Histoires de Paris

A chaque coin de rue de Paris, des histoires… souvent revues, réadaptées mais fascinantes

Histoires de quartier

Les moulins de Montparnasse

Les moulins de Montparnasse : quand la plaine de Vanves était recouverte d’ailes gracieuses et de guinguettes

 

Dans nos esprits parisiens, nous envisageons rapidement la présence de moulins en haut de Montmartre. Le moulin de la Galette, le moulin Rouge…

Mais c’est plus difficile de s’imaginer des moulins dans d’autres lieux. Pourtant dans Paris et aux alentours, il en reste des vestiges. Tout d’abord, certains sont encore debout, comme à Ivry, à Sannois, et au cœur du cimetière du Montparnasse. Ensuite, des rues, des quartiers, des parcs portent encore leurs noms.

Tout autour de Montparnasse, on trouve ces différents vestiges, morceau de patrimoine ou lieux de mémoire repris dans la toponymie.

Pour cela, revenons plusieurs siècles en arrière, lorsque la plaine de Vanves n’était pas urbanisée et qu’elle était le lieu d’une activité agricole certaine.

 

Une multitude de moulins

Le vent devait porter sur la plaine de Vanves. En effet, de nombreuses installations religieuses qui y avait des couvents mais surtout des terres avaient fait édifier des moulins sur leurs terrains.

Un grand nombre d’entre elles avait la suzeraineté tout autour et les habitants de ces censives trouvaient installation commune au sein de ces couvents et abbayes.

Avoir un moulin permettait de pouvoir transformer soi-même son grain en farine ! Il pouvait permettre de moudre différents composants utiles pour la vie quotidienne. Bien qu’à proximité de Paris, il restait plus sage d’être un peu autonome dans l’approvisionnement des fournitures essentielles. La capitale pouvait attirer la convoitise et les périodes, de temps en temps compliquées. Au cours de la Guerre de 100 ans, Paris paya un fort tribut dans les troubles. Ce fut le cas également lors des guerres de religions.

Ces abbayes restaient en dehors des murailles d’enceintes de la ville et il valait mieux se protéger.

 

Les guinguettes

Dans Histoires-de-Paris, nous nous sommes intéressés à l’histoire de ces meuniers devenus cabaretiers. Bien sûr, elle fait tout de suite penser à Montmartre, avec le rôle prédominant des Debray. Mais la butte n’était pas le seul lieu où les meuniers s’étaient rendu compte qu’il était aussi plus rentable de tenir une petite guinguette au pied de leur moulin.

Au cours des siècles, Paris était une ville très sale, du fait de la très mauvaise évacuation des déchets. Les égouts n’étaient pas très performants et les parisiens avaient l’habitude de laisser tomber leurs détritus dans la rue, devenue un véritable cloaque. Les décroteurs se faisaient une joie de nettoyer les vêtements des taches issus de ces immondices. Paris était également très polluée, du fait de sa très grande densité et l’usage massif du chauffage à bois dégageant en permanence une ambiance de fumée noire et remplie de particules plus ou moins fines.

Ainsi, pour de nombreux parisiens, sortir des limites de la ville pour trouver un peu de vert et d’espace n’était pas de refus.

Ce fut le cas pour Montparnasse dès le XVIIe siècle : les moulins de la Charité et des Cornets en traduisent une sacrée histoire, mais nous y reviendrons un peu plus tard.

Au XIXe siècle, une guinguette était une véritable institution : la mère Saguet. Elle s’était placée à l’ombre du moulin de Beurre et attirait beaucoup de monde. Elle compta parmi ses convives de nombreux auteurs romantiques, à la mode dans les années 1830. On raconte que Thiers partit de chez elle pour rejoindre le soulèvement de Paris en 1830.

Le père Bonvin aussi avait sa renommée. Tout d’abord, son nom valait le détour. ‘A bon vin, pas d’enseigne’ était sa devise. Là, on venait profiter de plats simples, du vin et de la musique.

 

Les drôles de nom des moulins de Montparnasse

Fortvêtu, les Lurons, Bel Air, Joly, Beurre… les noms des moulins de Montparnasse sont aussi bien étonnants.

Nous ne les décrirons pas dans leur exhaustivité. Toutefois, ce qui est frappant de prime abord, c’est la joie se dégage de ces noms : Bel Air, Lurons… Ils mettent bien sûr en avant les guinguettes qu’on pouvait trouver à leur pied. Ces établissements étaient synonymes de moments légers, de gaieté, de fêtes, de bon vin, de viande, de danse. On pouvait aussi y draguer et conter Florette. Vous ne saurez pas surpris en découvrant l’existence du moulin d’Amour.

Fort Vêtu est une dénomination également intéressante. Elle renvoie à une personne habillée de manière bien plus élevée que sa propre condition sociale. Sans relever la connotation bien négative de la formulation, elle renvoie bien à la tradition de venir dans une guinguette le dimanche avec sa plus belle tenue pour pouvoir s’amuser et danser.

Alors je vous vois venir, vous qui n’imaginez que des lieux de plaisirs pour ces moulins. Tout d’abord, certains renvoyaient à des durs labeurs. Ainsi, le moulin des trois Cornets évoquait un trou d’exploitation des carrières, en forme de cône inversé. On extrayait de la pierre par ici.

Mais d’autres moulins avaient des noms beaucoup plus religieux : La Charité, du nom du couvent qui l’avait fait construire. Les Douleurs, comme un autre moulin était dénommé. La Vierge pour terminer. De ce dernier, il reste un nom de quartier, coincé entre le métro Plaisance et la voie de chemin de fer.

 

Jésuites et jansénistes

Au XVIIe siècle, deux moulins se faisaient face. Le moulin de la Charité et celui des trois Cornets. Il y avait peut-être une rivalité entre leurs propriétaires, mais finalement dans cette histoire elle ne compterait pas beaucoup.

En effet, la guinguette du moulin de la Charité attira des étudiants proches de Jésuites. En réaction, leurs adversaires jansénistes se donnèrent rendez-vous au Moulin de trois Cornets.

La bataille était intense et se traduisit par une intervention musclée à Port Royal des Champs. L’autorité royale voulut faire partir ce bastion janséniste, dénoncé également par Rome. Querelle religieuse, vous me direz et qui a fait son lot de victimes. Mais derrière ce débat pour connaître la réalisation du salut divin et cette lutte, deux visions s’opposent radicalement : une revendiquant l’universel et l’autre le déterminisme et l’exceptionnalité de certains. Une histoire pas si simple en quelque sorte.

 

Disparition progressive

Aujourd’hui, seul le moulin de la Charité, le lieu de rendez-vous des Jésuites, est encore debout et se situe en plein cœur du cimetière du Montparnasse. Restauré à la fin du XIXe siècle, il fut classé dans les années 1930. Protégé par son environnement, il attira quelques convoitises. En effet, le sculpteur Bourdelle espéra en faire son tombeau.

Alors que la Première Guerre mondiale battait son plein, le moulin d’Amour fut emporté. Lorsque les armes s’expriment, l’amour se tait, pourrait-on penser ! Au-delà de cette première remarque, l’urbanisation avait fait ses pleins effets. Les moulins étaient les vestiges d’un ancien temps. La campagne n’était plus là, les guinguettes qui en dépendaient non plus. Alors pourquoi conserver ces vieux moulins, alors-même qu’il serait plus utile de loger les parisiens, toujours plus nombreux, renforcés par un exode rural massif ?

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