris, des histoires… souvent revues, réadaptées mais fascinantes

Histoires de Seine

Les bateaux-lavoirs et les critiques d’hygiène

Les bateaux-lavoirs et les critiques d’hygiène : de nombreux reproches quant à leurs pollutions sur la Seine.

 

Pour tenter de se débarrasser des bateaux-lavoirs sur les bords de la Seine au plein milieu de la capitale, leurs détracteurs évoquèrent deux raisons : des obstacles à la navigation et les raisons d’hygiène.

Ces deux facteurs portaient en cette seconde moitié du XIXe siècle. En effet, le commerce était devenu essentiel et la Seine apportait beaucoup à l’approvisionnement de la ville. Ensuite, les préoccupations d’hygiène étaient très puissantes, se poursuivant ensuite au début du XXe siècle.

 

Des sources de fumées

Commençons avec la Liberté du 29 décembre 1941 :

« Vous les voyez en fermant les yeux, les bateaux-lavoirs des bras Marie et de la Monnaie. Ils ne sont certes pas beaux, mais ils ajoutent au caractère de ces paysages familiers et chers à tout vrai Parisien Ils font partie de notre héritage. On les dirait faits avec de vieux volets, de vieilles personnes hors d’usage, achetés sur la zone A certaines heures du jour, les bavardages, les rires, les cris et le bruit des battoirs des lavandières les emplissent. Ce sont de bons éléments de pittoresque urbain. Mais ils fument, ces bateaux-lavoirs, comme des locomotives ; mieux, comme des steamers ; aussi, font-ils l’objet de plaintes amers de la part des habitants de lie Saint-Louis, et, parmi ceux-ci, du citoyen Léon Blum, dont le bateau politique dégage des fumes autrement désagréables, et nocives par surcroît. »

 

Ainsi de ces vieilles installations, se dégageaient des fortes fumées gênant les riverains, probablement aisés.

 

Les sources de pollutions que pouvaient générer les bateaux-lavoirs.

Toutefois, les fumées étaient de loin ce qui était reprochés aux bateaux-lavoirs. On leur reprochait de polluer l’eau de la Seine, du fait des rejets. Cela n’était pas sans poser de problème sur les retraits d’eau pour l’usage courant dans les habitations, ainsi que pour les bains dans la Seine, qui étaient alors courant.

Citant un membre de la Société de Médecine Publique, M. Gérardin, Le XIXe siècle du 22 mai 1886 revient sur le problème.

« Dans la traversée de Paris, il y a sur la Seine 22 bateaux-lavoirs. Ils stationnent surtout vers le centre, près de l’île Saint-Louis et de la Cité.

On peut croire qu’ils suppléent à l’absence ou à l’insuffisance des lavoirs sur terre dans le centre de Paris. Cependant, on doit remarquer qu’ils ont une clientèle spéciale qui vient souvent de fort loin.

On peut modifier leur point d’attache sans faire changer leur chiffre d’affaires, tandis qu’un lavoir sur terre doit se créer une clientèle nouvelle quand il est obligé, par suite de fin de bail, de se rétablir à deux ou trois cents mètres de son ancien emplacement. Les bateaux-lavoirs et les lavoirs sur terre ne s’excluent pas les uns les autres, et aucune rivalité n’existe entre ces deux industries.

Le nombre total des places des vingt-deux bateaux-lavoirs de la Seine à Paris est de 2 300. Ne sont pas compris dans ce nombre les six bateaux-lavoirs établis sur le canal Saint-Martin.

La moyenne est de 110 places par bateau-lavoir. Cette moyenne est un peu plus élevée que celle des lavoirs sur terre qui n’est que de 90 places par établissement.

 

Les bateaux-lavoirs ont au total 2,300 places, et chaque place fournit, chaque jour, 55 périmètres cubes de linge. La quantité totale de linge qui passe quotidiennement par les bateaux-lavoirs est donc de 126 mètres cubes. 

Mais chaque périmètre cube de linge exige 22 périmètres cubes d’eau dans les lavoirs sur terre, et il abaisse la qualité de cette eau.

Donc, les 126 mètres cubes de linge apportés aux bateaux-lavoirs abaissent la qualité de 2 772 mètres cubes d’eau. »

 

 

Impacts sur l’hygiène des différentes étapes du lavage du linge

« Les opérations par lesquelles le linge passe avant son arrivée au séchoir sont l’essangeage, le coulage, le savonnage, le rinçage, la mise en blanc, la mise au bleu. »

 

L’essangeage

« L’essangeage consiste à laver le linge grossièrement à l’eau froide dans laquelle on rajoute quelque fois un peu de savon ; cette opération a pour effet de dissoudre l’albumine des taches et d’enlever mécaniquement les taches insolubles. Les blanchisseuses suppriment complètement cette première opération ; elles mettent au cuvier tout le linge tel qu’elles le reçoivent. Les ménagères, au contraire, pratiquent habituellement l’essangeage ; mais par un sentiment de convenance bien naturel, elles font presque toujours cette opération à leur domicile, et, en général, pendant la nuit.

Si elles ne peuvent faire l’essangeage de leur linge à leur domicile, elles le font au lavoir, mais dans des places spéciales qui leur sont réservées et qui sont à l’abri des regards indiscrets.

L’essangeage peut disperser des germes morbifiques : il n’est pas interdit, par conséquent, il peut se faire sur les bateaux-lavoirs. Mais on doit reconnaître qu’il est très rare dans ces établissements.

En cas d’épidémie, M. le préfet de police pourrait d’ailleurs prescrire que l’essangeage se fit, à bord des bateaux-lavoirs, dans un cuvier spécial, et que l’eau d’essangeage servit à l’alimentation des générateurs ; ce qui supprimerait tout danger. »

 

Le coulage

« Le coulage se fait dans le cuvier. On commence par les jetées à froid qui remplacent l’essangeage en dissolvant l’albumine des taches sans la coaguler. Peu à peu, la température s’élève, et en deux heures, elle atteint 100 degrés. A cette température, le travail est plein et il se continue pendant quatre ou cinq heures. Dans la plupart des bateaux-lavoirs, on commence le lessivage à sept heures du soir et on ne le termine qu’à cinq heures du matin. Il parait certain que les germes morbifiques soumis pendant sept ou huit heures à la température de 100 degrés, dans un milieu alcalin, doivent être complètement détruits. »

 

Les autres étapes

« Après la sortie du cuvier, le linge est soumis au savonnage, au rinçage, à la mise en blanc et à la mise au bleu, ne peut présenter aucun danger de propagation de maladies.

Certaines prises d’eau pour l’alimentation, et notamment celle de Chaillot sont-elles infectées par les bateaux-lavoirs ?

Les 126 mètres cube de linge reçus chaque jour dans les bateaux-lavoirs souillent 2 772 mètres cube d’eau de la Seine, au point de les transformer en une eau contaminée semblable à l’eau de la Seine prise à Argenteuil, en aval des égouts de Paris.

Ces 2 772 mètres cube d’eau sont dilués dans 20 000 000 de mètres cubes d’eau, et le mélange se fait parfaitement, grâce aux bateaux à vapeur qui sillonnent constamment la Seine dans la traversée de Paris. »

 

 

Le recours au chlore ?

Dans son édition du 30 décembre 1899, le Monde illustré compte toutefois, une histoire intéressante à ce propos.

 « L’ouvrage va être en retard.

C’est alors qu’on a recours à des moyens artificiels pour répartir le temps perdu sans qu’il y paraisse. Que faut-il après tout ? Que le linge soit bien blanc ? Il le sera. La novice qui s’inquiète et demande au bureau deux sous de chlore se verra considérer sévèrement et gratifiée de cette réponse : « Nous ne vendons pas de ces choses-là ici. » Mais sa voisine plus roublarde ou mieux au courant demandera derrière elle deux sous de marchandise. Et on lui donnera deux ou trois cuillerées d’une poudre blanche qui aura tous les caractères, la saveur, la couleur, les propriétés du chlore ; mais c’est de la marchandise ; le mot dangereux n’a pas été prononcé ; le principe est sauvé, voilà un établissement où on ne vend pas de chlore. Le tout n’est-il pas de s’entendre ? »

 

Sources bibliographiques :