Les moulins de Montmartre
Les moulins de Montmartre : droits, dominant Paris, les mémoires de la campagne, des guinguettes et des bals.
Pendant des siècles, on montait à Montmartre pour faire un pèlerinage et suivre les traces de Saint Denis, l’évêque illustre de Paris qui avait apporté la foi catholique à la région.
Puis à partir du XVIIIe siècle, on monta en haut de la butte pour se promener, profiter des hauteurs. Cette habitude se poursuivit à tel point qu’aidé par la renommée de peintres, une foule de touristes se pressent chaque année dans les petites rues et les petites places de Montmartre.
Et les moulins dans tout ça, vous me direz ! En réalité, ils sont centraux dans cette histoire comme nous allons le voir. La plupart a disparu, mais il en reste aujourd’hui deux emblématiques. Avec les moulins, c’est tout un pan de l’histoire de la butte que nous allons vous raconter, lorsqu’elle était encore à la campagne, un petit village qui dominait une capitale.
Les moulins de Montmartre emblématiques
Nous préférons tout de suite vous le dire. Vous allez être déçu ! Nous ne parlerons pas du Moulin rouge, ce célèbre cabaret de la place Blanche. Evidemment qu’il y a un lien, mais c’est une enseigne. Ce sera nécessairement l’objet d’une autre histoire.
Nous préférons évoquer, avec vous, deux autres moulins, historiques et authentiques (dans le sens où ils ont servi pour des activités meunières), toujours debout. Pour le promeneur qui accepte de monter en haut de la butte, sans passer par les chemins les plus passants, ils se laisseront aisément voir.
Le premier moulin que nous allons évoquer est le Blute Fin ! Quel nom étrange ! Nous vous précisons que les variantes ne manquent pas : le but à fin, le blu fin… En tout état de cause, c’est le plus grand des moulins encore debout sur la butte Montmartre et il domine véritablement Paris. De ce fait, sur les terrasses proposant des vues sur ce côté de la capitale, il est aisément reconnaissable, pour autant qu’on se donne la peine de le regarder. Propriété privée, il n’est pas possible de venir le voir ou le visiter. Selon la légende savamment entretenue par les propriétaires, il daterait du Moyen Age. Rien n’est moins sûr !
Le second moulin est le Radet. Comme son voisin, il a servi à des activités de meunerie, mais fut déplacé au cours du XIXe siècle à son emplacement actuel, non sans tergiversation. Depuis, il sert d’enseigne pour un cabaret devenu restaurant : le moulin de la Galette. Cet établissement vaut également le détour sur le plan des histoires. Nous y reviendrons plus tard.
Disons-le tout de suite, les deux moulins sont attachés aux Debray, des meuniers cabaretiers mythiques de Montmartre !
Le rôle des moulins dans le passé de Montmartre
Même si la légende et le marketing des cabaretiers font remonter les moulins au Moyen Age, il est tout de même probable que leurs activités datent davantage de la période moderne (à partir du XVIIe siècle).
Les campagnes autour de Paris avaient une forte activité agricole, comme on peut l’imaginer. Mais, il s’agit surtout d’une polyculture avec une peu d’élevage, un peu de vignoble et un peu de culture de céréales. Un peu de tout !
Grâce à la hauteur de la butte, le vent pouvait être exploité pour moudre le grain, voire d’autres produits au besoin. La farine, ainsi produite, servait pour l’alimentation quotidienne des habitants du coin. N’imaginez pas qu’à cette époque, les moulins soient limités à Montmartre. On en trouvait tout autour de Paris, comme à Montparnasse par exemple, voire plus loin (Sannois, Argenteuil pour en citer que certains et qui encore des vestiges).
Au fur et à mesure de l’avancée de la ville, les moulins autour de Paris disparaissaient. C’était le cas notamment de ceux de la Butte des Moulins, un monticule formé par l’accumulation des déchets près de la porte Sainte Honoré, tout près de l’avenue de l’Opéra actuel. Lors de la construction du quartier, certains moulins déménagèrent. C’est ainsi que le moulin Radet arriva en haut de Montmartre dans la première moitié du XVIIe siècle.
Les moulins cabarets
A Montmartre comme ailleurs, la vie pour nos meuniers n’était pas des plus simples. Aussi, un certain nombre d’entre eux se rendirent compte qu’il était beaucoup plus rentable d’établir une petite guinguette à leurs pieds.
En effet, les parisiens aimaient plus que tout sortir de la ville sale et puante qu’elle était dans son passé pour se changer les idées et se retrouver entre amis. Ainsi, au XVIIIe siècle, ils sont de plus en plus nombreux à monter sur la butte pour profiter de la vue, de l’air dégagé.
Et comme chacun sait, la marche, cela creuse ! Quoi de mieux que se détendre un petit peu en buvant un petit verre de vin blanc, déguster un peu de fromage de chèvre à l’ombre d’une treille.
Voici le programme que proposait les meuniers cabaretiers sur les hauteurs de Montmartre ! Puis, au cours du XIXe siècle, les guinguettes enrichirent leurs prestations avec des concerts et des bals, notamment les dimanches. Comme c’était la mode alors, les parisiens venaient nombreux pour se détendre et oublier quelque peu la dureté de la vie quotidienne.
Les Debray
Parmi les meuniers cabaretiers, les Debray ont une place particulière. A l’origine, ils étaient une famille de petits propriétaires sur les pentes de Montmartre, exploitant leurs moulins, faisant pousser un peu de blé et élevant quelques vaches. Puis, à partir du début du XIXe siècle, ils accentuèrent nettement leurs activités de restauration. Ainsi naquit le célèbre moulin de la Galette qui fut une véritable institution jusqu’au premier tiers du XXe siècle.
Dans les années 1830, ils se lancent dans les bals, en proposant aux gens de passage, du coin et aux clients des cours de danse. Ils avaient aussi eu l’idée de proposer des mets un peu plus élaborés que le vin clair et le fromage de chèvre. Ainsi, aux pieds des moulins Radet et Blute Fin, on pouvait déguster des pâtisseries.
Pour assoir notamment la réputation des lieux, ils renforcèrent la légende en indiquant que les moulins dataient de la profondeur des temps, lors du Moyen Age. Rappelons-nous qu’en cette moitié du XIXe siècle, le romantisme bat son plein ! Gerard de Nerval a une passion pour Montmartre, son château des Brouillards et ses moulins. La fièvre romantique contribuera comme nous le verrons par la suite à sauver nos moulins et expliquer leur présence encore aujourd’hui.
Le moulin de la Galette
Ainsi que nous l’avons d’ores et déjà écrit, le moulin de la Galette était l’institution tenue par les Debray. Lieu de fête, de réjouissance, de bal de la moitié du XIXe siècle au premier tiers du XXe siècle. Le nom du restaurant provenait du plat à base de fromage de chèvre qu’on servait dans ces guinguettes. Il évoque directement ce type d’établissement.
Au XIXe siècle, le moulin de la Galette voit l’urbanisation progressive de Montmartre. Avec l’annexion des communes de banlieue par Paris lors du Second Empire, la butte se retrouve à l’intérieur des limites de la capitale. Le temps est venu pour la construction et les anciennes terres agricoles disparaissent progressivement. On raconte que la vigne est prise par la maladie de la brique.
Pour le Moulin de la Galette, c’est le chemin de la fortune qui s’accélère. A ses débuts, il offre un véritable observatoire sur la ville de Paris. Tout est bon pour les adeptes de la bohème, même avec la proximité de terrains vagues à proximité, accueillant toute sorte d’activité marchande.
Puis à la sortie de la Première Guerre mondiale, l’établissement est réaménagé. C’est une attraction de plus en plus fameuse, faisant venir de loin les convives, sans oublier les enfants du quartier. On ne compte plus les festivités qui s’y donnent entre le Noël des Poulbot, le cortège des Catherinettes, la reine des reines. Finalement, tous les prétextes sont bons, tant qu’on s’amuse.
Les années folles battent leur plein et même si Montmartre n’était plus ce qu’il était à la Belle Epoque, il reste fascinant.
Les moulins de Montmartre au fil du temps
Revenons, si vous le voulez bien, un peu en arrière ! Au XVIIIe siècle, ainsi que nous le décrit Charles Sellier dans son histoire du Vieux Montmartre, la butte héberge au moins vingt cinq moulins. Ils s’étalent sur les différents promontoires du coin, de la Goutte d’Or à Clignancourt, mais aussi du Faubourg Saint Lazare aux Batignolles.
Leurs noms valent le détour. Bien sûr, on y trouvait le Blute Fin et le Radet, mais aussi le moulin des prés, le moulin de la Fontaine Saint Denis, le moulin de la béquille, le moulin Neuf, le moulin Vieux.
On pouvait passer à côté de la Vieille Tour, la Grande Tour et la Petite Tour. On connaissait le moulin du Palais et celui des Brouillards.
Enfin, on pouvait voir le moulin du Paradis, celui de la Turlure, de la Lancette, appelé aussi des Tempêtes.
Bref, des noms aussi magiques les uns que les autres, dont il ne reste plus de traces que dans nos vieilles bibliothèques rendues si accessibles par Internet.
Ainsi, les moulins de Montmartre ne relèvent pas seulement du folklore, du marketing des Debray mais d’une richesse de la vie de la campagne, à la fois si près et si loin d’une capitale.
Si ces histoires de moulins vous intéressent et vous souhaitez vous rendre compte sur place, vous trouverez dans ce blog une idée de balade en haut de Montmartre.
La mise en avant des moulins dans les arts
Comme vous pouvez l’imaginer, un sujet pareil ne peut pas avoir manqué d’intéresser les artistes. Ils fascinent la vague des romantiques, tant dans la littérature que la peinture. Au-delà, du genre qu’on restreint par soucis de classification et de nomenclature dans la première moitié du XIXe siècle, c’est un phénomène plus profond, toujours à l’œuvre.
Suivant Jean Jacques Rousseau, ce mouvement vante le retour à la nature, la rusticité de la vie à la campagne et tout ce qui peut éloigner des détournements de la société. Aussi, avec les moulins c’est à la fois la simplicité, la proximité avec la campagne et la nature qui est mise en avant. Point de surprise de voir ces moulins repris dans les hameaux (à Trianon et ailleurs) et les jardins à l’anglaise (comme le jardin du duc de Chartres, futur Parc Monceau) !
La littérature n’est pas en peine dans ce phénomène. Nous avons déjà cité Gérard de Nerval, mais des écrits du XVIIIe siècle évoquent les moulins de Montmartre. Regnard, installé à l’angle de la rue de Richelieu et des Grands boulevards regarde avec émotion leurs ailes battre le vent. A croire Sellier, ce sentiment existait déjà au XVIe siècle, lorsque l’italien Le Tasse se rend à Paris suivant le cardinal d’Este.
Bien sûr, la peinture est aussi un art qui s’intéresse au moulin. Van Gogh et les grands peintres du XIXe siècle, installés à Montmartre les représentèrent. Mais ils sont en réalité les successeurs de Charlet, Chintreuil, Corot, Charles Jacques, Georges Michel et Willette, pour reprendre ceux mis en avant par Charles Sellier.
Nous finissons ce long paragraphe pour évoquer l’usage fait par la manufacture de porcelaine de Clignancourt. Dans la dernière partie du XVIIIe siècle, cette fabrique reprit un moulin comme marque pour ses productions, avant d’aller rechercher le patronage de Monsieur, le frère de Louis XVI.
Décidemment, les moulins font vendre et attirent !
Des moulins bien fragiles
En regardant le moulin Blute Fin dominer ainsi Paris, difficile de s’imaginer la fragilité de ces édifices ! Et pourtant !
Le moulin qui tremble, le moulin qui s’écroule… voici des titres étranges pour certains articles que nous avons publiés sur ce blog.
Au cours du XIXe siècle, il arrivait que la terre tremble à Montmartre. Ainsi, un incident survenu en janvier 1851. Alors qu’ils venaient de rentrer leurs ânes, le sol se mit à bouger tellement qu’on raconte que tous se mirent à danser. Les journalistes qui relatent l’événement, écrivirent que les meuniers, réputés comme superstitieux, expliquèrent le phénomène par l’intervention d’un âne garou, variation du loup garou.
La réalité était beaucoup plus prosaïque. Le sous-sol de Montmartre était riche de pierre à plâtre. Ainsi, des mines se perdaient dans les entrailles de la Butte, menaçant dangereusement la stabilité, causant dans certains cas des tremblements de terre, voire des glissements de terrain. C’est ainsi que le moulin de la Lancette se retrouva au fond d’une carrière mal comblée
Toutefois, plus forte que l’instabilité du sol, l’urbanisation progressive emporta les moulins, comme nous vous le raconteront dans les prochaines lignes.
Des théâtres de guerre
Une capitale comme Paris ne pouvait, dans son passé, éviter d’attirer certains épisodes de guerres. Ainsi, lors du siège de 1870, Montmartre fut stratégique pour les militaires. Située en hauteur, la colline constituait un observatoire évident. Au moulin de la Galette, on avait installé un phare destiné à éclairer les environs, et essayer de débusquer les mouvements de troupes des prussiens, même au plus fort de la nuit.
A l’occasion du siège de 1814, Montmartre est le théâtre d’un autre épisode bien sanglant. A cette époque, pour les troupes coalisées venues du Nord Est, la Butte est un passage obligatoire pour pouvoir prendre Paris. Cependant, on raconte que les habitants de Montmartre ne se laissèrent pas faire. Parmi les combattants les Debray firent partis des plus hardis au combat, n’hésitant pas à tuer des soldats russes malgré les ordres de cessez-le-feu. Pris par les occupants, l’ainé des Debray fut percé de lances. Les soldats adverses coupèrent son corps en morceaux, les placèrent à la vue de tous sur les ailes du moulin. On dut attendre quelques jours pour détacher le malheureux et l’enterrer dignement.
La légende évoque également qu’en plein cœur de la Guerre de 100 ans, le prévôt des marchands Etienne Marcel serait monté sur la Butte Montmartre avec des gardes pour affronter les mercenaires qui ravageaient les environs. Cependant, à son retour, il aurait été trahi par son allié, Charles de Navarre et tué dans une embuscade, sous les hués des parisiens.
La disparition des moulins de Montmartre
Avec la hausse de la productivité de l’agriculture, la nécessité des moulins avait fortement réduit, déjà au XVIIIe siècle. De ce fait, comme nous l’avons déjà vu, les meuniers profitaient de leurs situations et leurs installations pour vendre, aux passants et aux habitués, leurs petits plats. Comme l’avancée de la ville était inexorable, la valeur des terrains ne faisait que s’envoler. Ainsi, progressivement, plus ou moins poussés par les promoteurs et les opérations d’urbanisme, les propriétaires vendaient leurs terrains. Les moulins étaient emportés ensuite.
A l’occasion de la construction de l’avenue Junot, montant sur la Butte, provenant de la rue de Caulaincourt au début des années 1910, un des tous derniers moulins est détruit : il s’agit du moulin à poivre. Datant de 1830, il devait son nom à l’usage que lui trouvèrent des épiciers parisiens pour moudre du poivre. Racheté par un parfumeur, il écrasa des iris ensuite. Présent sur le tracé de l’avenue, il fut détruit, dont seul quelques chroniques dans les journaux s’attardent sur l’événement.
A la fin du XIXe siècle, poussé par une fièvre issue du romantisme, certains commencent à s’alarmer de la disparition des moulins. Pour soutenir leur défense, certains utilisent de nombreuses références comme le témoignage de faits historiques, d’objets valorisés par les arts et ou des institutions pour s’amuser. Bref, de nombreuses composantes du récit que nous vous proposons dans cet article.
En tout état de cause, seuls les moulins des Debray furent conservés et classés. Pour finir ce billet, nous citerons l’Image du 1er janvier 1932 :
« Le vieux moulin Montmartrois ne moud plus de farine même pour les galettes ; il ne moud maintenant que des souvenirs. »
Sources bibliographiques :
- Sellier, Charles. Auteur du texte. Curiosités du vieux Montmartre : les moulins à vent, la porcelaine de Clignancourt, le Mont-Marat. 1893.
- L’image du 1er janvier 1932
- Illustration : Facade du moulin de la Galette par l’Agence Rol en 1909 – crédit BNF Gallica