Histoires de Paris

A chaque coin de rue de Paris, des histoires… souvent revues, réadaptées mais fascinantes

Histoires au détour d'une rue

Le magasin de nouveautés du Grand Colbert

 

Le magasin de nouveautés du Grand Colbert : où les consommateurs retrouvaient les produits des fabricants …

 

De 1841 à 1868, les parisiennes disposaient en plein cœur de la capitale un magasin se revendiquant comme le lieu de mise à disposition de produits de hautes qualité aux prix des fabricants : le Grand Colbert. Le commerce se déroulait avec succès, à en croire les publicités que nous avons pu retrouver.

Un établissement avait pris son nom de la galerie Colbert où il était installé, tout en disposant de son propre accès sur la rue et sa grande vitrine.

 

 

Le début de l’aventure et la promesse proposée à ses clientes.

C’est en 1841 que le magasin des nouveautés, le Grand Colbert ouvre ses portes. Très vite, il pose sa réputation en mettant en avant une véritable promesse client, claire et vérifiable. Le Commerce du 15 octobre 1842 nous en dit davantage :

« Le Grand-Colbert vient d’exposer ses nouveautés d’hiver, et l’on doit dire à sa louange qu’elles sont dignes des nobles visiteuses qui, de tous les quartiers de Paris, y affluent chaque jour. Depuis un an à peine qu’elle est rouverte, cette maison a vu s’accroître progressivement sa réputation et sa clientèle, qui, du reste, sans exagération, est aujourd’hui une des premières de la capitale. Cet Immense succès du Grand-Colbert est dû principalement aux principes pleins de loyauté dont ses propriétaires se sont faits, dès le commencement, une règle invariable, principes qui, par leur nouveauté, ont produit une véritable sensation dans le monde parisien. »

Un mot est essentiel : la loyauté. Elle doit s’appliquer à l’ensemble de la gamme et pas simplement aux produits d’appel :

« Ainsi, depuis longtemps le public était bien accoutumé à trouver certains articles à bon marché dans un grand nombre de maisons : mais ces articles se bornaient à ceux dont les prix sont généralement connus ; quant aux marchandises d’une appréciation plus difficile, elles y ont toujours été cotées au-dessus de leur valeur véritable ; tandis qu’au Grand-Colbert, au contraire, le même bon marché règne pour toute espèce de marchandises , pour les plus communes comme pour les plus rares, pour les plus riches, comme pour les plus simples ; c’est à dire que les bénéfices y sont calculés dépris les mêmes proportions pour toutes, et ces bénéfices sont établis de telle manière qu’ils ne coûtent rien à l’acheteur »

 

L’approche de l’escompte

Mais alors ? Comment le magasin peut réaliser les bénéfices nécessaires pour sa survie et son agrandissement ?

« Grand-Colbert payant tout comptant, reçoit un escompte du fabricant qui lui vend. Cet escompte forme ses bénéfices ; de cette manne, la clientèle du Grand Colbert peut dire avec vérité qu’elle n’a pas payé sa robe plus chère que ne l’eût payée en fabrique le marchand qui en eût acheté plusieurs pièces à la fois. Voilà qui explique comment le Grand-Colbert peut avoir toujours les marchandises les mieux choisies et les plus nouvelles, tout en les cotant des prix qui n’ont pas leurs semblables à Paris. »

Ainsi, en payant tout de suite, le magasin sécurise ses fournisseurs, habitués à des paiements plus tardifs, cette dernière pratique existe toujours de nos jours. De ce fait, et probablement aidés par les volumes, ils peuvent consentir à réaliser un escompte, soit une petite partie de marchandise. C’est cette différence qui génère la marge au magasin, alors même qu’il vendait coûtant le gros de la production.

C’est évidemment une autre manière de présenter la marge, mais cela permet d’avoir une proposition de bon marché claire : Ici, vous trouvez les produits au prix des fabricants.

 

Le magasin des fabricants et la diversité des rayons

Avec son modèle économique, le Grand Colbert se veut être le magasin des fabricants. Ici, on les voit, on y retrouve leurs prix et leurs diversités. Ils sont le gage de leur qualité.

Ainsi, on n’hésite pas à les mettre en avant dans la publicité, comme nous le lisons dans le Journal des coiffeurs du 1er juillet 1847.

Pour vous le mettre en évidence, voici quelques extraits :

« Qu’y a-t-il de mieux, de plus beau, de plus seyant que ces légers réseaux, laissant deviner, entrevoir presque les contours les plus heureux, suit qu’il s’agisse d’aunages destinés, par Violard, à former de hauts volants, soit que ces précieuses dentelles aient été disposées dans le but de produire de ces galantes écharpes, de ces gracieux mantelets qu’on admire à bon droit parmi le riche assortiment produit par la fabrique de cet habile artiste ? »

« Ces fantaisies, que toutes les dames apprécient et qui acquièrent autant d’importance par la manière dont elles sont portées que par leur confection, deviennent donc des demi-parures de promenade ou d’intérieur, pour les eaux et le séjour des châteaux. Capotes ou chapeaux, tout cela semble éclore, frais et coquet, sous les doigts habiles de Mme Penct. »

 

« Les mises varient à l’infini, avons-nous dit ; mais l’on trouve dans cette diversité de nouveaux modèles, telles sont les robes de Mme Remondière, et ses redingotes de si bon genre. »

« Quant à l’ombrelle, cet indispensable auxiliaire de toutes les mises de sortie, la vogue la plus méritée est acquise aux ombrelles sous-jupes de Mme Lemaréchal »

 

Derrière cette diversité de fabricants se cachait un large choix de marchandises et de rayons. Le Grand Colbert était un véritable magasin de nouveautés, où on pouvait trouver plein de choses différentes, suivant ses envies et ses besoins.

 

 

L’agrandissement

Grâce à ses nombreuses ventes, le magasin peut accueillir toujours davantage de fabricants parmi ses fournisseurs.

« Le succès prodigieux obtenu par le GRAND COLBERT, par suite de la mesure adoptée depuis sa nouvelle organisation, a obligé les propriétaires de cet Etablissement à agrandir le cercle de leurs relations en fabrique. Cette maison peut donc annoncer HAUTEMENT au public qu’elle a considérablement augmenté le nombre de ses traités en fabrique, de telle sorte qu’aujourd’hui elle peut offrir des marchandises de tonte provenance, soit de la France, soit de l’étranger, lesquelles seront vendues, pour le compte des fabricants » Vert Vert du 18 octobre 1858

 

En 1861, c’est la taille du magasin qui s’élargit, comme nous le lisons dans la Patrie du 27 mars 1861 :

« Ouverture le 1er avril de sept nouvelles galeries d’exposition publique qui font de cet établissement le plus vaste de Paris

Le GRAND COLBERT est le représentant direct des premiers fabricants de la France et de l’étranger. Il vend pour leur compte et aux prix réels de fabrique. »

Le plus vaste de Paris ? Nous n’en savons tant nous avons pu retrouver de publicités mettant en avant cette situation. Mais le commerce au Grand Colbert s’affiche toujours plus large.

 

De la publicité des années 1840 à celles des années 1860 !

Dans la mesure où la publicité par encart était très limitée au cours des années 1840, le Grand Colbert recourait régulièrement à des articles rémunérés dans les journaux. Il leur fournissait des textes qu’on pouvait retrouver dans plusieurs périodiques, vantant le magasin, sa marchandise, ses opérations.

Ces longs articles nous permettaient d’en savoir davantage sur les pratiques du magasin, ses promesses, son modèle économique.

« C’est à dire que le Grand-Colbert, comme nous le disions en commentant, résume en lui toutes les spécialités les plus diverses et les plus nombreuses, et que la femme coquette, qui chaque jour demande la mode des choses nouvelles, y trouvera de quoi se satisfaire, tout aussi bien que la mère de famille, qui recherche avant tout le confortable et l’utile. » Le Commerce du 15 octobre 1842

« Le Grand-Colbert embrasse la nouveauté dans tous ses genres, dans tous ses détails. De quelque objet qu’on ait besoin, dès que c’est un objet de mode et de toilette, on est assuré de l’y trouver. »

 

Toutefois, après la fin de la monarchie de Juillet, vint le temps du Second Empire. Au cours de cette période, la publicité prend une plus grande part et s’affiche directement à l’aide d’encart, occupant des vastes parties de pages.

Ensuite, les opérations sont mises en avant de manière plus classique à grand renfort de communication et mises en avant des avantages (prix et produits).

 

Le Vert Vert annonce le 18 octobre 1858 :

« Cette maison peut donc annoncer HAUTEMENT au public qu’elle a considérablement augmenté le nombre de ses traités en fabrique, de telle sorte qu’aujourd’hui elle peut offrir des marchandises de tonte provenance, soit de la France, soit de l’étranger, lesquelles seront vendues, pour le compte des fabricants, AUX PRIX REELS DE FABRIQUE.

Chacun comprendra que, l’INTERMÉDIAIRE entre le PRODUCTEUR et le CONSOMMATEUR étant supprimé, aucune maison ne peut vendre aussi bon marché que le GRAND COLBERT. — Cet Etablissement, représentant le fabricant à Paris, est LE SEUL ET UNIQUE qui ait la possibilité de vendre à des prix assez bas pour que personne ne puisse lui faire une concurrence réelle. »

 

Même si la promesse est toujours de vendre « aux prix réels de fabrique », son slogan est devenu : « Première maison de confiance de Paris ». La loyauté des premières années s’est transformée en confiance, concepts avec leur proximité, mais renvoyant cependant à des univers distincts.

Aussi, la réclame du Grand Colbert n’hésite pas à vanter la largeur de son public et de sa clientèle.

 

Il continue toujours à mettre en avant certains produits, dont il savait que sa renommée était acquise :

« L’article Châles est un article dont on parle peu et sur lequel on prélève généralement de gros bénéfices. Le propriétaire du Grand Colbert prenant l’initiative d’une mesure importante, s’est entendu avec des fabricants de châles qui ont obtenu les récompenses les plus élevées aux diverses expositions et il a su traiter avec eux les conditions de bon marché si exceptionnelles qu’il peut vendre tous châles en général à un taux inférieur aux cours ordinaires. Chaque article est muni d’une étiquette de garantie reproduite sur la facture. » Le Temps du 9 octobre 1864

 

La liquidation du magasin

Début 1868, le magasin du Grand Colbert va tirer sa révérence. En forme de bouquet final, il se lance dans une ultime opération commerciale. Le Moniteur Universel rapporte le 9 février 1868 :

« Liquidation sérieuse et obligatoire de plus de six millions de nouveautés qui seront vendues à une perte effrayante : a plus de trois quarts de leur valeur réelle.

Mise en vente extraordinaire de la 2e série qui se compose de Cachemires des Indes et de France, Dentelles, Soieries riches, Toiles et Tapis, Lainage haute nouveauté, Lingerie, Confections, Fourrures, Draperie, Bonneterie et autres Nouveautés qui n’ont pu faire partie de la première Série, et qui seront, ainsi que celles-là, données à la perte immense, désastreuse et réelle qui a suscité tant de haines.

 

Ainsi, sans s’arrêter à quelques susceptibilités de concurrence, à quelques intérêts froissés, préférant faire profiter la masse des acheteurs d’un bénéfice énorme, sans pareil, d’un bon marché inouï et sans précédent dans les annales commerciales, préférant cela, disons-nous, à une vente en gros dont un seul profiterait ou quelques-uns seulement, le chef actuel de l’immense maison du GRAND COLBERT continuera la vente de ses Nouveautés exclusivement en détail et à la perte effrayante déjà mentionnée.

Pour arriver à la prompte réalisation de cet actif important, aucun sacrifice ne sera épargné. — La perte, si grande déjà, sera encore augmentée, et, s’il le faut, certains articles seront donnés à tout prix !… Bien donc, nous en sommes certains, l’empressement qu’ont mis les acheteurs à profiter de l’immense avantage qui leur était offert dans la première Série nous le prouve, rien donc, disons-nous, n’arrêtera l’élan donné par l’annonce de cette vente désastreuse, de celle Liquidation vraie et sérieuse eu tous points, et puisqu’il faut le dire, de cette réalisation forcée d’un actif qui doit sauver d’un péril imminent M. D…, chef actuel du GRAND COLBERT.

 

Ainsi faite, la liquidation du GRAND COLBERT n’est donc pas un leurre. Tout dit à sa raison d’être ; tout garantit son authenticité ; tout prouve la perte effrayante qui est annoncée. Et, si celte perte est un grand désastre, si elle est une ruine, elle est, nous le répétons, un avantage unique, une occasion extraordinaire que ne rencontrera jamais l’acheteur qui saura profiter de ces pénibles circonstances. »

 

Un local repris par une autre maison de nouveautés

Après cette première liquidation, une nouvelle tentative de relance du magasin est réalisée en 1873. Les produits y ont changé. Ce sont des waterproof anglais qui sont mis en vente. En 1876, il s’agit de produit de confection pour dames. La promesse de magasin de fabricants est oubliée. L’établissement est utilisé pour vendre des lots. En réalité, c’est un autre magasin qui avait repris les lieux : la Maison Godchau qui s’y installe dès 1872. 

 

Sources bibliographiques :