Histoires de Paris

A chaque coin de rue de Paris, des histoires… souvent revues, réadaptées mais fascinantes

Histoires de tour

Le Moulin Janséniste

Le Moulin Janséniste : l’autre grand lieu de rendez-vous des débats religieux à Montparnasse au XVIIe siècle.

 

Nous sommes dans le quartier du Montparnasse. Mais à l’époque où nous nous positionnons, ce n’était pas encore Paris. Le contour de ville était encore bien loin, préoccupé alors à s’en prendre aux faubourgs Saint Germain et Saint Jacques du côté Sud de la capitale.

Au cours du XVIIe siècle, ici, c’est la campagne. L’activité agricole bat son plein, même si certains couvents s’y installent tout en conservant les fondamentaux agraires locaux. Aussi, point étonnant d’y trouver des moulins, ce d’autant que le relief des lieux offre une belle prise au vent, utile pour transformer le grain en farine.

 

A la campagne mais avec du passage

Être en dehors des limites de la ville n’impliquait de ne pas en sentir ses effets. Depuis le Moyen Age, Paris hébergeait une des plus grandes universités du monde chrétien, particulièrement reconnue pour ses formations en théologie.

Aussi, les étudiants, qu’on disait volontiers turbulents, aimaient aussi sortir et profiter des ouvertures de la campagne. Les meuniers ne s’y étaient pas trompés en proposant, outre leur service de meunerie, des tables de guinguette, en posant dessus vin clair et bouillon.

Tout comme ce fut le cas en haut de Montmartre au cours du XIXe siècle, l’habitude des guinguettes existait déjà en dehors des limites de la ville. Il faut dire que même si Paris se transformait déjà au XVIIe siècle, elle restait particulièrement, dense, polluée et épuisante. On comprend que d’aucuns cherchent à sortir un peu pour prendre l’air de la campagne, ce d’autant que la verdure n’était pas si éloignée que cela, même à pied.

 

Une première anecdote

Pour découvrir un peu plus l’histoire du Moulin Janséniste, nous allons reprendre une anecdote que nous lisons dans le Constitutionnel du 27 octobre 1864. Evidemment, le lecteur évoqué dès le début des lignes qui vont suivre n’est plus depuis longtemps, mais cela montre aussi le changement de relation que les parisiens avaient avec la proche campagne et les guinguettes.

« Que le lecteur qui dans sa jeunesse a pu, en compagnie; d’une grisette aller boire du lait et manger de la galette dans la plaine de Montrouge, au Moulin de Beurre, ne fasse pas confusion, Aussi bien que lui, nous savons l’anecdote : Un jour le sonneur de Saint-Sulpice entra dans cette guinguette dont, comme on dit en argot commercial, il ignorait la spécialité; au lieu du vin et de la gibelotte qu’il avait demandés, on lui offrit, de la crème et de la galette chaude : refusant avec un dédain superbe : — Me prenez-vous, pour un Janséniste ? s’écria-t-il. Son mot fit fortune et le nom de Moulin Janséniste avait fini par rester à l’établissement. »

 

Un moulin aux divers noms

Même si dans les mémoires que nous avons retrouvées, le Moulin Janséniste tire son épingle du jeu, ce n’était pas le seul nom de cet édifice. On l’appela également, le moulin des Cornets ou des Trois Cornets.

Les Cornets furent par ailleurs le nom officiel et d’origine de l’établissement. En effet, l’attribut janséniste lui fut rajouté en guise de surnom, pour le placer en opposition d’un autre moulin situé non loin de là : le moulin de la Charité. Nous y reviendrons.

Toujours est-il qu’il existe à son emplacement actuel un jardin portant le nom des trois Cornets.

Restons quelques instants sur la signification de ce nom ! Plusieurs explications furent avancées – nous les avons trouvées sur le site Internet ‘la Voix du 14e’’ (lien accessible à partir des sources bibliographiques) !

La première renvoyait au cornet à dés, un jeu qui servait de passe-temps dans les restaurants locaux. Une seconde évoquait l’usage d’un petit cor lors de partie de chasse. Finalement et de manière plus probable, les cornets renvoyaient à l’activité de carrière. En effet, à Montparnasse, on exploitait le sous-sol et les cornets étaient les trous creusés par les carriers.

 

Un moulin face à un autre

Nous l’avons un peu effleuré au paragraphe précédent. Le grand intérêt autour du moulin des Cornets se fait en opposition à un autre, situé à proximité et toujours debout de nos jours.

Nous citons la Liberté du 18 juillet 1879 pour les prochaines lignes :

« On se garde le souvenir de deux moulins bien connus sous le nom de Moulin Moliniste et Moulin Janséniste.

Ils étaient sur la Butte Montparnasse.
Cette butte rasée aujourd’hui existait près de l’ancienne barrière de ce nom aux abords du cimetière. Les deux moulins étaient le lieu de rendez-vous des écoliers au dix-septième siècle.

Près de chaque moulin était un cabaret, l’un fréquenté par les partisans du jansénisme, l’autre par les admirateurs de la doctrine de Molina, on discutait des systèmes à la mode.

Jansénistes et molinistes ne s’entendaient guère entre eux, et les champions de la grâce efficace et de la grâce suffisante se distribuaient force coups de poings. » 

 

Des moulins pris dans une querelle

Le Soleil nous donne davantage de précision le 1er juillet 1899 :

« Les jésuites, zélés partisans de la doctrine ultramontaine de l’espagnol Molina, l’avant adopté pour but des promenades de leurs écoliers du collège Louis-le-Grand, les élèves des autres collèges ne l’appelèrent plus que le moulin Moliniste. Aussitôt, le moulin des Cornets, situé à l’angle de l’avenue du Maine et de la rue de Vanves, ou fréquentaient de préférence les jeunes gens que dirigeaient les Oratoriens, fort attachés à la doctrine de Port-Royal, devint, par réciprocité, le moulin Janséniste. »

 

Qui étaient les jansénistes ?

C’est à l’occasion de la Réforme protestante que le jansénisme apparait. Bien que se situant à l’intérieure de l’Eglise catholique, elle porte une sévère critique sur le courant de pensée issue du Concile de Trente.

S’inscrivant dans la pensée de Saint Augustin, elle mettait en avant la nature pécheresse de l’Homme et l’absolue nécessité de salut divin pour la dépasser. C’était une vision qui avait été fortement mise en avant au cours du Moyen Age.

La nouvelle doctrine, tout en reconnaissant l’importance du salut divin, laissait une place au libre arbitre humain.

Le jansénisme se développa à Paris et était très actif dans les cercles de l’Université. Mais sous les règnes de Louis XIII et de Louis XIV, il fut largement combattu, impliquant que pour ses partisans les plus vigoureux, la nécessité d’un exil en Hollande.

C’est ce combat qui s’exerça entre les jansénistes et les jésuites, dont nous consacrerons un article dédié.

 

Sources bibliographiques :