Histoires de Paris

A chaque coin de rue de Paris, des histoires… souvent revues, réadaptées mais fascinantes

Histoires de Seine

Le début de la crue de 1910

Le début de la crue de 1910 : quand des fortes pluies généralisées font monter très vite toutes les rivières.

Au commencement de la crue de 1910, était la pluie.

Il faut dire que la France n’était pas épargnée depuis la fin de l’été 1909. Un automne pluvieux, plusieurs gros coups de vents (orage violent, tempête…) avaient émaillé les mois précédents de ce fameux janvier 1910. Aussi, les sols étaient totalement gorgés d’eau et les rivières déjà hautes. D’ailleurs, plusieurs alertes à la crue avaient été émises en décembre.

Aussi, des grosses pluies mi-janvier apportèrent le coup de grâce ! La Seine monta inexorablement.

Résumant la situation, l’Echo de Paris écrit le 21 janvier 1910 : « Puisqu’il est entendu que les petits ruisseaux font les grandes rivières, on ne surprendra personne en disant que les torrents d’eau que nous avons reçus pendant ces jours passés ont grossi les fleuves au point de les faire déborder un peu partout. »

Un mauvais temps généralisé

C’est une véritable dépression qui frappa la France à partir de mi-janvier. Comme souvent, le mauvais temps arriva de l’ouest.

Ainsi, l’Echo de Paris du 18 janvier revient sur la météo, d’abord en Bretagne.

« Le mauvais temps persiste sur les côtes bretonnes. Plusieurs barques qui faisaient la pèche dans la baie du Fret se sont abordées. L’une d’elles, Demeure du Saint Esprit, a sombré mais son équipage a pu être sauvé. De nombreuses épaves de toute sorte sont recueillies différents points du littoral breton, ce qui fait supposer que des sinistres ont du se produire au large »

 

La Normandie n’était pas en reste :

« Une violente tempête du sud ouest sévit sur notre ville [Le Havre] depuis hier, la mer est grosse et de nombreuses barques de pèche sont entrées en relâche  dans notre port. Vers deux heures cet après midi, le ciel s’est tout à coup couvert  et des grondements de tonnerre se sont fait entendre. Une forte pluie est tombée sur la ville dans l’après midi. »

Ce mauvais temps est généralisé, comme le rapporte dans ses colonnes le Figaro du 17 janvier :

« Des pluies sont tombées sur presque toute l’Europe. En France, le temps a été un peu pluvieux, sauf dans le Sud. Le vent prend de la force sur nos côtes de la Manche et de la Bretagne où la mer devient houleuse.

La température est relativement élevée sur tout l’ouest de l’Europe. On notait hier : 5°C à Lyon, 8°C à Biarritz, 10°C à Marseille. »

De ce fait, pas surprenant comme la Seine monte dés le 18 janvier, atteignant comme l’indique la Petite République du 19 janvier, les cotes de « au pont d’Austerlitz, 2m78 ; au pont des Tournelles, 2m60 ; au pont Royal 3m79 ; au pont de Bezons 3m70. »

Des premières inondations dans la banlieue

Rapidement, des rivières proches de Paris se mettent à monter rapidement. C’est le cas en particulier du Grand Morin, affluent de la Marne.

Le Petit Journal du 19 janvier écrit, ainsi :

« Par suite des pluies incessantes, le Grand Morin a subi dans la journée une crue de plus de deux mètres. Toute la vallée est inondée, les routes sont coupées.

A Coulommiers, la rue de Paris est pleine d’eau. On redoute pour cette nuit une nouvelle crue qui inonderait toutes les parties basses de la ville.

Les plus grandes précautions sont prises par les riverains. »

De ce fait, la Seine devient très vite le réceptacle de cette montée des eaux soudaines, comme l’indique la Petite République du 20 janvier :

« La Seine commence à donner de sérieuses inquiétudes aux ingénieurs du service de la navigation. Déjà, elle atteint le point auquel elle s’élevait il y a un mois. En plein Paris, de la Concorde aux Tournelles, elle affleure les bas ports.

Mais elle monte toujours, et doit monter encore dans des proportions de plus en plus inquiétantes.

C’est ainsi qu’on est sûr qu’elle atteindra dans quarante huit heures, l’étiage de 4m20 au pont royal. Or 4 m 20, c’est la navigation suspendue, les bas ports noyés et les marchandises avariées, car il est impossible de garer à temps tout ce qui est accumulé sur les bas ports.

Et puis ce n’est pas tout. Car il y a encore la possibilité d’une continuation des pluies, qui déterminerait une aggravation de la crue. »

Et qui touchent des régions de plus en plus vastes

Il faut dire que les pluies touchent toute la France. La Petite République écrit à ce propos le 20 janvier : « Dans les Vosges, le Jura, les Alpes, les rivières sortent de leur lit, occasionnant de graves dégâts. » De ce fait, les inondations concernent toutes les rivières du nord du pays.

Aussi, avec le Grand Morin qui envahi Coulommiers, la Marne déborde. « Hier matin, le service de la navigation faisait savoir par voie d’affiche apposée à la Mairie de Meaux que la Marne avait atteint 3m.10 en hausse de 0m.90 sur l’étiage de la veille » indique le Petit Journal le 20 janvier. La rivière n’avait pas besoin de ça. En effet, encore en amont, la Marne menaçait alors les maisons de Chalons.

C’est aussi le cas de la Haute Seine, comme l’écrit en poursuivant le journaliste :

« L’Almont, petite rivière, qui vient se jeter dans la Seine est montée de plus d’un mètre. Cette crue a occasionné beaucoup de dégâts : la scierie mécanique Ganot, qui occupe une trentaine d’ouvriers, a du suspendre le travail. Dans la nuit, on a été obligé de déménager de pauvres gens dont les habitations étaient envahies par l’eau.»

Il rapporte que le Loing a totalement inondé les bas quartiers de Montargis.

La ville de Tonnerre était victime d’une crue de l’Armançon, faisant des dégâts dans les caves, écrouler des murs et couper les communications télégraphiques. L’Yonne aussi était sortie de son lit.

« De Savigny sur Orge, on écrit que la vallée de l’Orge toute entière est inondée. Port Aviation n’est plus qu’un immense lac » d’après l’Action Française du 21 janvier 1910.

Ainsi, la plupart des affluents de la Seine, en amont de Paris était en crue.

L’eau qui monte à une vitesse vertigineuse

La situation de Paris, en aval des principaux affluents de la Seine, qui avait été un avantage considérable pour la circulation de marchandises pendant des siècles, devient vite un énorme inconvénient. Toutes ces eaux devaient à un moment ou à un autre traverser la capitale.

Pas de surprise donc de lire les colonnes de la Petite République du 21 janvier :

« Toutes les prévisions de hausse du fleuve sont dépassées aussitôt annoncées.

L’eau montait pour ainsi dire à vue d’œil, et les prévisions du service hydrographiques étaient dépassées  presque aussitôt annoncées.

C’est ainsi que, alors que dans  la soirée, ces services annonçaient que l’étiage de la Seine monterait à quatre mètres dix au Port Royal, cet étage était atteint et dépassé dans la nuit et qu’hier matin, il atteignait quatre mètres soixante.

Le service hydrographique publia alors une nouvelle note disant textuellement que d’ici à Samedi, la crue atteindrait son maximum avec une hauteur de 4 m 78 à Port Royal.

Or hier, à quatre heures de l’après midi, les cinq mètres étaient atteint par le fleuve et dépassés dans la soirée car l’eau monte avec une rapidité inquiétante. »

Alors, face à l’urgence on tente de faire face pour gérer comme on peut le niveau de l’eau : « Les barrages de la Monnaie, de Suresnes et de Port à l’Anglais, ont été baissés par les services compétents. »

Les premières conséquences de la montée des eaux se font sentir à Paris

Le 20 janvier, on ferma le service des Bateaux parisiens et on limita comme on put l’activité marchande.

« Partout le transbordement des marchandises est interrompu, les grues étant inondées pour la plupart. Au pont des Saints Pères, l’eau menace les bâtiments de la douane et les bureaux des compagnies diverses de navigation. Les marchandises, bien qu’elles aient été rapidement retirées sur les points les plus élevés des ports, sont déjà atteintes par les eaux. »

A Bercy, les entrepôts les plus bas étaient sous l’eau. Aussi, des barriques qui avaient été oubliées furent emportées par les flots.

Plusieurs journaux revenaient également sur la situation des chevaux utilisés pour la livraison des marchandises au pont du Carrousel et qui avaient de l’eau jusqu’au poitrail. »

Comme on peut se douter, la circulation des péniches devenait plus que hasardeuse, comme le souligne le Grand National du 21 janvier :

« La navigation, d’ailleurs, est devenue pour les mariniers des plus pénibles et les curieux étaient nombreux, qui sur les ponts, suivaient la marche des convois de péniches et de chalands tirés par des remorqueurs.

La plupart des convois des chalands sont remorqués en double, et ce n’est qu’avec la plus grande peine qu’ils remontent le courant. »

La Petite République compléta le même jour : « La violence du courant est à ce point redoutable qu’on a du suspendre les opérations de déblaiement du fleuve obstrué par les péniches coulées à pic. »

On rapporta également un premier accident, comme l’écrit la Petite République du 21 janvier :  « Déjà, dans la nuit dernière, le bateau de sauvetage Tonkin, amarré quai de la Marine,, porteur de deux grues et d’un matériel important, a sombré sous la violence du courant. Toutes les mesures ont été prises pour que cet accident n’ait pas de suite regrettables. »

Avec une vitesse impressionnante, la crue centennale avait démarré. On ne le savait pas encore !

Sources bibliographiques :

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