Histoires de Paris

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Repères

Les pavés en granit : une pierre d’assise de la voirie parisienne

À Paris, les pavés évoquent à la fois l’histoire, l’esthétique et la résistance de la ville. Parmi les matériaux utilisés pour les revêtements de rue, le granite occupe une place de choix, tant pour ses qualités techniques que pour sa dimension symbolique. Utilisé massivement à partir du XIXe siècle, notamment sous le Second Empire, il s’est imposé comme un matériau incontournable dans les grandes opérations de pavage urbain. Cet article propose de retracer l’histoire, les usages, les caractéristiques et la symbolique des pavés en granite dans la capitale, en s’appuyant sur les sources techniques, historiques et patrimoniales.

Une origine géologique et logistique déterminante

Le granite utilisé pour les pavés parisiens provient principalement de carrières situées en Bretagne (notamment dans le Finistère et les Côtes-d’Armor), dans le Morvan ou encore en Île-de-France (comme à Fontainebleau pour les grès granitiques). Son choix s’explique par sa dureté, sa résistance à l’usure et aux charges lourdes, mais aussi par sa relative disponibilité à proximité de la capitale, accessible par voie fluviale ou ferroviaire.

La mise en place d’une véritable filière logistique au XIXe siècle — depuis l’extraction jusqu’à la livraison dans Paris — a permis l’emploi massif de pavés en granite dans les rues, notamment durant les grands travaux haussmanniens. Le port de Bercy ou celui de la Villette furent longtemps des points névralgiques de ce commerce de matériaux.

Caractéristiques techniques : un matériau d’endurance

Le granit se distingue par une résistance exceptionnelle à la compression, une faible porosité, et une grande longévité, ce qui en fait un matériau idéal pour la voirie, en particulier dans les zones de fort passage. En raison de sa dureté, il requiert des outils spécifiques pour la taille, tels que les ciseaux à pierre, les chasse-clous ou les aiguilles de tailleur de pavé.

Les pavés en granit mesurent généralement entre 14 et 20 cm de côté, pour une épaisseur pouvant aller jusqu’à 15 cm. Leur pose traditionnelle en “queue de paon” ou en “opus incertum” permet une répartition optimale des efforts et limite le déplacement des pierres.

Le pavé en granit dans l’urbanisme haussmannien et post-haussmannien

Sous Napoléon III, le granit devient le matériau privilégié pour équiper les boulevards nouvellement percés. Il est choisi non seulement pour sa robustesse mais aussi pour son aspect visuel, participant à l’uniformisation esthétique de la capitale.

Le granit est également utilisé dans les places, les abords de bâtiments publics, les ponts et les voies principales. Il contribue à construire l’image d’un Paris moderne, ordonné, capable d’accueillir la circulation croissante, y compris celle des voitures hippomobiles puis motorisées.

Un matériau entre résistance et rébellion

Paradoxalement, la solidité du granite fut aussi son talon d’Achille dans les mouvements insurrectionnels. Les pavés, arrachés par les émeutiers au XIXe siècle comme en mai 1968, devinrent des armes de fortune et des symboles de la révolte. Le célèbre slogan de Mai 68, « Sous les pavés, la plage », évoque d’ailleurs ces pavés de granit qui recouvraient les rues du Quartier latin.

Héritage, préservation et usages contemporains

Aujourd’hui, les pavés en granit subsistent dans plusieurs quartiers de Paris, notamment dans le Marais, à Montmartre, ou encore autour de la place Dauphine et de la rue Saint-Jacques. Ils sont protégés dans certains périmètres patrimoniaux ou secteurs sauvegardés.

Des opérations de dépose-repose sont parfois menées pour permettre l’enfouissement de réseaux ou la réfection de chaussées, dans le respect des méthodes traditionnelles. Le granite reste également utilisé dans des projets urbains contemporains, où il est réintroduit pour des raisons patrimoniales, esthétiques ou environnementales (perméabilité, recyclage).

Conclusion

Les pavés en granit sont bien plus que de simples éléments de voirie : ils incarnent l’histoire minérale de Paris, témoignent des savoir-faire artisanaux, et participent à l’identité visuelle et symbolique de la ville. Leur présence dans les rues, leur mémoire dans les luttes et leur usage renouvelé dans l’urbanisme contemporain en font des marqueurs puissants du lien entre la ville et sa pierre.

Sources bibliographiques : 

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