Histoires de Paris

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Repères

Le dégel de janvier 1880

Le dégel de janvier 1880 : la température repasse en zone positive et transforme neige et glace en boue noire

 

Au moment où nous écrivons cet article, en février 2021, Paris traverse une petite semaine avec des températures négatives. Après avoir été blanches les premiers jours, les rues conservent une certaine quantité de sel et un peu de verglas. Cela peut sembler long, mais cela n’est rien comparé au mois infernal que les parisiens affrontèrent en décembre 1879.

Pendant 30 jours, le mercure reste figé en dessous de -10°C. La Seine gèle, les accidents et les victimes se multiplient en ville. Les rues sont couvertes de neige.

Puis vint enfin la délivrance ! Les températures remontent à la toute fin de l’année, annonçant pour le début de janvier 1880, un dégel sur lequel nous allons nous arrêter dans cet article.

 

Une première tentative au milieu de décembre

Après une grosse dizaine de jours de grand froid, le thermomètre semble se redresser. Il avait neigé avec une grande densité précédemment et les rues, ainsi que les toits en sont recouverts. Aussi, ce dégel léger n’est pas vu avec un mauvais œil.

Toutefois, rapidement, la météo se refroidit de nouveau. Le dégel n’arriva pas tout de suite. Cela n’avait pas empêché les autorités de commencer à s’y préparer

Le Petit Journal écrit à ce propos le 13 décembre, indiquant que cette légère baisse du froid est vue comme une période de repos :

« La journée d’hier ayant été assez douce sans dégel réel cependant, on en a profilé pour faire jaillir les bouches d’eau qui ont lavé un grand nombre d’endroits. »

 

Mais c’était une fausse alerte. Le Petit Parisien est un peu désespéré à ce sujet dans son édition du 16 décembre

« Il y a quelques jours, au moment où tout le monde se réjouissait de la cessation de la neige, elle recommençait à tomber. Hier matin tous les journaux parlaient du dégel et la gelée recommence. »

 

L’amorçage du véritable dégel à la faveur des fêtes

Il fallut en effet attendre la fin du mois de décembre pour que le dégel commence à poindre son nez. Cela impliquait bien sûr de continuer à affronter ce froid terrible.

Dans ses colonnes du 28 décembre, le Petit Journal annonce enfin :

« Un changement notable s’est produit dans la température hier, vendredi ; le refroidissement nocturne a été moins intense, et le thermomètre est remonté d’une façon sensible. Toutefois, le baromètre est resté immobile.

Est-ce le dégel ? Nous le saurons mieux demain. . . »

Il reste prudent comme on le voit. Mais cette baisse de l’intensité du froid permet aux services de la voirie de mettre les bouchées doubles pour retirer la neige qui s’était accumulée dans les rues de Paris.

« Le déblayement des rues a pu être accéléré. Quelques voies étant tout à fait libres sur le parcours de certaines lignes d’omnibus, on a pu sup primer le troisième cheval aux attelages des voitures ; mais les grands omnibus à 40 places conservent encore jusqu’à nouvel ordre leur attelage de cinq chevaux. »

Ce d’autant que la météo est encourageante :

« Le thermomètre a marqué 1 degré glace à sept heures du matin, 2 à une heure après midi. Hauteur barométrique, 772.

Le vent tend à tourner vers le sud ; l’adoucissement de température observé près de Paris va s’étendre sur nos autres régions et le ciel reste nuageux ou couvert avec brouillards. »

En tout état de cause, la Seine reste totalement gelée et les parisiens peuvent s’en donner à cœur joie, tant pour y faire des glissades que la regarder à l’abri sur les ponts.

 

 

Le retour des températures au-dessus de 0°C

La limite de 0°C est bien évidemment une barre psychologique essentielles lorsqu’on affronte un hiver très froid. Elle implique si on la dépasse enfin la disparition inexorable de la neige et de la glace qui s’étaient installées dans la ville. Imaginez la joie des parisiens en cette fin de décembre, après un mois de froid glacial. Nous lisons avec plaisir dans le Petit Journal du 31 décembre 1879 :

« Nous avons constaté dans notre dernier bulletin de la température le revirement qui s’est opéré dans la soirée de dimanche. Le thermomètre est tout à coup remonté à 3 degrés au-dessus de zéro ; il a plu pendant environ une heure, et le dégel a commencé.

Depuis ce moment, le thermomètre s’est maintenu à cette hauteur, qu’il a même dépassée »

 

De son côté, le Petit Parisien du 1er janvier ne voit pas les choses avec autant de joie :  

« On s’était habitué à la neige, l’on se fait à la boue ; enfin, on ne grelotte plus. Bien que le thermomètre soit un moment descendu à deux degrés la nuit dernière, le dégel continue. Deux degrés, la belle affaire, pour des gens qui ont enduré temps derniers un froid à glacer des ours blancs »

 

Face à la boue

Alors bien sûr, les difficultés ne sont pas terminées. La neige blanche se transforme en eau liquide qui se trouve vite souillée par les saletés de la ville. C’est d’autant plus important que la circulation avait été difficile.

Le Petit Journal du 31 décembre rapporte :

« Paris se trouve actuellement noyé dans un gâchis de neige, de glace fondue et de boue à laquelle se trouvent mêlés toutes sortes d’immondices. On sait que durant les trente-deux jours qu’a duré la gelée, il a été jeté pas mal de cendres sur les trottoirs, voire de la paille et des détritus de légumes, et que les ménagères, n’entendant plus la cloche des boueux, portaient leur panier de cuisine sur les tas de neige. Cela fait actuellement un brouet noir qui sollicite quelques coups de balais sérieux. 

Aussi, la direction de la voirie a-t-elle réorganisé son service et augmente le nombre des balayeurs.

Les tas de neige, qui sont tellement tassés qu’ils résistent encore au dégel, seront poussés dans les égouts au fur et à mesure de leur fonte. Il s’agit, non seulement d’assurer la libre circulation des rues, mais encore d’épargner aux boutiques, surtout celles qui se trouvent au bas de rues en pente, les inondations dont elles sont menacées. » 

 

On craint également des inondations dans les maisons

Après la glace bloquée dans les canalisations, l’eau liquide se met en mouvement bien rapidement. Aussi, une vigilance forte est préconisée au niveau des canalisations. Cela n’empêche pas les incidents ainsi que le met en avant le Petit Journal du 31 décembre

« De véritables inondations se sont produites, pendant la nuit dernière, dans les maisons où les ménagères, ignorant le dégel, n’avaient pas eu la précaution de boucher le trou de l’évier. Les eaux des toits descendant par les tuyaux encore gelés ; à leur base, se sont déversées par les trous d’évier, aux étages supérieurs. »

Ces eaux vont toute vers le même exutoire, dont il s’agit de veiller

« Nous disons plus haut que les tas de neige seront déversés dans les égouts. En attendant d’en prescrire l’ordre, l’administration s’occupe de le faire inspecter. Il s’agit, en effet, de s’assurer du fonctionnement des égouts qui ont déjà reçu plus de cent mille tombereaux de neige ; et indépendamment de la congélation de cette neige, qui pourrait retarder l’écoulement, il faut aussi compter sur la hausse plus que certaine des eaux de la Seine qui ralentira le débouché. »

Les risques d’inondations ne concernaient bien évidemment pas que les habitations, mais aussi la Seine. Elle connut une véritable débâcle que nous vous conterons dans un autre article.

 

Les services de la voirie sur le pied de guerre

La neige s’était accumulée et elle se transforme vite. Elle est totalement souillée par les nombreux déchets et se transforme en boue. Pour la Ville de Paris, il est essentiel de réagir vite. Nous citons ainsi le Petit Parisien du 1er janvier 1880 pour en savoir plus :

« On s’était habitué à la neige, l’on se fait à la boue ; enfin, on ne grelotte plus. Bien que le thermomètre soit un moment descendu à deux degrés la nuit dernière, le dégel continue. Deux degrés, la belle affaire, pour des gens qui ont enduré temps derniers un froid à glacer des ours blancs

Les employés de la voirie déploient une grande activité, mais leur nombre est insuffisant, et la neige, mélangée à une houe gluante, couvre la plupart des chaussées, absolument inabordables aux piétons. 

Cet activisme n’est toutefois pas aussi efficace que ce qu’attendraient certains

« Les rues de Paris sont toujours noyées dans la boue ; et quelle, boue !

On nous a bien annoncé que le nombre des balayeurs allait être augmenté ; mais nous n’avons pas remarqué que le balayage se fit plus promptement qu’à l’habitude. Certaines rues sont impraticables pour les piétons. »

 

Un dégel rapide

Après ce froid intense, les températures semblent s’installer véritablement au-dessus de 0°C. Nous poursuivons avec le Petit Parisien du 1er janvier.

« L’ouragan qui a déterminé le dégel s’est un peu calmé ; Il y a eu une gelée blanche, hier matin. Le thermomètre a marqué, hier mardi, 1 degré au-dessus de zéro à sept heures du matin, 4 à une heure après-midi. Hauteur barométrique, 764.

Le ciel est nuageux dans presque toute la France, mais il va se couvrir de nouveau sur notre versant nord-ouest et les pluies reprendront en Bretagne. » 

La pluie est annoncée.

 

Le Petit Journal confirme la situation le 2 janvier :

« En dépit du léger refroidissement, constaté dans la matinée du 30 décembre, la température s’est de nouveau élevée sous l’action du vent qui souffle du sud au sud-ouest. Aussi, le dégel s’opère-t-il toujours avec rapidité.

Le régime doux et tempétueux va continuer avec ciel pluvieux, principalement dans nos régions du nord. »

 

Un dégel accentué par la pluie

Paris est connu pour sa grisaille en hiver. Cela limite les périodes froides mais cela n’est guère agréable. C’est cette situation que les parisiens connaissent alors, ainsi que l’écrit le Petit Journal, le 3 janvier

« Le thermomètre d’hier, jeudi a marqué à 7 heures six degrés au-dessus de zéro, et à 1 heure de l’après-midi dix degrés. Hauteur barométrique, 762.

La journée du premier de l’an a produit, comme les années, précédentes, une grande circulation dans Paris, malgré la boue et un temps gris fort désagréable. » 

Dans son numéro du 4 janvier, Le Petit Journal rapporte des faits dans la continuité

« La pression barométrique continue à être relativement élevée, mais les vents du sud-ouest, ne lâchent point, et la température est excessivement élevée pour la saison. Le dégel continue à se produire avec une rapidité tout à fait inusitée pour le mois de janvier. Le thermomètre a marqué, hier vendredi, 8 degrés au-dessus de zéro à sept heures du matin, 10 à une après-midi. Hauteur barométrique, 768. »

 

Sources bibliographiques :

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