Histoires de Paris

A chaque coin de rue de Paris, des histoires… souvent revues, réadaptées mais fascinantes

Histoires de Seine

La Seine prise par les glaces en 1879

La Seine prise par les glaces en 1879 : sur une grande partie de son parcours parisien, tout est à l’arrêt !

 

Quelle image surprenante que celle d’imaginer la Seine prise par les glaces ! Cela fait bien longtemps que cela n’est pas arrivé et les perspectives du réchauffement climatique renvoient aux calendes grecques son retour.

Pourtant au XIXe siècle, cela arriva plusieurs fois, comme nous l’avons décrit dans notre article sur la Seine gelée. Que se passe-t-il lorsque l’eau se fige dans la plus grande avenue qu’était le fleuve ?

Pour prendre un exemple plus frappant encore, nous allons nous intéresser ici à l’épisode de décembre 1879. Les lecteurs attentifs de notre blog ont pu lire notre article consacré au froid infernal de 1879. Pendant tout le mois de décembre, il fait une température glaciale, largement en dessous de 0°C. Certaines nuits, on enregistra moins de -20°C. En tout état de cause, pendant une très grande partie du mois, le mercure ne monta que rarement au-dessus de -10°C.

Les conditions pour que la Seine gèle sont alors réunies.

Découvrons ensemble l’histoire de la Seine prise par les glaces en 1879 à partir de la presse d’époque !

 

Un éditorial d’inquiétude qui ne savait pas si bien dire !

Le froid terrible de 1879 ne tomba brusquement.

En réalité, l’été avait été pourri ! L’automne avait été pourri ! Aussi, les parisiens et les français étaient éprouvés par des semaines très fraiches, avec leur lot de pluie. Les récoltes étaient mauvaises.

La neige s’était même annoncée fin octobre !

Pourtant, les parisiens n’imaginent pas encore le froid infernal qui s’annonce, tant dans sa durée que son intensité.

Tout de même certains éditorialistes se penchent sur la question. C’est notamment le cas de Jean Frollo dans le Petit Parisien du 27 novembre 1879. « Le froid ! Ce mot seuil me fait passer un frisson de la tête aux pieds, et vice versa. »

A cette heure, les météorologistes débattent sur les possibilités de la rigueur du froid. Jean Frollo s’inquiète des conséquences pour les plus pauvres des parisiens. Aussi, il se lance dans un rapide historique.

« En 1709 le froid fut si terrible à Paris, que le vin gela dans les tonneaux. La plupart des arbres furent détruits à plusieurs lieues à la ronde. Presque toutes les cloches des églises se cassèrent en sonnant. Ce fut, du reste, un des plus grands froids dont on ait garde la mémoire. Et, pour comble de malheur, les blés manquaient et l’on vit des centaines de gens mourir de froids et de faim. Il est vrai que la charité publique n’était pas organisée alors comme clic l’a été depuis.

Rappelons aussi qu’en 1783, la Seine demeura gelée dans Paris pendant près de deux mois. On y passait comme sur une grande route et avec les plus lourds fardeaux. Cette congélation de la Seine recommença en 1795, où l’un eut à subir quarante-deux jours consécutifs de grande gelée.

C’est cette même année que se passa un fait inouï dans l’histoire de tous les temps. La cavalerie française s’empara d’une grande escadre hollandaise arrêtée dans les glaces ! On n’avait jamais vu et on ne reverra probablement jamais une flotte cernée et capturée par des hussards et des chasseurs à cheval ! »

 

Une Seine qui tout d’abord commence à monter

Comme nous l’avons écrit, les semaines précédent ce mois de décembre 1879 avaient été particulièrement pluvieuses. Aussi, point étonnant de lire dans les journaux d’alors que la Seine était haute au début du mois.

Le Petit Journal écrit le 3 décembre 1879 :

« Après une baisse de quelques centimètres, la Seine a repris son mouvement ascensionnel : les eaux ont monté, depuis hier, de 20 centimètres. Les dernières dépêches des stations hydrométriques annoncent une nouvelle crue pour jeudi prochain.

A tous les quais de débarquement, de nombreux ouvriers sont occupés à mettre en lieu sûr les marchandises qui s’y trouvent. Les eaux d’infiltration commencent à envahir les caves des maisons de la rive gauche »

 

Le 8 décembre, le journal enfonce le clou :

« La crue de la Seine continue. Toute navigation est interrompue sur le fleuve et sur les affluents.

Les affluents sont également en hausse. La Marne a monté, depuis hier, de vingt centimètres. L’Yonne déborde en certains endroits. Le long des quais, tout travail est interrompu. 

L’administration des ponts-et-chaussées communique aux journaux l’avis suivant : La Seine, à Paris et à Mantes, va remonter d’environ cinquante Centimètres. La Seine, à Montereau, va remonter d’environ cinquante centimètres, comptés depuis jeudi. L’Yonne, à Sens, va remonter d’environ cinquante centimètres, comptés depuis jeudi dernier.

Les eaux d’infiltration continuent dans les quartiers des deux rives. »

 

Les glaçons qu’on commence à voir défiler sur la Seine

Mais avec le froid, des morceaux de glace ne tardent pas à faire leur apparition sur la Seine.

Dès le 6 décembre, le Petit Journal annonce cette tendance :

« A partir de [deux heures de l’après-midi], la Seine a charrié des glaçons eu telle quantité et si gros, que la navigation a été interrompue ».

Le lendemain, le journal poursuit : « La Seine charriait, avec les glaçons de nombreuses épaves, parmi lesquelles nous avons remarqué vers quatre heures, du haut du Pont Neuf, quatre canards sauvages échoués sur un énorme glaçon et qui s’en allaient à toute vitesse au fil de l’eau. »

 

Le 10 décembre, le Petit Journal fait une description de ces glaçons à la dérive :

« Les eaux de la Seine sont devenues plus limpides, mais elles charrient une plus grande quantité de glaçons que ces jours derniers. La dimension des glaçons varie de 20 centimètres à un mètre de largeur. La quantité est surtout grande, aux ponts de la traversée de Paris, où l’amoncellement se produit plus facilement. De nombreux ouvriers sont occupés à briser la glace au fur et à mesure que le fleuve commence à être pris. »

 

Les parisiens contribuent aussi au refroidissement de l’eau. En effet, l’enjeu est alors pour Paris de faire face à l’amoncellement de neige qui était tombé au début du mois de décembre sur la ville. Toutes les rues, tous les toits sont recouverts de neige. Aussi, qu’en faire. Le premier réflexe fut de la jeter dans la Seine. Mais rapidement, avec le développement de la glace, on se rendit compte que ce n’était pas une bonne idée. Le 11 décembre, on estime que ces déversements ont fait monter la Seine de 50 centimètres.

 

Puis la glace qui prend en totalité

Comme le froid poursuit son ouvrage inexorable dans la capitale et dans la région, la formation des glaces n’en est que plus exacerbé. Les glaçons deviennent de la glace et rapidement, elle touche des parties de plus en plus importantes dans le parcours de la Seine dans Paris.

Le Petit Journal anticipe le 7 décembre : « Les eaux charrient une quantité de glaçons telle que d’ici deux jours, si le froid continue, le fleuve sera gelé, principalement aux divers points de la traversée de Paris. »

Le journal confirme la tendance : « Le petit bras de la Seine, depuis le Pont au Change jusqu’au pont de l’Archevêché, est pris. On peut même citer ‘un endroit entièrement pris ; c’est entre le pont d’Iéna et le pont de l’Alma »

En tout état de cause, la nouvelle tombe le 12 décembre, dans le Petit Parisien : « La Seine est prise ; les glaces se sont arrêtées la nuit du 9 au 10 décembre. » La plupart du parcours parisien est alors concerné.

 

Et ce n’est pas finit, ainsi que l’indique le Petit Journal du 19 décembre :

« La nuit dernière a été excessivement froide et comptera parmi les plus atroces de cet hiver terrible. Sous l’influence de ce froid, les glaçons qui couvrent la Seine se sont consolidés, la neige, qui encombre encore les deux tiers de nos rues, s’est changée en blocs de glace, si durs qu’on a de la peine à les entamer, même à coups de pioche. »

Quelques jours plus tard, on considère qu’elle forme un plancher solide.

 

Tentative de maintenir un peu d’activité

Cette nouvelle situation n’a pas abouti à l’exode des bateaux restés amarrés près des quais. Le 10 décembre, le Petit Journal nous indique :

« Le petit bras de la Seine est toujours pris ; mais les mariniers et les bateliers, dont les bateaux y stationnent, ont reçu l’ordre de rompre la glace, de crainte d’accidents. Cette sage mesure cause un réel désappointement aux nombreux gamins, qui y avaient installé leur camp général.

Les établissements flottants ont triplé leurs amarres, la clientèle des lavoirs publics a considérablement augmenté, par suite de la neige. Les blanchisseurs de la banlieue ne pouvant arriver à Paris, les lavandières de la capitale ont vu augmenter le nombre de leurs clients. » 

« Le remorqueur municipal continue ses visites d’inspection. » On se veut rassurant. Pour l’administration, il importe d’indiquer qu’elle est à la manœuvre.

Des brises glace tentent de maintenir de l’eau libre autour des bateaux-lavoirs. Ailleurs, des ouvriers agissent directement. On tente le tout pour le tout pour pouvoir continuer à laver le linge.

 

Une foule de curieux et de promeneurs

Comme souvent dès que la Seine change de physionomie, une foule de curieux se précipite sur les quais pour voir ce qu’il s’y passe.

« A trois heures de l’après-midi, une foule considérable stationnait au pont des Saints-Pères » rapporte le Petit Journal du 10 décembre. Tout était alors spectacle : les glaces, les débris, les oiseaux cherchant à se frayer un chemin dans l’eau, les ouvriers cherchant à rompre la glace. Ce même jour, certains regardent les brises glace tenter de rompre les glaces autour des bateaux-lavoirs pour leur permettre de continuer à fonctionner.

Mais pour de nombreux parisiens, l’envie était aussi de descendre sur la glace. Pour le plaisir du patinage pour certains, pour le plaisir de traverser le fleuve en dehors des chemins classiques offerts par les ponts.

Aussi, commence alors un jeu du chat et de la souris entre les policiers et les curieux. Les uns sont plus inventifs que les autres.

Le 31 décembre 1879, certains voulurent faire la fête pour le réveillon sur la glace de la Seine.

 

Les dangers de la glace

Mais le danger était réel. En effet, suivant les endroits, la glace n’avait pas toujours la même résistance. Elle n’était pas solidifiée véritablement partout au début.

Les parties prises en glace pouvaient aussi évoluer. Ainsi, le 11 décembre, le Petit Journal signale

« Dans la soirée de lundi, les glaçons étaient amoncelés, au Pont Royal, à un tel point, que le fleuve était pris d’une rive à l’autre. Mais le courant est devenu, dans la nuit, très rapide et hier matin la glace s’est rompue sans accident. »

 

Puis, même s’il était recouvert de glace, le fleuve continuait à faire varier son niveau. Comme le froid était intense en amont, mécaniquement, la quantité d’eau qu’il débitait en direction de la Manche et du Havre diminuait. Ainsi, la glace se trouvait à certains endroits, bien plus haute que le niveau de l’eau en dessous, ce qui n’était pas un gage de sécurité.

Le Petit Journal du 26 décembre confirme nos dires :

« Un phénomène dû à la baisse des eaux, qui a été d’environ 70 centimètres depuis quelques jours. Certaines parties de glace qui couvre le fleuve se sont trouvées en l’air, sans autre point d’appui que celui qui existait sur les côtés. Une immense couche de glace a fini par céder tout d’une pièce, et ne s’est arrêtée que quand elle s’est trouvée de nouveau soutenue par l’eau. »

 

En tout état de cause, gare aux chutes dans l’eau glaciale ! C’était un risque particulièrement mortel, ce d’autant que les températures à l’extérieur étaient encore plus froides.

 

Puis enfin le dégel !

Après un premier espoir de dégel à la moitié du mois de décembre, la glace continue son emprise. Il fallut en réalité attendre le tout début de 1880 pour que les températures daignent enfin revenir dans des valeurs positives.

Enfin, la neige pouvait fondre, tout comme la glace.

Un nouvel épisode démarre : la débâcle. Elle fut particulièrement violente. De nombreux glaçons se mirent alors en mouvement. On tenta de limiter les dégâts en réduisant leur taille. L’enjeu était d’éviter que les bateaux ne soient endommagés par les débris.

Nous reviendrons dans d’autres articles sur cette nouvelle séquence de ce terrible hiver 1879 – 1880.

 

Sources bibliographiques :

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