Histoires de Paris

A chaque coin de rue de Paris, des histoires… souvent revues, réadaptées mais fascinantes

Histoires de quartier

Le moulin de la Mère Saguet

Le moulin de la Mère Saguet : guinguette où romantiques et chansonniers venaient profiter de l’air au vert !

 

Quelle belle histoire que celle du moulin de la Mère Saguet ! Nous sommes à Montparnasse, dans la première partie du XIXe siècle.

Comme dans de nombreux endroits autour de Paris, le moulin de beurre, de son petit nom, était une véritable guinguette. On y venait profiter de petits plats, à l’extérieur de la ville. Cette partie n’était alors pas encore urbanisée. Bref, on y venait pour profiter des joies de la campagne, comme c’était la tradition à l’extérieur des barrières.

 

Qui était la Mère Saguet ?

Le moulin de la Mère Saguet était situé au-delà de la barrière du Maine. On y dinait en profitant de la verdure et des bosquets… au son des violons. Un merveilleux lieu de détente !

Le Cri du Peuple de Paris du 20 juin 1942 écrivait à son propos : « On y buvait un gentil vin de Suresnes dont Victor Hugo proclamait les mérites devant Edmond de Concourt : ‘Les vins des environs de Paris, on est injuste pour eux, ils étaient estimés autrefois, on les a laissés dégénérer… Ce vin de Suresnes, sans eau, ce n’est vraiment pas mauvais… Eh bien, là, nous avons beaucoup bu de ce petit vin, qui a une si belle couleur de groseille… Ça n’a jamais fait de mal à personne…’ »

 

Le Monde illustré du 31 juillet 1886 avait, de son côté, rapporté :

« C’était une salle étroite, basse et longue ,sans autre ornement qu’une horloge ronde, une complainte coloriée du Juif errant et un damier pendu au clou. Le tuyau d’un gros poêle de faïence serpentait sous le plafond et allait se perdre dans une fenêtre. Au dehors, une grande cour égayée de pampres et de petits berceaux de verdure. »

 

Mais la Mère Saguet contribuait largement à l’âme des lieux.

« Après 1830, la patronne se retira ; mais fidèle aux vieux souvenirs, tous les ans, elle revenait pour le jour de sa fête et tenait à honneur de remuer la castrolle (c’était son mot) pour les anciens habitués.

On trinquait alors à la santé de la bonne vieille dont l’œil s’animait encore aux joyeux souvenirs.

Ceux de mes lecteurs qui voudront en savoir davantage retrouveront, dans l’Artiste, l’article de Marc Fournier ; il est intitulé : Le dernier cabaret. »

 

Les illustres convives du moulin de la mère Saguet

Comme nous allons le voir, il y avait bien sûr la tenancière et cuisinière des lieux. Mais la renommée qui fait que nous pouvons en parler aujourd’hui, vient aussi des convives qui fréquentaient ces lieux.

 

Les romantiques

Commençons par les plus célèbres d’entre eux, et non des moindres !

Nous lisons dans le Cri du peuple de Paris du 20 juin 1942, les lignes suivantes :

« Le cabaret de la Mère Saguet, qui connut une grande vogue vers 1830, et qui fut fréquenté par Victor Hugo, son frère Abel, Delacroix, les Deveria, Gagarni, Raffet, Bellangé, Musset, Sainte-Beuve, Mignet, Chariot, Thiers, Tony Johannot, était situé au-dessus de la Chaussée du Maine, pas très loin du Dôme et de la Coupole, dans les dépendances du Moulin de beurre, sur remplacement de la rue qui porte ce nom. 

 Le cabaret de la Mère Saguet fut découvert par Abel Hugo, conte Charles Vigoureux, : « Certain dimanche, après être allé manger de la galette a la ferme du Moulin de beurre, ainsi que le voulait la mode d’alors, Abel Hugo cherchait, sur le chemin menant à la barrière du Maine, un endroit pour dîner lorsqu’il entende, en passant devant le cabaret de la Mère Saguet, des voix joyeuses qu’accompagnait vaguement un violon. Il y entra, fraternisa avec Charlet et ses amis et fut si content de la soirée qu’il revint, amenant son frère et tous leurs camarades. »

 

La légende voulait que Victor Hugo y trouve également le calme et l’inspiration pour certaines de ses œuvres : « les Feuilles d’automne et les Orientales. » Il délaissera le lieu qu’après avoir terminé Hernani.

 

Mais, chez la mère Saguet, on ne trouvait pas que Victor Hugo et son frère :

« Tous les romantiques défilèrent dans la guinguette de la Mère Saguet, alors en pleine campagne, et dont les omelettes, les gibelottes et les poulets grillés devinrent célébrés.

Gérard de Nerval projetait de publier des souvenirs sur le cabaret de la Mère Saguet, dont les habitués, écrivait-il dans le ‘Gastronome’, en 1830, ‘artistes célèbres, écrivains dont la France s’honore et qui sont venus au cabaret comme Hoffmann’, émettent des pensées hardies et profondes, des vues d’art développées avec génie ».

 

Les chansonniers

« Les chansonniers se réunirent également chez la Mère Saguet, dont le cabaret devint, en été, le quartier général du Caveau. La Société des joyeux, où chacun chantait sa chansonnette, y tint ses assises. En hiver, elle se transportait rue de Sèvres, au large de la rue Saint-Placide, dans un cabaret placé sous l’invocation de l’Image Notre-Dame, et changeait son titre en celui de la Société des Frileux.

Chez la Mère Saguet, Béranger, armé d’une guilloche dont il martelait la table pour obtenir le siIence, présida des banquets dont les convives le portaient en triomphe à travers les bosquets. Le chantre de Lisette était alors l’homme le plus populaire de France

Dans son « Nouveau Paris », La Bedollière nous fait entendre l’écho de ces joyeux refrains : « Que de chansons sont closes chez la Mère Saguet ! Entonnées par des voix dont la multiplicité des rasades avait altéré la sonorité, elles avaient, par compensation, l’inestimable saveur de ces œuvres spontanées qui jaillissent du vin, qui voltigent autour des tables rougies, de ces œuvres, enfin, qui sentent leur fruit, qui ont un goût de terroir. »

 Un des piliers de l’établissement, le peintre Jahel, qui s’attardait presque chaque jour dans les vignes du Seigneur, mourut d’apoplexie. En apprenant la nouvelle, un de ses camarades, en guise d’oraison funèbre, improvisa ce distique :

‘Tu nous as trop fait rire dans la vie

Pour qu’à ta mort on pense à te pleurer.’ »

 

Au cabaret de la Mère Saguet, le jour de la Révolution de 1830

C’est dans le Paris du 4 septembre 1882 qui nous tirons cette anecdote impliquant Thiers.

« Le 25 juillet 1830, ils se trouvaient réunis comme d’habitude pour s’entretenir des bruits de coup d’Etat qui circulaient vaguement. Quelqu’un leur apporta une nouvelle si importante qu’ils partirent précipitamment sans prendre le temps de payer leur hôtesse. M. Thiers lui cria en s’éloignant : — Madame Saguet, ceux qui survivront viendront acquitter notre dépense.

Sans prendre part à la bataille des trois jours, M. Thiers et presque tous ses amis étaient au pouvoir, au grand établissement de la mère Saguet, qui ne se doutait guère que son toit avait si longtemps abrite des pratiques qui pensaient moins à l’ampleur de ses pudiques charmes qu’à la certitude de gouverner la France un jour. »

 

Sources bibliographiques

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