Histoires de Paris

A chaque coin de rue de Paris, des histoires… souvent revues, réadaptées mais fascinantes

Histoires au détour d'une rue

Le banquet des Bonapartistes chez le père Lathuile

Le banquet des Bonapartistes chez le père Lathuile : l’annulation d’une rencontre car il lancerait une marche

 

Pour les bonapartistes, le cabaret du père Lathuile était un lieu à part. Du fait de son emplacement, tout près de la place de Clichy, il avait pris son rôle lors de la défense de Paris lors de la Campagne de France de 1814. Devant les portes de la guinguette, on se battit fortement. On loua l’héroïsme du père Lathuile qui avait alors simplement 18 ans.

 

En 1851, quelques mois avant le coup d’Etat de Louis Napoléon Bonaparte, le prince-président est en confrontation avec l’Assemblée nationale. Même si le gouvernement lui est favorable, le Parlement est sous la houlette du parti de l’Ordre, monarchiste et conservateur. Au fil des mois, la lutte concerne d’abord, le périmètre du corps électoral, en limitant les électeurs aux hommes ayant une résidence de plus de trois mois et n’ayant pas troublé l’ordre public. Sur ce point, ils sont d’accord de restreindre les possibilités de vote pour les partis de la gauche, mais ils s’affrontent à propos de la fin de mandat de Bonaparte. Constitutionnellement, le président était au pouvoir pour quatre ans, sans être rééligible.

Une intense campagne de propagande traverse le pays en faveur notamment de Louis Napoléon Bonaparte. Il s’agit de préparer le terrain à un éventuel maintien au pouvoir.

 

Un banquet annulé

Dans ce contexte, un banquet aurait dû se tenir chez le père Lathuile en mai 1851, comme nous le lisons dans le Charivari du 8 mai 1851.

C’est avec une vive douleur que j’ai appris hier que le banquet bonapartiste commandé pour le mai chez le père Lathuile n’avait pas eu lieu. »

Comme on le constate, en mémoire de Napoléon et à l’occasion de l’anniversaire de sa mort, des fidèles voulaient se retrouver. Comme nous l’avons relevé, son neveu est Président. Celui-ci cherche à installer avec cette légitimité à asseoir son pouvoir. Il réussira en proclamant en 1851 le Second Empire.

 

Echange entre le commissaire de police et le père Lathuile

« La marmite a été renversée par M. Carlier : — est bon, pour un préfet de police, d’aimer un peu rire ; mais cette plaisanterie culinaire est trop fort de café. Ce n’est pas quand tous les fricandeaux sont dépiqués et que tous les canards sont plumés qu’on vient dire au père Lathuile : — Père Lathuile, vous ne servirez demain aux bonapartistes ni fricandeaux, ni canards, ni petit bleu. — Mais, a objecté le père Lathuile, ce petit bien ne doit servir qu’à boire à la santé de l’empereur Napoléon qui est mort il y a trente ans, cela ne peut pas lui faire de mal.

— N’importe, a répliqué le commissaire, je viens de poser les scellés sur les bouchons… Le vin n’en sera que meilleur dans cinq ou six ans, quand on autorisera le banquet. — Et mes fricandeaux ? — Sous les scellés pareillement. — Et mon turbot ? — Idem.

— Et mes canards ? — Ibidem. — Malheureux canards, que je suis donc fâché de les avoir plumés !

— Qu’importe, une fois mis sous les scellés, Ils n’auraient pas tardé à mourir d’inanition ; mieux vaut encore qu’on leur ait tout de suite tordu cou. — Votre remarque n’est pas moins juste que cruelle. — Un commissaire doit avoir un cœur de bronze qui reste inaccessible aux plaintes même des canards… Les scellés, les scellés, les scellés ! »

Comme on peut le voir, la cuisine était une affaire sérieuse chez le père Lathuile, davantage que la politique.

 

La crainte d’une louange en faveur de Napoléon

« Et c’est à la suite de cette conversation, qui a é fidèlement sténographiée par un gâte-sauce, que la marmite bonapartiste a été définitivement culbutée, Tous les souscripteurs affamés qui se sont dirigés vers le lieu du festin, le 5 mai à cinq heures ! n’ont trouvé que le père Lathuile consterné et pas un seul plat.

Le père Lathuile craignait même de se compromettre en leur servant un simple potage, fût-ce même un bouillon hollandais, ce qui est pourtant la moindre des choses. Maintenant quel motif a pu pousser M. Carlier à se montrer si sévère envers des canards destinés à nourrir exclusivement des membres de la société du Dix-Décembre ?

Voilà ce qui intrigue vivement depuis hier toute la ville des Batignolles. Quelques personnes assurent que ce repas devait être présidé par le poète Belmontet qui, comme chacun sait, est l’Ossian du parti bonapartiste ; or, toujours d’après le dire de ces personnes, M. Belmontet devait, au dessert, monter sur la table puis, saisissant une lyre et se drapant à l’aide d’une nappe, il se serait mis à improviser un poème en l’honneur de Napoléon : —le dernier chant aurai été consacré au neveu du grand homme et M. Belmontet aurait terminé en s’écriant : — Ce n’est pas chez le père Lathuile que nous devrions être à l’heure qu’il est, c’est aux Tuileries, aux Tuileries ! Tout cela aurait été dit en vers, mais, n’ayant ni harpe ni nappe, je suis obligé de m’exprimer en prose vulgaire. Après ce cri : Aux Tuileries !—toujours si j’en crois certains habitants des Batignolles qui se donnent comme bien renseignés, » 

 

La peur d’un début de mouvement vers les Tuileries

« M. Belmontet aurait sauté au bas de la table et se serait dirigé vers le palais des Tuileries, suivi des deux cents convives du banquet du père Lathuile. Ces deux cents bonapartistes, arrivés jusqu’aux boulevards en courant, n’auraient pas manqué il at tirer à leur suite tous les locataires de la rue Blanche, puis tous les Parisiens qui se seraient trouvés sur les boulevards, puis tous les habitants de la place Vendôme bref, vingt mille personnes seraient venues envahir tout à coup le palais des Tuileries aux cris de Vive Napoléon ! Le soir même, à huit heures, — huit heures un quart au plus tard, l’empire était proclamé ! »

 

La défense des républicains

« Telle est la version de certains notables des Batignolles. D’autres personnes, se donnant comme non moins des Batignolles et comme non moins bien renseignées, m’ont certifié que M. Carlier n’avait défendu le banquet du père Lathuile que parce que dans ce banquet devait se glisser Cocambo rendu méconnais sable sous le travestissement d’un bonnet à poil.

Au dessert, Cocambo, aidé d’une douzaine de conjurés, profitant du premier trouble joyeux que jette toujours l’apparition du gruyère et du vin de Champagne aurait proclamé la République ! Au milieu de ces renseignements contradictoires et dans le doute où ces différents rapports l’avaient plongé, M. Carlier, voulant à tout prix sauver la France en général et les Batignolles en particulier, s’est décidé à faire mettre les scellés sur les canards. Qui de nous aura la force de le blâmer ? »

 

Sources bibliographiques :

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