Le moulin du cimetière du Montparnasse
Le moulin du cimetière du Montparnasse : datant des frères de la Charité, il hébergea les agapes des jésuites
Se promener dans le cimetière du Montparnasse révèle plusieurs surprises. Bien sûr, il y a des tombes de personnalités célèbres. Certaines sont même plutôt insolites. Beaucoup sont plus personnelles et l’auteur de ces lignes n’y échappe pas. Mais cela est le lot de beaucoup de cimetières parisiens.
En poursuivant la visite, une petite construction peut attirer l’attention : le moulin du cimetière du Montparnasse. Ce nom qui va bien avec son emplacement actuel n’est en réalité pas si liée à l’environnement actuel qui l’entoure, tout du moins à l’origine. Nous allons vous conter l’histoire du Moulin de la Charité.
Un vestige de l’activité meunière parisienne
Pour commencer, nous allons laisser la plume au Soleil du 1er juillet 1899. Le titre de ce journal se prête bien avec la date de la parution du numéro que nous citons – tout comme le jour de publication de cet article, le 17 avril 2021.
« De nombreux moulins égayaient autrefois les hauteurs de Paris et de ses environs. Vus de loin, on aurait pu les prendre pour des sentinelles avancées gardant la ville, de près ils perdaient cet aspect belliqueux.
Le peuple se réunissait sous leurs tonnelles pour boire le vin clairet et manger de la galette chaude. Presque tous ces moulins ont disparu et la tradition ne se conserve qu’à Montmartre. Le moulin de l’abbaye de Longchamp, trop restauré, n’est plus, en effet, qu’un moulin d’opéra-comique ; la tour d’un moulin de Passy, enclavée dans la maison qui porte le n°86 de la rue de la Tour, passe couramment pour être l’ultime vestige d’un manoir de Philippe le Bel, et le dernier moulin de la rive gauche ; le moulin de la Charité se cache dans un coin du cimetière de Montparnasse. »
Le souvenir d’un ancien couvent
Laissons la main au Journal Beaux-Arts du 20 décembre 1929 :
« C’est une tour ronde, en pierre, au toit en poivrière, à demi couverte d’un lierre grimpant, située sur un tertre, dans la neuvième division du « cimetière du Sud », un ancien moulin, sans bras, élevé au début du XVIIIe siècle, dans la ferme des frères hospitaliers de la Charité, dits de Saint-Jean-de-Dieu. »
Le Journal du 27 mars 1934 précise :
« Située en plein Montparnasse, puis incorporée dès 1826 dans le cimetière du même nom, dit également « cimetière du Sud », la vénérable tour date du début du XVIIIe siècle.
Elle demeura, jusqu’en 1816, un but de promenade particulièrement apprécié des curieux. »
Revenons au Soleil du 1er juillet 1899 :
« Sur les instances de la commission du Vieux Paris, le Conseil municipal vient d’en décider la restauration, il n’était que temps. Ce moulin, construit au commencement du dix-septième siècle par les frères de Saint-Jean de Dieu ou de la Charité, attirés à Paris par Marie de Médicis, est davantage qu’un débris, il s’y rattache le souvenir des querelles idéologiques qui, au siècle dernier, divisèrent si profondément l’Eglise de France et l’amoindrirent. »
Beaux-Arts précise davantage :
« On sait que les religieux de cet ordre fondé en Espagne furent attirés en France par le roi Henri IV, ils ne tardèrent pas à s’installer dans une maison de la rue Saint-Père, près de l’ancienne chapelle de ce nom. On conçoit qu’ils aient établi, proche de leur résidence et de l’hospice dont ils s’étaient chargés, une ferme capable de subvenir aux besoins de leur communauté. »
Le moulin-guinguette des Jésuites
Ainsi, le moulin fait partie de l’activité agricole :
« Mais le meunier, homme pratique, ne tarda pas à se faire quelques profits en servant la galette et le vin clairet, et bientôt le moulin devint le rendez-vous assidu des partisans molinistes. »
Comme nous avons pu le voir dans d’autres occasions, c’était une pratique courante que de vendre des produits de la ferme au pied des moulins à Paris. Nous y avons même consacré un numéro de notre lettre mensuelle à ces anecdotes.
Poursuivons avec le Soleil du 1er juillet 1899
« Les jésuites, zélés partisans de la doctrine ultramontaine de l’espagnol Molina, l’avant adopté pour but des promenades de leurs écoliers du collège Louis-le-Grand, les élèves des autres collèges ne l’appelèrent plus que le moulin Moliniste. Aussitôt, le moulin des Cornets, situé à l’angle de l’avenue du Maine et de la rue de Vanves, ou fréquentaient de préférence les jeunes gens que dirigeaient les Oratoriens, fort attachés à la doctrine de Port-Royal, devint, par réciprocité, le moulin Janséniste. » Une véritable querelle se faisait jour !
Les Jésuites se rendaient ainsi dans l’échoppe au pied du moulin.
Le Journal du 27 mars en donne quelques détails :
« Là se donnaient rendez-vous les amateurs de galettes chaudes et de vin clairet que servait, à des prix défiants toute concurrence, un meunier-cabaretier à la jovialité proverbiale.
On y venait aussi prendre un bol d’air réparateur ! Car dès ce temps, les Parisiens se montraient avides d’atmosphère champêtre. Ce moulin-guinguette comprenait une importante ferme, avec basse-cour, appartenant au couvent des frères hospitaliers de la Charité, sis rue des Saints-Pères. »
La tentation d’en faire une tombe particulière
Situé dans un cimetière, le moulin pouvait attirer certaines convoitises. Il y en a une qui ressort particulièrement. Laissons la main au Journal du 27 mars 1934 :
« A ce propos, évoquons la discrète polémique qui s’éleva entre la Ville et Mme Bourdelle. La veuve du grand statuaire avait demandé, dès 1929, pour servir de mausolée à son illustre mari, la concession du monument. Mais l’administration lui fit savoir, avec tout le respect dû à la mémoire du grand artiste, que cette tour ne pouvait devenir sépulture privée, car elle tenait lieu, tout à la fois, d’atelier de menuiserie, de dépôt d’archives, pour le cimetière, et de remise d’outils par surcroît !
Certains édiles, d’autre part, estimèrent, dit-on, que l’architecture même de la vieille tour n’aurait, sans doute, pas répondu aux conceptions artistiques du maître. De bonne grâce. Mme Bourdelle s’inclina et renonça à son projet. »
Nous complétons avec l’article paru dans Beaux-Arts le 20 décembre 1929 :
« La dépouille de l’illustre sculpteur mérite un tombeau plus digne de sa renommée et il convient de laisser à cette relique parisienne, dans toutes ses parties, son aspect historique et traditionnel. »
La restauration et la classification d’un vieux moulin
Après avoir restaurée le moulin du cimetière du Montparnasse en 1899, la Ville de Paris demande sa classification en décembre 1929. Beaux-Arts nous le confirme :
« La Commission a été, en outre, heureusement inspirée, en demandant à nouveau que le moulin du Montparnasse soit classé désormais parmi les monuments historiques. »
C’est chose faite en 1937, comme nous le lisons dans le Journal du 27 mars :
« Les Parisiens, respectueux de l’histoire et de la légende de leur ville, seront reconnaissants à la commission du Vieux Paris d’avoir, en obtenant le classement de la Tour du Moulin de la Charité, sauvegardé le dernier moulin de pierre de la capitale. »
Etonnant tout de même que nous ayons trouvé principalement des articles au moment de ces opérations de restauration et de classification de ce moulin. Cela montre que la préoccupation des vielles construction n’est pas une réalité nouvelle. Intéressant également de la trouver dans une présentation romantique et romanesque de notre passé. Ce point est d’une utilité à nourrir une réflexion plus avancée sans doute.
Sources bibliographiques :
- Le Soleil du 1er juillet 1899
- Beaux-Arts du 20 décembre 1929
- Le Journal du 27 mars 1934
- Illustration : Le moulin du cimetière du Montparnasse par l’agence Meurisse en 1929 – Crédit BNF Gallica