Histoires de Paris

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Histoires au détour d'une rue

L’adieu à Edouard Manet chez le père Lathuile

L’adieu à Edouard Manet chez le père Lathuile : Les retrouvailles dans ce restaurant des impressionnistes !

 

Les historiens de l’art le savent bien. Les impressionnistes se retrouvaient souvent tout près de la place de Clichy. Au Café Guerbois ou chez le père Lathuile, ils passaient du temps pour se retrouver, évoquer leurs travaux.

 

Le tableau de Manet

En 1879, Edouard Manet réalise une petite œuvre appelée, « Chez le père Lathuile ». On y voit un couple partageant un verre. Un homme regarde en levant les yeux une femme très habillée, probablement d’une condition sociale supérieure à la sienne.

Derrière eux, on est dans l’ambiance bucolique du cabaret du père Lathuile. Un serveur se tient à la disposition, tenant dans sa main une chocolatière. L’établissement semble très ouvert. Ainsi, tout en étant en pleine ville, on peut encore profiter d’un cadre de jardin, fleuri et vert.

Il s’agit en réalité d’un des derniers tableaux du peintre, mort en 1883.

 

La retrouvaille des impressionnistes après la mort de Manet

En 1885, les amis de Manet se retrouvent chez le père Lathuile, pour honorer Manet. Pour se rendre compte de l’ambiance d’alors, nous laissons la parole au Cri du peuple du 8 janvier 1885.

 

Donc, nous étions cent trente. — On a dit cent cinquante, même deux cents ; mais il ne faut rien exagérer : nous étions cent trente. — Ce qu’il y avait de mieux, dans le dîner, c’était le menu, parce que ce menu était offert à chaque invité, avec une eau forte, reproduisant Chez le Père Lathuile, l’un des plus vivants tableaux d’Edouard Manet.

L’immense table en fer à cheval présent tait un joli coup d’œil : mais on se sentait par trop les coudes.

Les noms ? Faut-il vous les dire ? La barbe et les cheveux plus courts, un peu vieilli, M. Antonin Proust était assis entre MM. Zola et Fautin-Latour. Le sympathique M Leenhoff, le jeune beau-frère que Manet aimait comme un fils, lui faisait vis-à-vis.

Puis pêle-mêle, des confrères et des peintres.

Ces derniers pouvaient le diviser en dent groupes : d’une part, « les impressionnistes » au grand complet : MM. Monet, Degas, Pissarro, Renoir, Caillebotte, Raffaëlli, puis un grand nombre de ceux que j’appellerai « lei opportunistes de la peinture ». — MM. Gervex, Roll, Cazin et Gœnœutte, par exemple — c’est-à-dire des souples, des habiles, qui, influencés par Manet, font du modernisme sans doute, mais sans rompre avec l’école : tel était celui qui vient de mourir, Bastien Lepage : ni chair ni poisson ! — Tiens ! je viens de m’apercevoir que j’oublie Guillemet, qui a beaucoup de talent, mais avec lequel je suis trop camarade pour chercher à le classer. »

 

Les toasts

« Les toasts, alors? — Oh ! pas davantage que les noms ! — J’en ai entendu au moins trois. M. Antonin Proust, un diseur merveilleux, a peut-être trop parlé de l’Exposition de 1889, lorsque j’eusse préféré l’entendre se déboutonner davantage, raconter par exemple l’époque, où, élève du peintre Couture, comme Manet, il vit de près les belles flammes artistiques de la jeunesse du grand artiste. Mais, il a terminé en buvant : c à la sincérité dans l’art ! » Pouvait-on en demander davantage à un ex-ministre opportuniste ? L’ami Bazire a bu ensuite à l’époque où la peinture de Manet entrera au Louvre. Et M. Cazin, a tenu à rappeler que, lui, Cazin, avait été « refusé » en 1863, tout comme Manet. Allons, soit !

Soit ! Mais si je vous disais que, au commencement du gueuleton, un mot — un bout de dialogue, non loin de moi, entre je ne sais plus’ qui, m’a remué autrement que tous les speechs :

 

— Nous y sommes tous… les amis de la veille et ceux du lendemain !…

— Même ceux de l’année prochaine ! Mais quelqu’un manque…

— Qui ?

— Duranty… »

 

L’ombre de Duranty

« Edmond Duranty ! J’ai pensé à lui tout le temps, mardi soir, chez le Père Lathuile, restaurant admirablement placé, à deux pas de ce café Guerbois, qui, voici dix ans, était le quartier général de l’Ecole de peinture, dite « des Batignolles ». Que d’anecdotes et de souvenirs, si j’avais le temps ! Par exemple, le duel Manet et Duranty…

Oui, un jour, pour je ne sais quel article de Duranty, qui ne parut pas assez élogieux à Manet, les deux grands amis se prirent de bec ; la querelle s’envenima, et il y eut rencontre sur le terrain.

Etaient témoins de Duranty : Zola et un romancier sans talent, feu Vigneau. Témoins de Manet : M. Schnerb, aujourd’hui préfet je ne sais où, et M. Lafargue.,

Ce fut un duel épique. Ignorant absolument l’art de l’escrime et alignés pour un simple différend artistique, Manet et Duranty, se jetèrent avec tant de bravoure furieuse l’un contre l’autre, que, lorsque les quatre témoins consternés les séparèrent, leurs deux épées se trouvaient changées en une paire de tire-bouchons.

Le soir même, ils étaient redevenus les meilleurs amis du monde. Et les habitués du café Guerbois, heureux et soulagés, composaient sur eux ce triolet de neuf vers, fortement impressionniste :

Manet, Duranty sont deux gars Qui font une admirable paire ;

Aux poncifs, ils font des dégâts.

Manet, Duranty sont deux gars. L’Institut qui les vitupère Les méprise autant que. Degas,

Parce qu’ils font des becs de gaz.

Manet, Duranty sont deux gars Qui font une admirable paire.

Comme c’est loin, ce temps-là. La jeunesse est une belle chose, mais elle est courte.

 

Sources bibliographiques :

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