La prison cellulaire au XIXe siècle : entre utopie réformatrice et isolement carcéral
Le XIXe siècle, laboratoire pénitentiaire
Le XIXe siècle marque un tournant décisif dans l’histoire des prisons. La révolution industrielle, l’urbanisation accélérée et la perception d’une criminalité croissante poussent les autorités à réformer un système pénitentiaire jugé archaïque et inefficace. Les vieilles maisons d’arrêt, surpeuplées et insalubres, sont accusées de transformer les détenus en criminels endurcis.
Face à ce constat, un modèle architectural et disciplinaire émerge : la prison cellulaire. Elle promet l’isolement individuel, la surveillance totale et la moralisation par le travail et la solitude. Présenté comme un progrès humanitaire et technologique, ce système incarne aussi la volonté de l’État d’exercer un contrôle rationnel sur les corps et les esprits.
Origines et fondements idéologiques
La prison cellulaire puise ses racines dans les travaux des réformateurs pénitentiaires du XVIIIe siècle, tels que John Howard en Angleterre et Jeremy Bentham, inventeur du concept panoptique. Deux grands systèmes, nés aux États-Unis, influencent directement l’Europe :
• Le système de Philadelphie (ou pennsylvanien) : isolement total jour et nuit, travail effectué en cellule, contacts humains réduits au strict minimum.
• Le système d’Auburn : isolement nocturne mais travail collectif silencieux le jour.
Les partisans de la cellule individuelle voient dans cette organisation un moyen de couper les détenus de la « contagion morale » du vice et de favoriser le repentir.
Caractéristiques architecturales
Les prisons cellulaires du XIXe siècle adoptent souvent un plan en étoile ou en croix, centré sur une rotonde permettant la surveillance rayonnante. Ce dispositif, inspiré du panoptique, permet à un nombre réduit de gardiens de contrôler visuellement un grand nombre de cellules.
Les cellules, généralement conçues pour un seul occupant, sont équipées de mobilier minimal : lit ou hamac, table, chaise, seau hygiénique. Les innovations techniques — ventilation naturelle, chauffage central, éclairage au gaz — visent à améliorer l’hygiène et réduire les risques de maladies.
En France, la prison Mazas (1850) et la Petite Roquette sont des exemples emblématiques de cette architecture.
Le régime cellulaire au quotidien
La vie dans une prison cellulaire est rythmée par un emploi du temps strict :
• Lever tôt et toilette sommaire.
• Travail en cellule ou dans des ateliers spécialisés (reliure, broderie, confection d’objets).
• Temps de prière ou instruction religieuse.
• Repas pris seuls dans la cellule.
Les circulations sont organisées pour éviter toute rencontre entre détenus. Même les promenades se font isolé dans un petit enclos individuel ou à distance réglementaire.
Promesses et avantages mis en avant
Aux yeux de ses promoteurs, le système cellulaire offre plusieurs bénéfices :
• Prévention de la promiscuité et des évasions.
• Amélioration de l’hygiène par rapport aux prisons collectives.
• Possibilité d’un « amendement moral » grâce à la solitude et au travail.
• Présentation comme vitrine du progrès dans les expositions universelles et congrès internationaux.
Les visites officielles soulignent souvent la modernité technique et la discipline ordonnée.
Critiques et limites
Rapidement, des médecins, écrivains et journalistes soulignent les effets délétères de l’isolement prolongé. Les rapports du docteur de Pietra-Santa, en France, font état de troubles mentaux, de dépressions et d’une hausse des suicides. Victor Hugo, dans Histoire d’un crime, fustige l’inhumanité de ce régime.
Par ailleurs, la construction et l’entretien de telles prisons exigent des investissements considérables, ce qui limite leur généralisation intégrale.
Diffusion et adaptations
Le système cellulaire se diffuse largement en Europe et dans certaines colonies, mais il est souvent adapté aux contraintes locales. En France, si des prisons comme Mazas ou Fresnes suivent le modèle cellulaire, d’autres établissements conservent des régimes mixtes. À l’étranger, la prison de Pentonville à Londres ou l’Eastern State Penitentiary à Philadelphie servent de modèles de référence.
Déclin et héritage
À la fin du XIXe siècle, la rigidité du système cellulaire est de plus en plus remise en question. Des régimes combinant isolement partiel et activités collectives apparaissent. Toutefois, l’architecture cellulaire influence durablement la conception des établissements pénitentiaires modernes, où l’isolement reste une modalité de détention, notamment pour les quartiers disciplinaires ou de haute sécurité.
Conclusion – Utopie et désillusion
La prison cellulaire au XIXe siècle incarne à la fois une ambition réformatrice et un instrument de contrôle social. Si elle marque un progrès technique et sanitaire, elle révèle aussi les dangers psychologiques d’un isolement poussé à l’extrême. Aujourd’hui, elle nous interroge sur l’équilibre à trouver entre sécurité, réinsertion et respect de la dignité humaine.
Sources bibliographiques :
Bentham, J. (1791). Panopticon; or, The Inspection-House. London: T. Payne.
Howard, J. (1784). The State of the Prisons in England and Wales. London: J. Johnson.
Pietra-Santa, G. de. (1855). Rapport sur les effets de l’isolement cellulaire à la prison Mazas. Paris: Imprimerie Impériale.
Hugo, V. (1877). Histoire d’un crime. Paris: Hetzel.
Petit, J. (1998). Les prisons de Paris au XIXe siècle. Paris: Éditions du Patrimoine.
Tissot, L. (2003). La modernité carcérale : architecture et réformes pénitentiaires en Europe, 1820–1914. Genève: Slatkine.