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La psychiatrie à la Salpêtrière en 1800 : Un carrefour dans l’évolution de la médecine moderne

Introduction

La Salpêtrière, hôpital majeur à Paris, est un lieu symbolique dans l’histoire de la psychiatrie, représentant à la fois la continuité des pratiques anciennes d’enfermement des aliénés et le tournant vers une psychiatrie plus humaniste. À la fin du XVIIIe siècle, cet établissement incarne le carrefour entre la répression brutale des malades mentaux et la naissance de la psychiatrie moderne, marquée par les réformes entreprises par Philippe Pinel et ses contemporains. L’année 1793, avec l’arrivée de Pinel à la direction de l’asile, marque un tournant décisif. Cet article explore la transformation de la Salpêtrière et son rôle fondamental dans l’histoire de la psychiatrie, en s’intéressant particulièrement à la réforme de la prise en charge des aliénés et aux nouvelles pratiques thérapeutiques qui en ont émergé.

I. La Salpêtrière avant 1800 : Un asile d’enfermement et de répression

1. L’histoire de la Salpêtrière avant la Révolution

Fondée au XVIIe siècle par Louis XIV, la Salpêtrière est d’abord un hôpital général destiné à accueillir les indigents et les malades de toutes sortes. Le lieu devient un asile pour les malades mentaux au cours du XVIIIe siècle, au fur et à mesure que Paris cherche à centraliser la gestion de ses malades. C’est dans ce cadre que l’asile prend une place centrale dans l’histoire de la psychiatrie, bien que les traitements réservés aux aliénés soient rudimentaires et souvent cruels. L’aliénation mentale est perçue comme une forme de possession ou de malédiction, et les malades sont souvent enchaînés et isolés. Ce traitement repose sur la répression physique, le but étant de maîtriser les malades par des méthodes brutales.

Les aliénés à la Salpêtrière, comme dans d’autres hôpitaux généraux de l’époque, sont maintenus dans des conditions misérables. Ils sont souvent traités comme des objets de spectacle et exhibés lors des visites des autorités ou des curieux, dans un cadre où la société est insensible à la souffrance des malades.

2. La place de la Salpêtrière dans l’hôpital général

L’hôpital général de la Salpêtrière fait partie d’un système complexe de gestion des malades à Paris. Au XVIIIe siècle, les hôpitaux généraux ont pour fonction de regrouper toutes les personnes déviantes : les malades, les pauvres, les mendiants, et les aliénés. Ces institutions sont souvent surpeuplées et mal administrées. La Salpêtrière, comme ses homologues, applique des méthodes rudimentaires de soin, se basant principalement sur l’enfermement et l’isolement des malades mentaux. L’aliénation est vue à la fois comme un châtiment divin et une malédiction sociale, ce qui justifie les traitements sévères imposés aux patients.

En dépit de ces conditions inhumaines, la Salpêtrière est aussi un lieu où les premières tentatives de classification des troubles mentaux commencent à émerger, bien que de manière éparse et non systématique.

II. Philippe Pinel à la Salpêtrière : La Réforme Pinelienne de 1793

1. La nomination de Pinel à la direction de la Salpêtrière en 1793

L’arrivée de Philippe Pinel à la direction de la Salpêtrière en 1793 constitue un moment clé dans l’histoire de la psychiatrie. En pleine Révolution française, Pinel, médecin formé à l’école des Lumières, prend la tête de l’hôpital dans un contexte de transformation sociale et politique. La Révolution marque un bouleversement des structures anciennes, et le domaine de la santé publique n’échappe pas à ce processus de réforme.

Pinel, influencé par les idées des Lumières et par les travaux des philosophes comme Jean-Jacques Rousseau, voit dans l’aliénation mentale une pathologie médicale plutôt qu’une malédiction divine. Son approche se distingue nettement de la conception religieuse et répressive qui prévalait jusqu’alors. Dès sa prise de fonction, il entreprend des réformes profondes dans la gestion des aliénés à la Salpêtrière.

2. La libération des aliénés de leurs chaînes

L’un des gestes les plus symboliques de Pinel est la libération des chaînes des aliénés. À l’époque, les malades mentaux étaient souvent attachés et maintenus dans des conditions de répression physique. Pinel décide de mettre fin à cette pratique en 1793, une décision qui fait date dans l’histoire de la psychiatrie. Ce geste symbolise la reconnaissance de la dignité humaine des malades mentaux, et marque une rupture avec les pratiques brutales du passé.

La libération des chaînes ne se limite pas à un simple geste de compassion. Elle s’inscrit dans une réforme globale, qui inclut l’introduction d’un traitement moral. Pinel commence à appliquer des méthodes basées sur la compréhension et l’empathie envers les patients, plutôt que sur la simple répression.

3. Les principes du traitement moral : une rupture avec les pratiques anciennes

Le traitement moral introduit par Pinel repose sur l’idée que les malades mentaux peuvent être guéris en étant traités avec respect et dignité. Plutôt que de recourir à la violence et à l’enfermement, il prône un traitement plus humain, basé sur l’écoute et la discipline. Pinel considère que les malades doivent être traités selon leurs symptômes et leurs besoins individuels, un concept qui était révolutionnaire à l’époque. Il refuse les méthodes de punition et propose un traitement fondé sur l’accompagnement, la rééducation et la réhabilitation des malades mentaux.

Les patients sont désormais séparés en fonction de leur nature de maladie et traités par des médecins spécialisés, une approche qui place la Salpêtrière à l’avant-garde des hôpitaux psychiatriques du XIXe siècle.

III. L’impact de la Salpêtrière sur la psychiatrie en 1800 : Naissance de la psychiatrie moderne

1. La Salpêtrière comme modèle de réforme en psychiatrie

Sous la direction de Pinel, la Salpêtrière devient un modèle de réforme pour l’ensemble du système psychiatrique français. Les réformes de Pinel, en particulier la mise en place d’un traitement moral, influencent profondément les pratiques dans d’autres institutions psychiatriques. L’approche de Pinel se distingue par son refus de considérer les aliénés comme des êtres inférieurs, et il œuvre pour leur réhabilitation plutôt que leur exclusion. La Salpêtrière devient ainsi une école de pensée qui façonne l’avenir de la psychiatrie dans le pays.

L’impact de Pinel dépasse largement les frontières de la Salpêtrière. Il inspire la création de nouvelles institutions psychiatriques, et ses idées influencent la législation et les pratiques médicales en matière de santé mentale tout au long du XIXe siècle.

2. L’évolution des perceptions sociales de la folie et des aliénés

L’œuvre de Pinel et les réformes qu’il met en place contribuent à changer la perception de la folie dans la société. Avant la Révolution, la folie était largement considérée comme un phénomène divin ou moral, et les malades étaient souvent stigmatisés ou rejetés. Avec l’introduction du traitement moral, la folie est perçue pour la première fois comme un problème de santé plutôt que comme une malédiction. La Salpêtrière devient ainsi un laboratoire d’idées où une nouvelle compréhension des malades mentaux émerge.

Les réformes de Pinel marquent également un tournant dans les relations entre la société et les aliénés. Ceux-ci ne sont plus vus uniquement comme des sujets de réprobation, mais comme des individus dignes d’attention et de soin.

3. L’émergence d’une psychiatrie scientifique et humaniste

Sous Pinel, la psychiatrie fait un pas décisif vers une approche scientifique et humaniste. Alors que la psychiatrie précédente était marquée par des traitements souvent inhumains, Pinel introduit une méthode scientifique fondée sur l’observation des symptômes et l’étude des comportements des patients. Cette approche sera le terreau de la psychiatrie moderne, qui prendra forme au XIXe siècle avec l’émergence de figures comme Jean-Étienne Esquirol et Emil Kraepelin.

IV. La Salpêtrière après 1800 : L’héritage de Pinel et les évolutions dans la prise en charge des aliénés

1. La consolidation de la réforme : un tournant dans les institutions psychiatriques

Après 1800, la Salpêtrière continue de jouer un rôle clé dans l’histoire de la psychiatrie. Les réformes de Pinel sont consolidées, et le traitement moral devient la norme dans les institutions psychiatriques françaises. La Salpêtrière reste un symbole de cette nouvelle approche.

2. Les critiques et les limites de la réforme Pinelienne

Malgré ses avancées, la réforme de Pinel connaît certaines limites. L’institutionnalisation des malades mentaux reste un défi, et certains patients, en particulier ceux considérés comme violents, sont toujours traités de manière coercitive. Les réformes de Pinel ouvrent la voie à une psychiatrie plus humaniste, mais elles laissent également des questions en suspens sur la gestion des cas extrêmes et des dérives possibles du système.

3. L’héritage de la Salpêtrière dans la psychiatrie contemporaine

L’héritage de la Salpêtrière et de la réforme pinelienne reste profond dans la psychiatrie moderne. Si beaucoup de progrès ont été réalisés depuis, les principes humanistes et scientifiques du traitement moral continuent d’influencer la pratique psychiatrique, et l’histoire de la Salpêtrière demeure un modèle de l’évolution des soins psychiatriques.

Conclusion

La Salpêtrière, sous la direction de Pinel, a marqué un tournant décisif dans l’histoire de la psychiatrie. En mettant en place un traitement plus humain et scientifique, Pinel a radicalement changé la manière de concevoir la folie et les malades mentaux. L’impact de ses réformes s’est étendu bien au-delà des murs de la Salpêtrière, influençant la psychiatrie moderne dans le monde entier. Aujourd’hui, l’héritage de la Salpêtrière continue de résonner dans les pratiques psychiatriques contemporaines, soulignant l’importance de la dignité humaine dans le soin des malades mentaux.

Bibliographie

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• Goldstein, J. (1987). Console and classify: The French psychiatric profession in the nineteenth century. Cambridge University Press.

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