Les pavés en grès : pierre fondatrice des rues parisiennes
Dans le paysage urbain parisien, le pavé en grès est bien plus qu’un simple revêtement de voirie : il est un témoin minéral de l’évolution de la capitale depuis le Moyen Âge. Matériau local, tiré des sols d’Île-de-France, il a contribué à façonner les rues de la ville bien avant l’introduction du granite ou du bitume. À la fois fonctionnel, esthétique et résistant, le grès constitue l’un des marqueurs les plus durables de l’histoire de la chaussée parisienne. Cet article propose de retracer la trajectoire de ce matériau depuis son extraction jusqu’à sa présence contemporaine dans l’espace urbain.
Le grès : une roche adaptée au pavage
Le grès est une roche sédimentaire formée par la consolidation de grains de sable. En Île-de-France, il est particulièrement présent dans les massifs de Fontainebleau, de Montmorency ou encore du sud de la Seine-et-Marne. Ce grès francilien présente une dureté élevée, une structure compacte, et une résistance naturelle à l’usure, ce qui en fait un matériau idéal pour la fabrication de pavés.
Sa couleur varie du beige clair au brun foncé, parfois ponctuée de veines ocres ou rougeâtres, offrant ainsi une palette visuelle sobre mais variée. Sa surface naturellement rugueuse améliore l’adhérence, qualité précieuse dans une ville humide ou boueuse.
L’histoire des pavés en grès à Paris
L’utilisation du grès pour le pavage de Paris remonte à l’époque médiévale. Dès le règne de Philippe Auguste (fin XIIe siècle), certaines rues de la ville sont dotées d’un revêtement de pierre, principalement pour améliorer la circulation et lutter contre la boue. Le grès local est alors privilégié pour sa proximité, sa facilité d’extraction et sa robustesse.
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, sous l’impulsion des intendants de police et des ingénieurs de la voirie, la pratique du pavage s’étend dans toute la capitale. Le grès devient la pierre de référence, notamment dans les quartiers centraux, les faubourgs et les abords des églises.
Au XIXe siècle, malgré l’arrivée massive des pavés en granite venus de Bretagne et d’ailleurs, le grès conserve une place importante dans les petites rues, les ruelles pavées, les arrières-cours et les trottoirs. Il est souvent réservé aux zones piétonnes ou à faible trafic en raison de sa dureté inférieure à celle du granite, mais il reste omniprésent dans le tissu urbain.
Techniques de taille et de pose des pavés en grès
Le pavé en grès est généralement taillé dans des blocs extraits à la main, puis débités en modules plus ou moins standardisés. Les dimensions les plus courantes sont 15 x 15 x 15 cm, mais les variantes sont nombreuses : pavés mosaïques, pavés de ruisseau, ou pavés de calage.
Le grès, bien qu’un peu plus tendre que le granite, nécessite un outillage spécifique : chasse, massette, pointerolle et outils de finition. Il est apprécié pour sa capacité à se fendre proprement le long des lignes de stratification.
La pose traditionnelle repose sur un lit de sable compacté, avec des joints comblés également de sable. Cette technique permet une bonne stabilité tout en favorisant l’écoulement de l’eau. Le pavage en grès est souvent associé à une bordure en pierre plus dure, pour renforcer la structure de la chaussée.
Le grès dans l’espace parisien : esthétique et durabilité
La texture et les teintes naturelles du grès donnent aux rues anciennes de Paris un charme particulier, souvent associé à la topographie du vieux Paris : ruelles sinueuses, passages étroits, places discrètes. On retrouve des pavés en grès dans :
• le Marais (rue de Sévigné, rue des Francs-Bourgeois),
• le Quartier Latin (rue de la Montagne Sainte-Geneviève),
• certaines rues de Montmartre,
• les passages couverts ou les entrées d’immeubles haussmanniens.
Esthétiquement, le grès se distingue par son aspect patiné, qui résulte de décennies, voire de siècles, de circulation piétonne. Il participe à l’identité sensorielle de Paris : les sons de pas sur ces pavés, les reflets de la pluie, les creux façonnés par le temps.
Héritage, conservation et usages contemporains
Aujourd’hui, les pavés en grès font l’objet d’un intérêt patrimonial croissant. Leur présence dans les zones protégées est souvent conservée lors des réfections de voirie, même si certaines contraintes contemporaines (accessibilité, bruit, vibration) poussent parfois à leur remplacement.
Le grès est aussi réutilisé, notamment dans des chantiers de réhabilitation ou d’aménagement paysager. Les anciens pavés sont triés, nettoyés, puis reposés dans des cours, des places piétonnes ou des trottoirs historiques.
Des entreprises spécialisées, en lien avec les services d’urbanisme ou les Architectes des bâtiments de France, veillent à préserver ces matériaux. La présence du grès devient ainsi un marqueur de continuité historique et un support de mémoire urbaine.
Conclusion
Les pavés en grès incarnent une forme d’intimité entre la ville et la pierre. Ils racontent l’histoire d’un matériau local, façonné par des générations d’artisans, foulé par des millions de pas, et toujours présent dans le sol parisien. À l’heure des revêtements modernes et des préoccupations environnementales, leur présence discrète mais tenace rappelle que la durabilité peut aussi s’écrire dans la simplicité des matériaux et la profondeur du temps.
Sources bibliographiques :
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