Histoires de Paris

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Repères

La fragilité de Paris révélée par l’hiver de 1879 – 1880

La fragilité de Paris révélée par l’hiver de 1879 – 1880 : quand le froid, la neige et la glace bloquent tout

 

La catastrophe ! Dans son histoire et finalement pas si lointaine, Paris fit face à différentes catastrophes. Certaines étaient dues aux hommes, d’autres aux éléments. Cette fois-ci, il s’agit d’une épreuve infligée par le froid. Pratiquement un mois avec des températures en-dessous de -10 °C ! Rappelons avant de démarrer qu’à la moitié du XIXe siècle, la France traversait ce que les historiens du climat appelait un petit âge glaciaire. Ainsi cette période fut marquée par le retour d’épisodes très froids. On avait même institutionnalisé le patinage dans le Bois de Boulogne.

 

Rapide présentation du contexte

Sur le plan climatique, l’année 1879 avait été particulièrement pourrie. Le printemps avait été inexistant, l’été froid, apportant des mauvaises récoltes.

Puis l’hiver fit son apparition dès octobre, avec des premières gelées et tombées de neige. Avec les semaines, la situation ne s’améliora pas vraiment. A la toute fin de novembre, le thermomètre s’installe en dessous de -10°C. Il ne quittera plus cette zone avant le réveillon du 31 décembre.

La durée du froid, son intensité furent telles que la Seine se mit à geler. Pratiquement tout son parcours était pris par les glaces plusieurs semaines en décembre. Quel curieux spectacle ! Les parisiens qui souffraient durement de la situation n’hésitaient pas à venir sur place.

Avec le dégel, les problèmes ne furent pas terminés. Loin s’en faut ! En effet, la glace, qui s’était accumulée sur la Seine, se mit en mouvement. Paris affronta alors une forte débâcle, non sans risque pour les bateaux, les berges et les ponts.

 

Faire face à la neige !

Sur une telle durée, le soleil ne pouvait pas rester toujours avec son éclat en décembre. Aussi, Paris et le nord de la France durent faire face à une neige très abondante. Les averses de neige se suivaient et s’accumulaient. Les rues, les toits… tout était envahi.

Comment faire face à cette situation ? La période est à la recherche de solutions que la technique puisse apporter – nous sommes alors en pleine révolution industrielle. Aussi, les idées plus ou moins loufoques sont retenues et testées pour faire face. En tout état de cause, une avalanche de critique fut formulée face aux difficultés de la Ville pour débarrasser les rues de toute cette neige. On manquait de bras pour retirer la neige, de tombeaux pour la transporter. Puis, où l’emporter ? Pour la déverser dans la Seine, alors même que son niveau menace les berges les plus basses, notamment aux entrepôts de Bercy ? La repousser au niveau des portes de la capitale, là où la vie était tellement précaire ?

A peine, on avait enlevé de la neige, qu’il en tombait de nouveau. Un contexte qui ne déplairait pas à Sisyphe.

 

Faire face au froid !

Le froid tue ! Le froid tua ! Dans les journaux d’alors, nous avons relevé plusieurs cas d’accidents mortels en raison du froid.

Tout d’abord, en raison des très basses températures, des personnes pouvaient aboutir à un endormissement fatal. Bien sûr, le froid pouvait entraîner des engelures et des blessures sérieuses aux membres. Mais il pouvait aussi aboutir à un engourdissement. La victime ressent un fort besoin de s’assoupir. Cette situation est mortelle, car elle risquait de ne jamais s’en réveiller. En effet, les poumons pouvaient s’asphyxier du fait de refoulement de sang dans la poitrine.

 

Ce n’était pas le seul risque. En effet, lorsqu’on avait affronté plusieurs heures le froid, il fallait se méfier des sources fortes de chaleur. Ce réflexe qui pourrait sembler naturel était aussi mortel. En effet, cela générait un choc thermique, aboutissement à une attaque fatale. Aussi, on conseillait de réchauffer les blessés progressivement, en frottant avec de la neige, puis de l’eau autour de 15°C, avant d’augmenter lentement sa température.

 

Enfin, la tentation d’augmenter le chauffage n’était pas sans risque. Ainsi, de nombreux parisiens n’hésitèrent pas à renforcer l’usage de leur poêle. Dans certains cas, la trop grande proximité entre les draps et les sources de chaleur aboutissaient à des départs d’incendie. Puis, de manière plus sournoise, les habitants pouvaient être intoxiqués par du monoxyde de carbone.

 

Le froid tue !

 

Les accidents

Dans ce contexte, Paris dut secourir plusieurs des siens, pris dans des accidents. Nous avons évoqué les accidents domestiques juste avant. Mais, il y avait aussi les accidents industriels, de la circulation, de bateaux…

En 1880, Paris était une ville très industrielle. Elle comptait de nombreuses usines. Ainsi, entre le canal Saint Martin et le parc des Buttes Chaumont, une chaudronnerie industrielle explosa. Elle se situait dans la rue Vicq d’Azir. Un matin, alors que les ouvriers tentent de mettre en mouvement les machines, elles se grippèrent. Le froid avait pris et bloqué un circuit d’évacuation de la machine à vapeur. La courroie tirait trop sur le volant et accumula une très forte pression. Tout explosa ! Le plafond s’écroula et les flammes se propagèrent. On compta 6 morts et 4 blessés dans les décombres.

 

L’accumulation de neige sur les toits posait des problèmes. Le marché Saint Martin, tout près de la République était fait de pierre et de poutres métalliques portant la toiture. Mais leur résistance ne suffit pas pour supporter le poids impressionnant de la neige qui était tombée si drue pendant plusieurs jours. Un soir, vers 21h45, tout s’écroula. Heureusement, du fait de l’horaire tardif, peu de victimes furent à déplorer. Il fallut simplement aider les locataires à proximité de pouvoir s’extraire des lieux. Mais si le cataclysme avait eu lieu en pleine journée, le bilan aurait été tout autre. En tout état de cause, cet accident impliquait pour les marchands qui y avaient leurs étalages et les tenanciers de petites boutiques attenant, que leur gagne-pain venait de disparaître.

Sur la place Cadet, c’est une véritable collection précieuse de photographies qui faillit être broyée par la chute d’une toiture en verre. Heureusement que son propriétaire réussit à retirer suffisamment de neige, non sans quelques difficultés bureaucratiques.

 

Les installations parisiennes face aux éléments

Pour les infrastructures, ce fut surtout le dégel qui posa des difficultés.

En effet, avec la rapide fonte des neiges, les égouts se retrouvèrent soumis à une très forte pression. Ils devaient évacuer le trop plein d’eau, souillée par de nombreux déchets – il avait été impossible d’évacuer les ordures dans de nombreux quartiers. Comme la Seine était haute, sa capacité à évacuer ce surplus d’eau fut altérée. Pour la Ville de Paris, la gestion était essentielle pour que tout se passe progressivement.

 

Au niveau du fleuve, la situation est terrible. Avec le dégel, la débâcle se met en place. La Seine commence à charrier des morceaux de glaçons, mais aussi du bois de toute taille. Les ponts sont en position de grande vulnérabilité. Nombre d’entre eux constituait des obstacles à l’évacuation des eaux. Des débris, des glaces s’accumulaient devant leurs piles, risquant de les détruire. Ce fut le cas du pont des Arts, du pont Neuf…

Cela arriva du reste à la passerelle des Invalides. A cette époque, le pont des Invalides était en travaux. On l’avait en grande partie désossée. Toutefois, on l’avait doublé d’une passerelle en bois pour limiter les effets de la circulation. Ce pont était le seul moyen de traverser la Seine, entre le pont de la Concorde et celui de l’Alma. L’accumulation des glaçons, le passage du bois brisé et les débris de bateaux en amont : cela ne put qu’emporter la passerelle.

 

Finissons ce chapitre par évoquer les lourds dommages sur l’écluse de la Monnaie. Le petit bras de la Seine s’était retrouvé totalement pris par les glaces et il fut la dernière partie à dégeler. La quantité de glace fut aussi très lourde pour les installations.

 

Un approvisionnement à l’arrêt

Comment alimenter Paris par cette période de forte neige ? La Seine, canal très important d’approvisionnement était impraticable. La situation durait depuis quelques semaines, du fait des eaux qui étaient montées significativement. Puis, avec la glace, impossible de circuler.

Côté route et chemin de fer, l’écrasante quantité de neige bloquait tout. De toute manière, c’était toute la partie Nord de la France qui faisait face aux éléments implacables.

La Ville essayait tant bien que mal de gérer la situation, en annonçant dans les journaux que des réserves existaient. Côté charbon, la situation fut plus compliquée. Beaucoup de monde était en chômage partiel, ne pouvant se rendre sur leur lieu de travail et l’impossibilité de faire fonctionner les machines en raison du froid. Le peu de charbon qui existait était surtout utilisé pour se chauffer.

Ne comptez pas sur le gaz non plus. En raison du gel, les compteurs étaient inutilisables. Il fallait les couper pour surtout éviter que des explosions.

Enfin, les bateaux qui rendaient des services, comme les bateaux-lavoirs ou les bains, luttaient pour leur survie. A chaque moment du jour et de la nuit, un morceau de glace pouvait endommager la coque. Du reste, cela arriva !

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