Histoires de Paris

A chaque coin de rue de Paris, des histoires… souvent revues, réadaptées mais fascinantes

Repères

Le terrible hiver de 1879 – 1880

Le terrible hiver de 1879 – 1880 : un mois en dessous de -10°C, la Seine gelée, le tout suivi par une débâcle

 

Alors qu’avec le changement climatique, les périodes de froid intenses sont de plus en plus rares. La neige à Paris tient de moins en moins longtemps.

Pourtant il n’en a pas toujours été ainsi ! Au cours du XIXe siècle, la capitale fit face à des épisodes hivernaux particulièrement intenses. Certains ont traversé les mémoires sous le nom des grands hivers. Celui de 1879 – 1880 n’a pas atteint ce niveau. Il est peut-être davantage oublié que 1709, 1830. Et pourtant ! Cette année-là, la Seine fut bien gelée. On réveillonna sur la glace. Puis, tout fut emporté dans une violente débâcle.  

 

Que s’est-il passé en ce terrible hiver 1879 – 1880 ?

Décembre 1879 : La température s’installe durablement sous les -10°C. La Seine gèle. Les rues sont couvertes de neige.

Janvier 1880 : avec le dégel, une immense quantité de neige fond et se précipite partout où elle peut passer. La Seine connait une rapide débâcle, endommageant de nombreux ponts, de nombreux bateaux.

Quelques semaines infernales et interminables. Paris fait alors face à un terrible hiver. Les parisiens grelottent dans leurs appartements. Sortir tue ! Les mauvaises conditions de chauffage tuent ! En raison de la neige, il est très difficile de faire ses courses et trouver le nécessaire. Beaucoup sont en chômage forcé.

Quel tableau noir ! A partir de la presse de l’époque, nous avons pu réaliser une large fresque de cette période si particulière et oubliée.

 

Petit retour les mois précédents

Bien sûr, les épisodes comme ceci s’expliquent tout d’abord par une brutalité de conjonctions météorologiques fortes à ce moment précis. L’Irlande est touchée par des fortes pressions, poussant les flux d’airs glaciaux venus de l’Arctique vers l’Europe et la France.

Toutefois, cette situation exceptionnelle était renforcée par des mois précédents décidemment pas favorables. En effet, le printemps avait été considéré comme inexistant. L’été fut froid. Les récoltes furent mauvaises, comme elles l’avaient été l’année précédente.

Dès le mois d’octobre, les relents de l’hiver s’affichent déjà. On constate les premières gelées. Il se met même à neiger avant la Toussaint.

Novembre est également bien maussade. Les nuits sont froides. On relève simplement 4°C à 7 heures du matin certains jours. Une chose est stable : la menace de la neige !

 

Un froid infernal : interminable et polaire

A la toute fin de novembre, le mercure s’installe définitivement en zone négative. Il ne le quittera pas du mois de décembre, même si on a pu espérer quelques jours un premier dégel qui n’arriva pas.

Paris se fige dans tous les sens, aidé pour cela par la neige. Nous y reviendrons. La Seine se met à geler sur l’ensemble de son parcours parisien. Nous l’évoquerons aussi.

Rapidement, ce froid se met à tuer. On ne compte plus dans les journaux les victimes de ces moments difficiles. Il faut se méfier des endormissements arrivant en étant fortement exposé au froid. En cas de moments de froid, éviter également de se rapprocher trop vite des sources de chaleur – cela peut être fatal.

Pendant tout le mois de décembre, on releva des températures en dessous de -10°C, avec des pointes à -24°C. Paris avait pris alors des allures arctiques.

Ce froid figeait tout : les canalisations d’eau dans les immeubles étaient bouchées, les compteurs de gaz bloqués, empêchant toute fourniture. En raison du froid, certaines machines industrielles étaient grippées. Puis, il devenait bien compliqué de récupérer un peu d’eau dans les puits.

 

 

Une véritable tourmente de neige

Avec le froid, la dépression venue du nord de l’Europe apportait une grande quantité de neige.

Elle tombait drue. Elle s’accumulait partout : sur les toits, dans les rues. C’était sans fin.

Par tous les moyens, on cherchait à s’en débarrasser. Même si les idées ne manquaient pas, les moyens étaient difficiles à calibrer au bon niveau. On embauchait une grande quantité d’ouvriers pour conduire des tombereaux et évacuer la Seine. Mais où la mettre ? Le premier réflexe fut de la déverser dans la Seine : mauvaise idée.

Au rythme des averses, dès qu’un peu de neige était évacuée, elle était remplacée par de la plus fraiche.

Du fait de la neige, le commerce prend un sacré coup d’arrêt. Comment dans ces conditions apporter les produits dans les magasins ? Comment se rendre dans un magasin, avec ces rues si enneigées ? Certains parisiens trouvèrent la solution : se déplacer en traineau. On voyait les Champs Elysées parcouru par ces frêles équipages. On se croyait à Saint Pétersbourg sur Seine !

Certains toits aussi subissaient la situation. Dans certains cas, des bâtiments s’effondrèrent, comme ce fut le cas au marché Saint Martin. Un entrepôt de la place Cadet évita de peu la catastrophe.

Impossible de faire tomber la neige des toits sans autorisation préalables. La police veillait – ce d’autant qu’une toiture seule dépourvue de neige se voyait sans beaucoup de difficulté.

 

La Seine gelée

On raconte que lorsqu’il fait en dessous de -10°C pendant 3 jours, la Seine gèle. Alors, pendant un mois vous pouvez imaginer la situation cette année-là.

Rapidement, le fleuve se mit à charrier des glaçons. Puis, le petit bras, entre l’île de la Cité et Saint Michel fut pris, avant d’être suivi par le reste du parcours.

Comme on n’avait pas pu évacuer tous les bateaux, on se démenait pour essayer de maintenir un peu d’eau libre autour des coques. C’était un sacré combat. On tenait également à ce que l’activité des bateaux-lavoirs se maintiennent un minimum, espace indispensable pour de nombreux parisiens populaires. Les oiseaux essayaient tant bien que mal de se trouver un peu d’eau encore liquide.

La Seine gelée, quel spectacle tout de même ! Alors les curieux venaient nombreux admirer le panorama en haut des quais. Certains, les plus intrépides, n’hésitèrent pas à braver les policiers en factions pour aller sur la glace. Quoi de plus amusant que de faire un peu de patin ? De passer sous les arches des ponts ? Les forces de l’ordre eurent vite fort à faire, à la vue du nombre de gens descendant. On fêta même le réveillon de la Saint Sylvestre sur la glace. D’aucuns avaient apporté leurs réchauds et victuailles pour l’occasion sur place.

Cette curiosité ne fut pas sans provoquer des accidents et faire des victimes.

 

Le dégel

Comme on peut l’imaginer, et heureusement, une telle situation ne pouvait pas durer. Avec les premiers jours de l’année 1880, le dégel s’amorce enfin.

L’heure de la délivrance n’a pas encore sonné pourtant. La neige se transforme vite en boue. Les rues sont noires, du fait de l’eau salie par les quantités d’ordures qui n’avaient pas pu être évacuées. Aussi, après les conducteurs de tombereaux de neige, voici venu le temps des balayeurs. Il faut faire vite, car les parisiens n’ont pas l’intention de rester cloitrés chez eux. Après ces semaines difficiles, il est essentiel pour beaucoup de faire des courses, mais surtout de reprendre le travail. Ils ne pouvaient compter que leur force de travail pour se nourrir et payer le terme.

Les égouts sont soumis à une certaine pression, du fait de cette grande quantité d’eau. Cette dernière ne s’évacue pas facilement dans la mesure où la Seine est de nouveau en crue, alimentée par des eaux venues de toutes parts.

Dans les maisons, il faut aussi veiller aux inondations. En effet, en fondant, la neige sur les toits cherche à redescendre. Mais des bouchons formés par la glace pouvait l’entraver se traduisant par des remontées d’eau dans les étages inférieurs.

En tout état de cause, le phénomène du dégel se produisit plutôt rapidement, au grand soulagement de beaucoup.

 

La débâcle

Ainsi que nous l’avons décrit, la Seine avait totalement gelée. Il était attendu à ce que cette glace fonde avec le dégel et que la débâcle arrive.

La municipalité s’y était préparée, en lançant à l’annonce du dégel des opérations de dynamitage des plus gros morceaux de glace. Il fallait bien sûr que la glace s’évacue, mais il était essentiel d’éviter qu’elle ne s’accumule à certains endroits fragiles, comme devant les piles des ponts. Le risque était d’autant plus fort que la Seine allait se remettre à charrier des débris de bois arrachés en amont. On craignit pour plusieurs ponts, comme le pont des Arts et le pont Neuf. La passerelle des Invalides qui doublait le pont du même nom en travaux s’effondra face aux événements.

Du côté des bateaux, il fallait faire aussi attention. La glace ou les débris pouvaient à tout moment endommager des coques. Certains furent emportés. Les bateaux-lavoirs payèrent aussi un tribut à la situation.

 

Fragilités d’une ville révélée par cette épreuve

Du fait de l’intensité de la crise, de nombreuses fragilités d’alors de la ville de Paris se révèlent par cette situation. Le froid, la neige et la glace ne l’épargnèrent pas.

Ce qui frappe de premier abord, malgré les nombreux efforts, c’est la difficulté des autorités à réussir à réagir avec le bon calibrage. Face à la neige, les outils manquent pour l’évacuer rapidement. Mais même si cela était plus fréquent que de nos jours, était-ce déjà raisonnable d’avoir de nombreux équipements destinés à passer un grand temps dans les garages ? Ensuite, il fallut faire appel aux balayeurs pour aider à évacuer le plus vite possible la boue.

Du côté de la Seine, les autorités ne chômèrent pas : veiller à ce que la pression des débris sur les ponts ne soit pas trop forte, maintenir un peu d’eau libre près des bateaux restés amarrés, surveiller les intrépides qui veulent braver la glace…

 

Du côté des infrastructures, certaines ne résistèrent pas au choc : le marché Saint Martin s’écroula. La passerelle des Invalides, structure provisoire fut emportée. L’écluse de la Monnaie fut lourdement endommagée. On craignit pour certains ponts, comme nous l’avons écrit plus haut. A Bercy, les entrepôts furent inondés par des infiltrations et on retrouva des morts.

Les égouts passèrent un moment pas facile, mais résistèrent.

 

On grelottait dans les appartements parisiens. Les moyens de chauffage restaient rudimentaires et on releva plusieurs départs d’incendie du fait de draps trop proches de poêles, on du aider des résidents intoxiqués par le monoxyde de carbone… On mourrait de froid, dans la rue, chez soi… Les journaux en étaient réduits à devoir diffuser de conseils pour bien faire face à la situation.

On ne pouvait utiliser le gaz, car les compteurs étaient gelés.

Certaines catastrophes industrielles eurent également lieu, comme notamment dans une chaudronnerie de la rue Vicq Azir, tout près des Buttes Chaumont.

 

La curiosité des parisiens dans l’épreuve

C’est finalement une constante. Dès qu’il se passe quelque chose d’imprévu, les parisiens se précipitent dehors pour voir de quoi il en retourne. Lorsqu’il s’agit de la Seine, ils affluent sur les quais pour voir le fleuve tantôt pris en glace, tantôt dans la furie de la débâcle. Une envie de pouvoir dire : « j’y étais ! » ?

Tout amusait les curieux : les mouettes se battant pour un petit morceau de nourriture, suivre les pérégrinations d’un gamin cherchant à tromper la vigilance des policiers et traverser la Seine glacée, les difficultés d’ouvriers pour casser un gros morceau de glace…

On ne compte plus les lieux de regroupement pour une quelconque activité.

En tout état de cause, certains avaient le sens des affaires. Rapidement, on vit fleurir des marchands de médailles sur les quais.

Pour les policiers, cet afflux de curieux impliquait de renforcer la surveillance. Essentiel de limiter les risques d’accident que ce soit sur un pont pouvant être emporté, sur une zone où la glace était trop fine…

 

Nous voici arrivés au terme de cette longue histoire. Comme vous avez pu le constater, de nombreux liens vers des articles approfondissant les différents sujets de cette vaste fresque. Si cela vous intéresse, nous vous proposerons des idées de balades. Bien sûr, vous n’apercevrez pas de vestige de ce terrible hiver, mais vous pourrez vous rendre compte de la portée de cette situation en lisant les articles dédiés sur les lieux.

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