L’architecture de la prison Mazas : une révolution carcérale dans le Paris du XIXe siècle
La naissance d’un symbole du Paris carcéral
Au milieu du XIXe siècle, Paris connaît une croissance démographique rapide et une transformation profonde de ses infrastructures. Les anciennes prisons, surpeuplées et insalubres, ne répondent plus ni aux exigences d’ordre public ni aux idéaux de réforme pénitentiaire qui émergent à cette époque. Dans ce contexte, la prison Mazas, inaugurée en 1850, se veut le modèle d’une nouvelle ère : celle de l’isolement cellulaire, de la surveillance centralisée et de l’hygiène modernisée. Située boulevard Mazas, face à la future gare de Lyon, elle incarne l’ambition d’allier architecture et réforme sociale.
Le projet architectural – Ambitions et inspirations
La conception de la prison Mazas est confiée aux architectes Émile Gilbert et Jean-François Lecointe. Leur mission : traduire en pierre et en fer les principes défendus par les réformateurs pénitentiaires, inspirés par les idées de John Howard et par le panoptique de Jeremy Bentham. L’objectif est clair : moraliser le détenu par l’isolement, le travail et la discipline, tout en assurant un contrôle total grâce à l’architecture.
Un plan novateur – La rotonde et les six galeries
Le bâtiment adopte un plan pentagonal d’où rayonnent six longues galeries convergeant vers une rotonde centrale de surveillance. Cette disposition permet aux gardiens d’observer simultanément plusieurs ailes sans se déplacer. Les galeries, éclairées par de vastes verrières, donnent accès à des cellules individuelles, chacune conçue pour séparer totalement les prisonniers. Les matériaux employés — maçonnerie robuste, ferronnerie de haute qualité — reflètent la volonté de pérennité et de modernité.
L’attention portée à l’hygiène et au confort relatif
Pour son époque, Mazas est une prouesse technique : ventilation naturelle conçue pour renouveler l’air, chauffage central distribuant une chaleur uniforme, éclairage au gaz. Chaque cellule, sobrement meublée d’un hamac, d’une table et d’une chaise, dispose d’un seau hygiénique. L’architecture vise à protéger la santé physique du détenu, tout en maintenant un strict dépouillement propice à la réflexion et au repentir.
Fonctionnalités et organisation de l’espace
Outre les cellules, Mazas comprend des ateliers où les détenus effectuent des travaux manuels (broderie, reliure, papeterie), une chapelle centrale, des espaces d’administration et des cours de promenade. Les circulations sont pensées pour éviter toute rencontre entre les différents groupes de prisonniers : prévenus, condamnés, et — plus rarement — femmes, logées dans un quartier séparé.
Une vitrine internationale – visites et influence
Dès son ouverture, la prison Mazas attire l’attention des délégations étrangères venues observer le « modèle parisien ». Des articles paraissent dans les revues spécialisées en architecture et en pénologie, vantant sa modernité. Mazas inspire la conception d’autres établissements français et européens, même si le système cellulaire ne sera jamais appliqué partout avec la même rigueur.
Les critiques – L’isolement comme souffrance
Très vite, des voix s’élèvent pour dénoncer les effets psychologiques délétères de l’isolement prolongé. Le médecin Pietro Pietra-Santa rapporte des troubles mentaux chez de nombreux détenus, tandis que Victor Hugo, dans Histoire d’un crime, condamne l’inhumanité du régime cellulaire. Les statistiques de suicides alimentent le débat et interrogent la pertinence de cette architecture de l’isolement.
La fin d’un monument carcéral
À la fin du XIXe siècle, la prison Mazas est jugée encombrante dans un quartier en pleine mutation. Sa démolition, en 1898, libère un espace stratégique à l’approche de l’Exposition universelle de 1900. Aujourd’hui, il ne subsiste que des plans, gravures et photographies d’époque, vestiges d’une architecture carcérale disparue mais influente.
Conclusion – Mazas, entre utopie architecturale et oubli urbain
La prison Mazas a incarné, le temps d’un demi-siècle, l’utopie d’une réforme morale par l’architecture. Si son plan, sa ventilation et sa lumière représentaient un progrès, son isolement strict a laissé une trace plus ambivalente. Sa disparition illustre le caractère éphémère de certaines innovations, et rappelle que l’architecture pénitentiaire ne peut être évaluée uniquement sur des critères techniques, mais aussi sur ses effets humains.
Sources bibliographiques :
Bentham, J. (1791). Panopticon; or, The Inspection-House. London: T. Payne.
Howard, J. (1784). The State of the Prisons in England and Wales. London: J. Johnson.
Pietra-Santa, G. de. (1855). Rapport sur les effets de l’isolement cellulaire à la prison Mazas. Paris: Imprimerie Impériale.
Hugo, V. (1877). Histoire d’un crime. Paris: Hetzel.
Petit, J. (1998). Les prisons de Paris au XIXe siècle. Paris: Éditions du Patrimoine.
Tissot, L. (2003). La modernité carcérale : architecture et réformes pénitentiaires en Europe, 1820–1914. Genève: Slatkine.