Les victimes du froid de 1879
Les victimes du froid de 1879 : de rapides congestions mortelles si l’on ne se méfiait pas ou réagissait mal.
Ainsi que nous l’avons décrit dans plusieurs articles, Paris connait en cette fin d’année 1879 un hiver terrible. Même si le froid était arrivé déjà depuis quelques semaines, il est devenu très intense tout au long du mois de décembre.
Si fort et intense qu’il fait de nombreuses victimes en ville. Revue de presse d’alors !
« Le froid excessif ne nous inflige pas seulement les lésions locales connues sous le nom d’engelures ; il détermine aussi sur l’économie tout entière, des accidents généraux graves, un engourdissement léthargique souvent suivi, de mort. »
Dans son édition du 25 décembre 1879, le Petit Journal laisse la parole au docteur Bengade attirer l’attention des lecteurs sur les risques du froid. Nous nous allons nous en servir de fil rouge.
« Quiconque se repose et s’endort de ne se réveille plus ! »
« L’engourdissement par le froid s’annonce toujours par un assoupissement, un besoin de repos qu’il faut bien se garder de satisfaire. ‘Quiconque se repose, s’endort, disait Solander à ses compagnons égarés dans les déserts glacés du pôle, et quiconque s’endort, ne se réveille plus !’
Il n’est point rare, par un rude hiver comme celui que nous traversons, que des voyageurs, des voituriers, des facteurs ruraux, surpris par un froid exceptionnel, cèdent sur leur route à cette insurmontable nécessité de s’asseoir, qui leur coûte la vie; mais les plus tristes exemples de cette léthargie mortelle se sont produits à la suite de nos grands revers militaires, soit pendant la désastreuse retraite de Moscou, soit même durant le terrible hiver de 1870-1871 sur les soldats mal équipés de notre armée de l’est, qui fut, si malheureusement, rejetée en Suisse.
La mort, dans tous les cas de ce genre, est occasionnée par le refoulement du sang vers la poitrine, par la congestion des poumons, par les phénomènes ultimes de l’asphyxie. »
Un tout jeune enfant mort de faim près de sa mère décédée
« Avant hier, les voisins de la femme. Angelina Salzlecher, âgée de vingt ans, chiffonnière, demeurant rue Thiers, n° 13, entendirent des gémissements partant de son logement, et surpris de ne pas avoir aperçu leur voisine demis deux jours, enfoncèrent la porte. » rapporte le Petit Journal du 13 décembre 1879
« La mère fut trouvée morte dans son lit mais, un petit garçon, âgé de quinze mois, se trouvait lui sur le parquet de la chambre, à moitié gelé. Les voisins recueillirent le pauvre bébé, le réchauffèrent et lui donnèrent à manger. Cet enfant dévorait avec, voracité, et cela n’était pas étonnant, car il n’avait pas mangé depuis trente heures que sa mère était morte par suite d’une congestion cérébrale provoquée par le froid, ainsi que l’a constaté M. le docteur Rochette, à la Morgue, où le corps a été transporté. »
Une femme retrouvée étendue dans la rue
« Vers cinq heures, hier matin, les gardiens de la paix de ronde de nuit trouvèrent, à l’angle de la rue de la Michodière et de la rue de Hanovre, une chiffonnière étendue sur le sol et ne donnant plus signe de vie.
Au poste voisin où elle fut transportée, on constata que cette femme nommée Darde, âgée de soixante ans, était morte depuis deux heures environ, par suite d’une congestion cérébrale provoquée par le froid. Le cadavre a été transporté à la Morgue. » Petit Journal du 26 décembre 1879.
L’incapacité à respirer
« Quelques minutes avant d’expirer, les malheureux frappés de la sorte sont, affaiblis au point de ne pouvoir dilater leurs narines ni même ouvrir la bouche pour aspirer l’air qui leur fait défaut. Ils chancellent, trébuchent et tombent-, désormais incapables d’accomplir le moindre mouvement. Quand, par un froid rigoureux, on est forcé de faire une longue route, il faut donc, après s’être bien vêtu, bien chaussé, se résoudre à marcher constamment, sans jamais, s’arrêter, jusqu’à ce que l’on trouve une habitation où l’on puisse, sans danger, se réchauffer et reprendre des forces. »
Ainsi, comme l’écrivit le Petit Journal dans son édition du 23 décembre 1879,
« M. Larchevêque, employé à la compagnie du gaz et demeurant avenue de la Reine-Hortense, s’est affaissé samedi soir rue de Châteaudun, sur la chaussée. Transporté dans une pharmacie, cet homme y a rendu le dernier soupir. Un médecin a constaté qu’il était, mort d’une congestion cérébrale provoquée par le froid. »
Un autre homme fut retrouvé mort dans la rue le jour de Noël. Extrait du Petit Parisien du 26 décembre !
« On a apporté hier à la morgue le cadavre d’un individu trouvé mort vers quatre heures du matin dans une rue du quartier Caillou. Cet homme avait sur lui une médaille de chiffonnier numéro 5618, au nom de P. Darde.
Voici son signalement soixante-trois ans, un mètre soixante-cinq, cheveux gris, front moyen, bouche moyenne, visage ovale.
Il était vêtu d’une blouse en toile grise, d’un paletot en velours marron, d’une veste en drap, d’une blouse bleue, pantalon en drap et cotte en toile.
Chemise oxford à raies couleur, chaussettes en laine et bottines.
On attribue la mort de cet individu à une congestion déterminée par le froid. »
Eviter les chaleurs rapidement
« De temps en temps, si l’on se sent gagner par le froid, il est bon de secouer, d’agiter ses membres, d’accélérer le pas, d’absorber, enfin, quelques gorgées d’un cordial dont le meilleur se compose d’une forte infusion de café additionnée d’une petite quantité de vieux rhum ou de cognac.
Dans aucune circonstance, pour combattre l’engourdissement, et moins que jamais s’il s’agit de secourir une personne frappée d’asphyxie frigorique, on ne devra d’abord avoir recours à la chaleur du feu, la mort instantanée pouvant être, dans ce dernier cas, le résultat d’une telle imprudence. »
En illustration malheureusement, le Petit Journal signala le 24 décembre 1879, la triste histoire d’une dame de la rue de Rome
« Une femme âgée de soixante-huit ans entrait dimanche soir dans la loge d’un concierge de la rue de Moscou et demandait la permission de se chauffer.
Le concierge accueillit cette dame avec beaucoup d’obligeance et lui avança un fauteuil devant la cheminée ; mais à peine s’était-elle assise qu’elle portait la main sur son cœur et laissait tomber sa tête sur sa poitrine. Elle était morte.
Cette malheureuse avait succombé à une congestion provoquée par le froid. On a trouvé sur elle des papiers établissant qu’elle habitait rue de Rome. Le corps y a été transporté. »
Elever progressivement la température
« Suivant la coutume des peuples du Nord, on réchauffera progressivement l’asphyxié en le frictionnant avec de la neige d’abord, et le plongeant ensuite dans un bain à 12 ou 15° dont on élèvera graduellement la température.
Quelques cuillerées de vin vieux, du thé, du tilleul chauds réveilleront la chaleur intérieure, et le repos dans un bon lit, aidé de frictions sèches, mieux que tout autre moyen, régularisera définitivement la circulation. »
Ce réchauffage progressif est essentiel, ainsi que nous le montre le terrible accident décrit dans le Petit Parisien du 27 décembre
« Hier matin, vers sept heures et demie, M. D. demeurant aux Prés-Saint-Gervais, descendait la rue de Belleville lorsqu’il se sentit subitement indisposé. Il entra chez un marchand de vin de la rue et demanda à boire quelque chose de chaud.
Pendant qu’on le servait, il s’approcha du four. Le voyant faiblir, le marchand de vin approcha une chaise le malade s’affaissa en poussant un soupir.
Un médecin appelé immédiatement ne put que constater la mort par congestion causée par le froid. »
Le réchauffement peut avoir des effets plus tardif et sournois.
« Un étudiant en médecine nommé G. habitant avec sa maitresse un hôtel meublé, rue Monsieur le Prince, était rentré en compagnie de cette dernière, dimanche soir, dans les meilleures conditions de santé.
Lundi matin, en se réveillant, trouva sa compagne glacée à côté de lui, il eut beau l’appeler, pas de réponse ; il voulut la remuer, elle était rigide. Affolé, le pauvre garçon appela « Au secours » et envoya chercher un médecin.
Le médecin ne put que constater le décès de la pauvre fille, qui avait succombé à une congestion provoquée par le passage du froid très, vif à la haute température où elle avait passé la nuit. »
Un chauffage du reste bien dangereux
Les risques d’asphyxions
Avec le froid, la tentation de mettre plus fort son chauffage est forte. Cela n’était pas sans risque. Le Petit Journal du 20 décembre indique la mésaventure de deux jeunes filles.
« Vers onze heures, mercredi soir, un habitant de la rue Béranger entendit des gémissements qui partaient d’un logement contigu au sien et occupé par deux jeunes sœurs âgées de onze et dix-neuf ans.
Il pénétra dans le logement par une fenêtre à tabatière et trouva les deux jeunes filles, couchées et à moitié axphyxiées. Il donna de l’air au logement, et les malheureuses reprirent peu à peu leurs sens. La mère avait involontairement causé cet accident.
Etant obligée de s’absenter et craignant que ses enfants n’aient froid, elle avait bourré un fourneau de charbon de bois »
Ces deux enfants ne furent pas les seules, ainsi que nous le lisons dans le Petit Journal du 25 décembre :
« Pour lutter contre le froid, une jeune fille de vingt-deux ans, demeurant rue de Mulhouse, commit l’imprudence, en se couchant, d’allumer un réchaud de charbon.
Des voisins, ayant entendu des gémissements qui partaient du logement de Mlle Ch., enfoncèrent la porte et la trouvèrent se tordant dans d’atroces convulsions causées par l’asphyxie.
Des soins empressés donnés par un médecin parvinrent à la ranimer. »
Et d’incendie
Avec le chauffage, on risque aussi de se brûler :
« Autre imprudence du même genre. La dame C… rue des Entrepreneurs, a mis le feu à ses vêtements lundi soir en s’endormant près de son poêle surchauffé.
Réveillée par la douleur, elle se mit à crier au secours et une voisine, qui fort heureusement entendit ses cris, pénétra dans sa chambre et jeta sur elle une couverture arrachée du lit. La dame avait la jambe droite, les mains et une partie du dos grièvement brûlés »
Le 26 décembre, le Petit Journal indique un autre cas d’accident de cette nature
« Pour activer son feu, Mme Rose M…, habitant rue des Martyrs, eut l’idée d’y verser un peu de pétrole. Des flammes s’élevèrent aussitôt et se communiquèrent aux vêtements, de la malheureuse. Aux cris poussés par la victime, des voisins accoururent pour lui porter secours. On l’enveloppa d’une couverture pour la transporter à l’hôpital Lariboisière ; mais elle ne tarda pas à rendre le dernier soupir. »
Le danger des puits.
Pour terminer ce titre tableau, revenons dans le Petit Journal du 26 décembre pour découvrir la triste mort d’un roulier :
« Un roulier, nommé Joseph, employé chez M. Ch…, à Charlebourg, commune de Colombes, avait à donner à boire à ses chevaux.
Il était onze heures du soir, et il était allé au puits. La poulie a cassé, et dans le mouvement imprimé par cette rupture, cet homme a été précipité dans le puits. On a retrouvé son corps le lendemain matin, les poings rongés par suite des efforts qu’il avait faits pour sortir du puits, efforts inutiles, car, paralysé par le froid, le malheureux, dont personne ne pouvait entendre les cris désespérés était fatalement voué à la mort. »
Sources bibliographiques :
- Le Petit Journal du 13 décembre 1879
- Le Petit Journal du 20 décembre 1879
- Le Petit Journal du 23 décembre 1879
- Le Petit Journal du 24 décembre 1879
- Le Petit Journal du 25 décembre 1879
- Le Petit Parisien du 26 décembre 1879
- Le Petit Journal du 26 décembre 1879
- Le Petit Journal du 28 décembre 1879