Histoires de Paris

A chaque coin de rue de Paris, des histoires… souvent revues, réadaptées mais fascinantes

Histoires de quartier

La guinguette du Père Bonvin

La guinguette du Père Bonvin : tout pour passer une belle soirée : du vin, des petits plats et de la musique.

 

Habitant de Vaugirard ou de passage, vous n’imaginez guère que ce lieu était à la campagne il y a deçà 200 ans. A l’époque, le quartier se situait au-delà des barrières de Paris.

Ainsi, comme pour l’ensemble des barrières, on trouvait là des guinguettes, profitant de cet espace au vert, tout en proposant du vin et de la viande exemptée de la taxe d’octroi.

Certains établissements avaient une véritable renommée à l’époque. La guinguette du Père Bonvin en faisait partie.

Pour ces lignes, nous nous reprenons une publication du Monde Illustré du 31 juillet 1866

 

Un vieillard du coin, un ancien garde champêtre

« Il y en eut d’autres bien certainement. Ils furent sans doute moins illustres, mais ils se recommandaient par la même simplicité. Ainsi pourrais-je citer le cabaret de Bonvin, que je connus, il y a juste trente et un ans. Le père Bonvin fut le dernier garde-champêtre de Vaugirard, — dans le temps où Vaugirard avait encore des champs à garder.

C’était un vieux de la vieille ; grand, droit, sec, sans un brin de moustache, et la boucle à l’oreille, comme les grognards des dessins de Charlet. Il ne plaisantait pas avec sa femme, bonne petite vieille qui avait conservé le bonnet des paysannes de Nanterre, et qui faisait de merveilleuses gibelottes.

Elle lui avait donné deux enfants. Le premier, maître peintre, s’était déjà fait un nom estimé. Le second était aussi un artiste, mais personne ne s’en doutait, pas même lui. Il s’essayait en cachette du père qui, brouillé avec l’aîné, détenait la peinture.

Fils soumis, il servait à boire et faisait le gros ouvrage. »

 

‘A bon vin pas d’enseigne’.

« Ce n’était pas un de ces ignobles débits de vin qui empoisonnent la banlieue. La petite maison était loin de la route et de la poussière. Une haie vive formait l’enclos. Avec cela quelques arbres, quelques fleurs, un puits, une tonnelle, un jeu de tonneau. Sur le pignon frais blanchi, se détachait en grosses lettres noires le nom du propriétaire : BONVIN. Il n’avait rien voulu de plus, et répétait en riant le vieux proverbe : ‘A bon vin pas d’enseigne’.

En faisant sa tournée il s’était pris d’une belle passion scientifique pour les fossiles des carrières voisines. Je vois encore sa petite collection rangée contre le mur, à droite de la porte, et protégée par un auvent de zinc, ainsi que par la recommandation officielle N. T. P, S. V. P. 

En vérité c’était un trio de braves gens, et, par les beaux jours on s attablait chez eux volontiers. »

 

Un diner chez Bonvin

« J’y fus amené pour la première fois par mon ami Joffroy, le sculpteur qui allait entrer à l’Institut et qui n’en était pas plus fier : ‘Comment ! répétait-il, vous ne connaissez pas Bonvin ? Oh ! mais il faudra que nous y allions un mardi. Pas un lundi, c’est le jour des typographes, ils occupent tout mais le mardi nous serons tranquilles. »

Ce mardi-là nous vit donc arriver ainsi que les suivants. Avec nous Champfleury, Goepp, Duplessis, Platel, Hanoteau, Léon Godard, Langlois, Mabille et bien d’autres bons camarades. Le petit vin avait paru si drôle, la gibelotte si bien aromatisée de thym, l’accueil si cordial, qu’on renouvelait périodiquement la petite fête. Le plus qu’on pouvait dépenser se montait à 2 fr. 5o. Dans ce chiffre étaient compris le repas, le café, les rafraîchissements et le concert. Car il y avait un concert plein de saveur, comme la gibelotte. »

 

La musique

« Après avoir apporté le dessert (gruyère et mendiants ne varietur), le fils de la maison allait s’asseoir dans un petit coin devant un orgue-harmonium. Là, il exécutait, sans chandelle, son rustique répertoire. C’était la Vigne, les Bœufs, le Cochon, de Pierre Dupont, et aussi des chansons patoises ; les airs de bourrées du Berri, de Bretagne ou d’Auvergne, que Georges Sand avait mis à la mode en donnant à l’Odéon son François de Champi.

Un peu basse, la voix du chanteur était juste et franche. La simplicité de ses motifs ne perdait rien à l’accent religieux de l’accompagnement. Le Cochon lui-même y gagnait une sorte de dignité grave, comme du reste la plupart de nos anciennes chansons à boire qui, pour ne citer que la plus connue (Remplis ton ventre vide, vide ton verre plein), sont de vrais chants d’église.

La belle voix de Hanoteau nous initiait aussi aux vieux chants du Nivernais qu’il entonnait comme pas un. On se croyait en plein Morvan. Sans avoir manqué un refrain, la bande joyeuse s’en retournait à Paris, vers dix heures, par des petits chemins qu’il fallait bien connaitre quand la lune ne brillait pas.

A la longue, les promenades cessèrent avec la jeunesse des habitués des Bonvin. Puis, le deuil entra dans la maison, le père et la mère moururent. Le fils éprouva de tels chagrins domestiques qu’il alla se jeter dans le puits.

L’inventaire de ce pauvre garçon fit découvrir en lui un peintre de mérite. Guidé par sa vocation mais comprimé comme on l’a vu, il avait copié naïvement les fleurettes des champs voisins, seuls modèles qui ne pouvaient éveiller les soupçons paternels.

Les bouquets de Bonvin cadet ont aujourd’hui leur célébrité, et la critique autorisée de Philippe Burty leur a donné des éloges qui l’auraient certes empêché de se tuer, s’il n’avait fallu sa mort pour le faire naître à la vie artistique. »

 

Sources bibliographiques :

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