Les architectes de la prison Mazas : Émile Gilbert et Jean-François-Joseph Lecointe au service de la réforme pénitentiaire du XIXe siècle
Un chantier au cœur des réformes pénitentiaires
Inaugurée en 1850, la prison Mazas fut l’un des établissements pénitentiaires les plus emblématiques du Paris du XIXe siècle. Située près de la gare de Lyon, elle incarnait la volonté des autorités d’appliquer les principes de la prison cellulaire, considérée comme un instrument de moralisation et de discipline. Si elle est aujourd’hui disparue, Mazas demeure un jalon dans l’histoire architecturale et pénitentiaire française. Cet article met en lumière les architectes qui lui donnèrent forme, Émile Gilbert et Jean-François-Joseph Lecointe, et la manière dont leurs choix techniques et esthétiques traduisirent les ambitions de l’époque.
Le contexte architectural et pénitentiaire
Le XIXe siècle fut marqué par un intense débat sur la fonction de la prison et son organisation spatiale. En France, la loi du 5 août 1850 imposa la généralisation de l’isolement cellulaire pour certaines catégories de détenus. Les modèles étrangers, notamment le système pennsylvanien de Cherry Hill et le modèle panoptique théorisé par Jeremy Bentham, influencèrent profondément la pensée des ingénieurs et architectes. La prison Mazas fut conçue comme une vitrine de cette réforme, adaptée à l’échelle d’une capitale en pleine mutation.
Émile Gilbert : l’architecte spécialiste des prisons
Émile Gilbert (1795-1874) s’était déjà illustré par la construction de la prison de la Petite Roquette (1836-1837), première application en France d’un plan cellulaire d’inspiration anglaise. Son expertise en matière de détention fit de lui l’homme désigné pour concevoir Mazas. Gilbert adapta le principe panoptique à un site contraint par l’environnement urbain, tout en intégrant des circulations rationalisées, des dispositifs de ventilation et des éclairages naturels destinés à améliorer les conditions de détention… tout en renforçant le contrôle.
Jean-François-Joseph Lecointe : la supervision urbaine
Jean-François-Joseph Lecointe (1783-1858), architecte en chef de la ville de Paris, assura la coordination avec les services municipaux et la supervision des travaux. Son rôle fut crucial pour intégrer l’édifice dans le tissu urbain en mutation, à proximité des nouvelles infrastructures ferroviaires. Lecointe veilla également au respect des délais et à l’adaptation des choix architecturaux aux impératifs budgétaires imposés par la Ville et l’État.
La conception technique et esthétique
Le plan de Mazas associait un pavillon central de surveillance et six ailes rayonnantes, chacune subdivisée en cellules individuelles. Ce dispositif permettait à un gardien placé au centre de contrôler simultanément plusieurs coursives. Les matériaux employés – pierre de taille, brique et charpentes métalliques – garantissaient solidité et durabilité. L’architecture se voulait fonctionnelle, épurée, rompant avec le style monumental des prisons antérieures, pour mieux incarner l’idée d’un outil rationnel de réforme morale.
Héritage et postérité
La prison Mazas fut détruite en 1900, laissant place à l’avenue Daumesnil et à de nouvelles constructions. Toutefois, les innovations de Gilbert et Lecointe marquèrent durablement l’architecture carcérale française. Leur approche inspira d’autres établissements comme la prison de la Santé (1867) et renforça l’idée que l’architecture pouvait être un levier de politique pénitentiaire. Les plans, gravures et documents conservés dans les archives parisiennes témoignent encore de cette ambition.
Conclusion
Émile Gilbert et Jean-François-Joseph Lecointe incarnent la rencontre entre expertise technique et vision urbaine dans l’architecture pénitentiaire du XIXe siècle. La prison Mazas fut non seulement un lieu de détention, mais aussi un laboratoire grandeur nature des idéaux disciplinaires de l’époque. Sa mémoire, aujourd’hui architecturale et archivistique, reste un témoin précieux de l’histoire des réformes sociales et des ambitions urbanistiques du Second Empire.
Sources bibliographiques :
Bentham, J. (1995). Le Panoptique (trad. M. Perrot). Paris : Mille et une nuits. (Œuvre originale publiée en 1791)
Faugeron, C., & Chauvenet, A. (1996). Histoire de la prison. Paris : Presses Universitaires de France.
Gilbert, E. (1841). Mémoire sur la construction des prisons cellulaires. Paris : Imprimerie royale.
Petit, J.-G. (1991). Ces peines obscures : la prison pénale en France, 1780-1875. Paris : Fayard.
Perrot, M. (2002). Les Ombres de l’histoire : crime et châtiment au XIXe siècle. Paris : Flammarion.
Vaudoyer, A.-L., & Lecointe, J.-F.-J. (1850). Rapport sur la construction de la prison Mazas. Paris : Ville de Paris.