Histoires de Paris

A chaque coin de rue de Paris, des histoires… souvent revues, réadaptées mais fascinantes

Histoires de Seine

Tentatives de faire disparaître les bateaux-lavoirs

Tentatives de faire disparaître les bateaux-lavoirs à Paris : volonté politique face à de fortes résistances.

 

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les bateaux-lavoirs au centre de Paris sont, pour beaucoup de détracteurs, des vestiges d’un vieux Paris crasseux qui doit disparaître.

Ces installations qui attiraient principalement des couches pauvres de la population étaient les héritières d’une pratique lancée lors de l’urbanisation de l’île Saint Louis au XVIIe siècle.

Sales, elles étaient des sources de pollution pour les eaux du fleuve. Encombrantes, elles étaient des obstacles à la bonne marche des bateaux sur la Seine, gênant d’autant plus lors des déchargements, occupant des espaces sur le long des quais.

 

Histoire d’une lutte contre les bateaux-lavoirs

En 1886, ainsi que nous le rapporte le XIXe siècle du 22 mai, l’administration parisienne était en lutte contre les bateaux-lavoirs.

« On médite dans les bureaux de la préfecture de la Seine la suppression des bateaux-lavoirs. Ces modestes établissements sont fort utiles à la population parisienne, mais ils gênent les mariniers, et l’administration, qui a des inspecteurs de la navigation à son service, leur donnera fatalement raison. J’ignore en cette affaire quel intérêt est plus pressant que l’autre et s’il convient de sacrifier les lavoirs aux navigateurs ou les navigateurs aux lavoirs, et je ne songerais à blâmer personne si les choses se passaient régulièrement, comme jadis. »

 

Première tentative à la fin des années 1860

« Lorsqu’en 1868 les mariniers commencèrent à se plaindre, le préfet de la Seine prit simplement un arrêté par lequel il décidait en substance que nul ne pourrait faire de réparations aux bateaux-lavoirs sans autorisation préalable et que, d’ailleurs, aucune autorisation ne serait jamais accordée. C’était décréter la suppression par extinction à brève échéance.

 Les mariniers se frottaient les mains, mais les patrons des bateaux crièrent à l’excès de pouvoir et portèrent leurs doléances devant le conseil d’Etat. Le conseil d’Etat, suivant la coutume, garda la cause deux ans, puis déclara qu’il appartient au préfet de la Seine d’apprécier dans quelle mesure le maintien des établissements stationnant sur la rivière dans la traversée de Paris peut se concilier avec le service de la navigation et, s’il y a lieu, d’ordonner la suppression de ceux de ces établissements qui seraient nuisibles à ce service ».

 

Une guerre qui donne un peu de répit

« Sur ces entrefaites, la guerre éclata, Paris fut investi et les Prussiens occupèrent la Dhuys, la Vanne et le canal de l’Ourcq. On manquait d’eau ; les lavoirs établis à l’intérieur de Paris durent fermer leurs portes. Les ingénieurs tentèrent bien d’établir tout le long des quais de la Seine des bancs de lavage, mais les variations de niveau du fleuve rendirent cette organisation impossible et les bateaux-lavoirs restèrent seuls à la disposition des blanchisseuses et des ménagères. Pendant ces longs mois de misère, la foule se pressa devant leurs pontons ; on y fit queue comme aux boucheries, et quand le charbon leur manqua, la commission des combustibles leur en fit délivrer par ordre après les fonderies de la guerre. »

 

Nouvelle tentative

« Depuis lors, on ne songeait plus à taquiner les lavoirs flottants, quand, au mois de septembre dernier, la création des « bateaux-express, qui contribuait à augmenter l’encombrement des rives du fleuve, amena les ingénieurs de la navigation à proposer une seconde fois la suppression de ces établissements incommodes.

 Cependant, et malgré la décision du conseil d’Etat, M. le préfet de la Seine ne prit pas un arrêté draconien : il se contenta de nommer une commission pour étudier la question ; en même temps, M. le préfet de police priait deux inspecteurs des établissements classés, MM. Gérardin et Pouchet, de lui présenter chacun un rapport « sur l’altération des eaux de la Seine par les bateaux-lavoirs établis dans l’intérieur de Paris ».

 

Les résistances face à cette volonté de suppression

Les bateaux-lavoirs n’étaient pas exempts de moyens de pression. Tout d’abord, comme nous avons pu nous en rendre compte, la presse n’hésitait pas à prendre fait et cause pour ces installations.

Ensuite, les usagers de ces services étaient bien nombreux.

Le Radical du 3 octobre 1885 nous en donne un petit aperçu

 

« De la part des propriétaires de bateaux-lavoirs établis sur la Seine et de la part de particuliers qui sentent très vivement la nécessité de conserver les bateaux-lavoirs, mais rien de l’administration, rien de la navigation ; pas le moindre navigateur qui ait essayé de me convaincre que tel ou tel bateau-lavoir gênait considérablement sa propre circulation.

 Les propriétaires ont confiance dans le Conseil municipal. Il les a, disent-ils, défendus, il y a cinq ans ; il ne les abandonnera pas maintenant.

 Les propriétaires riverains font observer qu’il faut ajouter, à la nombreuse clientèle de laveuses qui viennent même de Montmartre et de Ménilmontant, des habitantes de la banlieue qu’on ne s’attendait pas à voir figurer ici. Mais ce sont des maraîchères qui viennent aux Halles, jettent leur linge dans la voiture, et, au cours de la journée, descendent à la Seine.

 Notre intérêt, disent les précités, est solidaire de l’intérêt de plusieurs milliers de patronnes et ouvrières blanchisseuses et repasseuses qui doivent leur gagne-pain à nos établissements ; il est solidaire de l’intérêt d’une foule énorme de femmes d’ouvriers, qui viennent sur nos bateaux laver d’une façon saine et économique le linge de leur famille, car c’est une population de près de cent mille âmes dont le linge passe par nos établissements. »

500 000 personnes concernées… Cela met forcément en pression

 

Les réponses apportées aux objections

Dans ses colonnes du 30 septembre 1886, la Patrie rappelle les réponses apportées aux principaux détracteurs

« 1er : Leur aspect extérieur. Ce reproche a peu d’importance. Leur architecture extérieure est, du reste, imposée par l’administration.

2e : Les dangers pour l’hygiène publique. Le syndicat, ayant traité cette question dans un mémoire spécial, n’en parle pas ici : nous le regrettons.

3e : Encombrement des ports et des berges. — L’administration a réalisé tant d’améliorations qu’on peut amener dans Paris autant de bateaux que commerce en demande, et on peut les recevoir sans crainte. De plus, les déchargements ne se font plus qu’à la vapeur et il ne faut qu’un jour pour décharger ce qui, autrefois, en réclamait six.

Les bateaux-lavoirs ont gêné l’installation de quelques pontons de la Société des Bateaux-Express. Mais l’entente des Compagnies permettra de supprimer les deux pontons qui ont été difficiles à installer. D’ailleurs, ce n’est pas la présence des bateaux-lavoirs qui a forcé de mettre ces deux pontons aussi en avant dans le fleuve.

4e Entraves à la circulation. — Les bateaux-lavoirs sont tout à fait en dehors du chemin suivi par les bateaux de commerce. En outre, comme le remorquage se fait aujourd’hui à la vapeur et non plus par les chevaux, il en résulte une aisance infiniment plus grande qu’autrefois pour les manœuvres.

5e Dangers en temps de crues et de glaces. — Jamais un bateau-lavoir n’a été entraîné en travers d’un pont. Jamais un seul n’a occasionné d’accidents à d’autres bateaux. »

 

Le journal évoque lui aussi « près de 14,000 signatures » pour protester

 

Une décision ambigüe

Au final, il fut décidé que les bateaux-lavoirs en place ne seraient pas détruits tout de suite. Toutefois, dans l’hypothèse où ils subiraient une avarie de n’importe quelle façon que ce soit, il ne serait pas autorisé de procéder à leur réparation.

C’était ainsi une mort programmée pour les bateaux-lavoirs de Paris. Mais la mort fut lente. On en trouvait toujours dans les années 1940

 

Sources bibliographiques

 

%d