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L’octroi de Paris : retour sur l’impôt oublié aux portes de la capitale

L’octroi de Paris est longtemps resté un élément incontournable du paysage fiscal et urbain de la capitale française, pourtant il est aujourd’hui largement méconnu du grand public. Cet impôt indirect, perçu aux portes de la ville, jouait un rôle fondamental dans le financement des services municipaux, du XVIIIe siècle jusqu’à sa suppression en 1943. Il incarnait aussi une frontière physique, économique et sociale entre Paris et sa périphérie, à travers un réseau de barrières et un mur emblématique, celui des Fermiers généraux. Cet article revient sur cette institution fiscale oubliée, son fonctionnement, ses enjeux, et les raisons de sa disparition, afin de mieux comprendre un pan important de l’histoire urbaine et fiscale parisienne.

Qu’est-ce que l’octroi de Paris ?

L’octroi est un impôt indirect prélevé sur certaines marchandises entrant dans une ville, ici Paris. Son objectif principal était de financer les dépenses publiques locales, telles que l’entretien des rues, l’éclairage, la police, les égouts et plus tard, les transports. L’octroi trouve ses racines dans l’Ancien Régime, où la gestion des finances publiques était fragmentée entre l’État et les municipalités. À Paris, l’octroi fut progressivement institutionnalisé, notamment sous l’Ancien Régime, puis rationalisé sous la Révolution et le XIXe siècle.

L’octroi parisien permettait ainsi à la municipalité d’avoir une source de revenu autonome, indépendante des impôts directs perçus sur les citoyens, en taxant les biens qui entraient dans la capitale. Cette taxe frappait principalement les denrées alimentaires (pain, viande, vin, sucre), le charbon, le bois de chauffage, et diverses autres marchandises indispensables à la vie urbaine.

Le fonctionnement de l’octroi

Pour contrôler cette taxation, Paris était entouré d’une enceinte fiscale matérialisée par des barrières, appelées barrières d’octroi. Ces points de passage étaient installés aux principales routes et voies d’accès à la ville. Chaque transporteur ou commerçant devait déclarer ses marchandises à l’arrivée et s’acquitter d’une taxe proportionnelle à la nature et à la quantité des biens transportés.

Les agents de l’octroi, souvent surnommés les « octroyeurs », avaient pour mission de contrôler rigoureusement ces entrées. Ce travail était difficile et mal vu, car ils incarnaient l’autorité fiscale et ralentissaient la circulation des marchandises. L’octroi fonctionnait selon deux modes principaux : la régie municipale, où la ville gérait directement la collecte, ou le fermage, où cette tâche était confiée à des entreprises privées moyennant un paiement forfaitaire.

Parmi les marchandises taxées figuraient le vin, l’alcool, la viande, les céréales, le bois, le charbon, ainsi que le sucre et d’autres produits de première nécessité. Ces taxes représentaient un coût supplémentaire important, notamment pour les classes populaires.

Les enjeux sociaux et économiques

L’octroi, en frappant les biens essentiels, avait un impact direct sur le coût de la vie parisienne. Il augmentait le prix des aliments de base, ce qui pesait plus lourdement sur les ménages modestes que sur les plus aisés. Cette injustice fiscale fut une source récurrente de mécontentement populaire.

Par ailleurs, l’octroi ralentissait les échanges commerciaux et la circulation des marchandises, constituant un frein à la liberté économique. Les barrières d’octroi provoquaient parfois des embouteillages et des retards, ce qui nuisait à l’activité commerciale et au ravitaillement de la ville.

Les agents de l’octroi, qui contrôlaient ces points de passage, étaient souvent mal perçus, symboles d’une fiscalité contraignante. Leurs interventions alimentaient tensions et contestations, notamment dans les quartiers populaires situés à proximité des barrières.

Le mur des Fermiers généraux : la frontière fiscale de Paris

Au XVIIIe siècle, sous Louis XVI, fut construit le fameux mur des Fermiers généraux, une enceinte spécialement dédiée à la perception de l’octroi. Ce mur, long d’environ 24 km, délimitait la ville et permettait un contrôle efficace des entrées de marchandises.

Le mur comptait une vingtaine de barrières, parmi lesquelles la Barrière du Trône, la Barrière de Clichy, ou la Barrière d’Enfer. Ces points constituaient autant de postes de contrôle où l’on collectait l’octroi. Ce mur n’était pas destiné à des fins militaires mais uniquement à des fins fiscales, ce qui le rendait impopulaire auprès des Parisiens.

Le mur des Fermiers généraux devint un symbole de la lourdeur fiscale et de la séparation entre Paris et sa banlieue, marquant une frontière économique autant que géographique.

La fin de l’octroi

L’octroi a traversé plusieurs siècles, mais son poids fut progressivement contesté, notamment au XXe siècle. Les critiques portaient sur son caractère inégalitaire, son inefficacité économique, et les difficultés liées à sa gestion.

Finalement, en 1943, sous le régime de Vichy, l’octroi parisien fut supprimé. Cette suppression marqua une étape importante dans l’évolution de la fiscalité locale, ouvrant la voie à d’autres formes d’imposition indirecte, telles que la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).

La fin de l’octroi transforma la ville, facilitant la circulation des marchandises et modifiant les finances municipales. Malgré sa disparition, l’octroi reste dans la mémoire collective un symbole d’une époque où la fiscalité était directement palpable à chaque porte de la capitale.

Conclusion

L’octroi de Paris fut pendant des siècles un impôt essentiel au financement des services publics, incarnant une frontière tangible entre Paris et sa périphérie. Par son mode de perception, il illustre les rapports complexes entre fiscalité, urbanisme et société. Si cet impôt indirect a aujourd’hui disparu, comprendre son fonctionnement et son impact permet de mieux appréhender l’histoire économique et sociale de Paris. Il ouvre aussi une réflexion sur la manière dont les villes financent leur développement et sur les équilibres entre justice fiscale et besoins collectifs.

Sources bibliographiques :

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