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La danse mauresque dans la peinture : du romantisme à l’orientalisme 

La danse mauresque, emblème de l’Orientalisme, a été une source inépuisable d’inspiration pour de nombreux artistes occidentaux, notamment à partir du XIXe siècle. L’attrait pour les cultures orientales, dans le sillage des conquêtes coloniales et des voyages en terres exotiques, a suscité une fascination profonde pour des sujets perçus comme mystérieux, sensuels et éloignés des conventions européennes. La danse, et plus particulièrement la danse mauresque, est rapidement devenue l’un des symboles les plus expressifs de cet exotisme dans la peinture. À travers le geste et le mouvement, la danse mauresque permet aux peintres de capturer l’essence de l’Orient, tout en la réinventant selon les codes et les fantasmes européens.

L’art européen, influencé par des courants comme le romantisme et l’orientalisme, a intégré cette danse dans ses représentations picturales, en la mettant en scène sous des formes variées : danseuses en costumes somptueux, scènes de danse en plein air, ou encore tableaux de genre. Ainsi, la danse mauresque, qui trouve ses racines dans les traditions des pays du Maghreb et de l’Espagne musulmane, est devenue une figure centrale dans l’imaginaire occidental, souvent associée à une sensualité mystérieuse et à une séduction exotique.

Ce phénomène artistique, bien que nourri de réalités culturelles, est aussi le reflet des projections, des stéréotypes et des idéalisations qui ont marqué la perception de l’Orient dans la société occidentale. Cette introduction se propose donc de sonder l’impact de la danse mauresque dans la peinture, en explorant comment les artistes l’ont représentée et comment elle a évolué au fil du temps, tout en interrogeant les enjeux symboliques et culturels sous-jacents à cette fascination.

La danse mauresque à travers les yeux des artistes du XIXe siècle

Au XIXe siècle, la danse mauresque devient un motif emblématique de l’orientalisme en peinture. L’orientalisme, comme courant artistique, naît de l’intérêt croissant des artistes européens pour les cultures d’Orient, notamment après les campagnes napoléoniennes en Égypte et la publication des récits de voyageurs. La danse, un acte souvent considéré comme subversif et sensuel, s’inscrit dans un imaginaire collectif où l’Orient est perçu comme un lieu de débauche, de luxe et de mystère. Dans ce contexte, la danse mauresque, telle qu’elle est interprétée et représentée dans l’art occidental, devient un moyen d’exprimer cet exotisme.

L’Orientalisme et la naissance de la fascination pour la danse mauresque

L’Orientalisme, phénomène artistique majeur du XIXe siècle, est marqué par une fascination pour l’Orient et une volonté de capturer cette culture lointaine dans des œuvres d’art. Cette tendance se manifeste dans la peinture, la littérature, et la musique. Cependant, il est essentiel de comprendre que la vision occidentale de l’Orient n’est pas uniquement une représentation fidèle de la réalité mais une construction imaginaire, alimentée par des stéréotypes, des préjugés et des fantasmes.

La danse mauresque se trouve au cœur de cette représentation. En particulier, elle devient un symbole du mystère oriental et de la sensualité perçue comme insoumise. La danse, souvent décrite comme fluide, envoûtante, et pleine de mouvements voluptueux, s’oppose aux normes strictes et contrôlées des danses occidentales. Elle incarne ainsi une forme de liberté corporelle, d’expression de l’émotion pure, souvent associée à un déchaînement de passions. Cette idée de danse libérée, sans entraves, est particulièrement attractive dans un monde européen où les conventions sociales et morales sont encore fortement ancrées.

Peintres emblématiques et premières représentations

Des artistes comme Eugène Delacroix, Jean-Léon Gérôme, et Jules-Élie Delaunay sont parmi les premiers à représenter la danse mauresque dans leurs œuvres. À travers leurs pinceaux, ils offrent des scènes vibrantes, exubérantes et parfois théâtrales, dans lesquelles la danse est un acte symbolique, plus que la simple représentation d’un mouvement corporel.

Eugène Delacroix, dont l’œuvre est emblématique du romantisme et de l’orientalisme, peint des scènes où la danse s’entrelace avec les émotions humaines et les passions débridées. Dans sa toile La Danse du sérail (1839), Delacroix capte l’énergie et la sensualité des danseuses orientales, représentant des corps qui s’enlacent, se tordent dans un mouvement effréné. Ce tableau illustre l’idée que la danse est un moyen d’accéder à un monde de sensations extrêmes, un monde où les émotions, tout comme les corps, sont libérées de toute contrainte.

Jean-Léon Gérôme, quant à lui, prend une approche plus académique, en peignant des scènes d’intérieur d’une grande précision et d’un raffinement extrême. Dans La Danse du ventre (1890), il expose une danseuse orientale dans un cadre luxueux, son corps moulé dans un costume richement orné. Ce tableau illustre la manière dont la danse mauresque est transformée en spectacle, dans une vision quelque peu figée et idéalisée de l’Orient.

Les œuvres de ces artistes, et bien d’autres, marquent une transition importante : la danse mauresque est à la fois une danse populaire et une performance visuellement fascinante qui traverse des genres et des styles différents. Le mouvement, la fluidité et la sensualité sont les principales caractéristiques de ces scènes, mais elles sont toujours représentées dans une lumière théâtrale, parfois teintée de mystère et de sensualité.

La mise en scène du corps et de l’exotisme

L’un des éléments marquants de ces représentations de la danse mauresque est la mise en scène du corps féminin. Les danseuses, souvent représentées nues ou vêtues de costumes légers, sont des figures sensuelles et mystérieuses, placées dans des poses exubérantes qui soulignent la fluidité du mouvement et la grâce de leurs gestes. La danse ne devient pas simplement un acte d’expression corporelle, mais un moyen de réaffirmer l’exotisme et la fascination occidentale pour l’Orient.

Le décor, généralement orné de tapis persans, de tentures orientales, et d’architecture de style arabe, contribue également à renforcer l’idée que la danse mauresque fait partie d’un univers hors de portée, un monde où les lois de la société européenne ne s’appliquent pas. Ce décor, tout comme le corps des danseuses, participe à l’idéalisme et à l’artificialité de la représentation, éloignant la danse de toute réalité et la transformant en un spectacle pour le spectateur européen.

La danse mauresque : un spectacle de l’âme et du corps

Dans ces tableaux, la danse mauresque dépasse le simple cadre d’une activité physique pour devenir un spectacle total. En jouant sur l’idéalisme de l’Orient, les artistes rendent hommage à l’idée d’une liberté du corps, souvent associée à une liberté spirituelle. Cependant, cette liberté apparente est toujours sous-tendue par un certain contrôle esthétique. Les corps sont parfaitement sculptés, les mouvements parfaitement maîtrisés, et l’intensité de la danse se retrouve dans la violence avec laquelle ces artistes tentent de capturer l’instant.

La sensualité et le désir que suscite la danse mauresque dans l’imaginaire occidental sont des éléments clés pour comprendre pourquoi elle a été si couramment représentée dans les œuvres de ces peintres. Au-delà de la simple illustration d’une danse, il s’agit ici de créer une image mythologique de l’Orient, une vision romantique et idéalisée qui vise à séduire et à fasciner le public.

Ainsi, à travers les pinceaux des artistes du XIXe siècle, la danse mauresque devient bien plus qu’une simple forme de danse. Elle devient un symbole de l’Orient qui s’épanouit dans une libre sensualité, et par le biais de ses représentations picturales, elle sert de miroir à une époque qui cherche à appréhender les cultures lointaines et exotiques à travers un prisme de désir et de fantasmes.

Dans cette première partie, nous avons vu comment la danse mauresque est intégrée dans le mouvement orientaliste à travers l’art du XIXe siècle. Le corps dansant, à la fois gracieux et envoûtant, devient un moyen de représenter l’exotisme, et au-delà, une forme de spectacle destiné à capturer l’imaginaire des spectateurs européens.

L’impact de la danse mauresque sur l’évolution de l’iconographie et les représentations artistiques

Dans cette deuxième partie, nous allons explorer l’impact de la danse mauresque sur l’évolution de l’iconographie et les représentations artistiques. Le XIXe siècle a vu naître une transformation de la manière dont l’Orient et ses danses étaient perçus en Europe. Alors que la danse mauresque est d’abord une simple expression culturelle observée dans le cadre des fêtes orientales, elle se transforme progressivement en un symbole de l’Orientalisme, où elle devient l’incarnation même de la sensualité et de l’exotisme. Cette évolution a eu des répercussions notables dans la manière dont elle a été représentée dans la peinture.

L’Orientalisme et l’évolution des codes iconographiques dans la peinture

L’Orientalisme, un mouvement artistique qui trouve ses racines dans la fin du XVIIIe siècle et se développe pleinement au XIXe siècle, s’intéresse à des représentations idéalisées de l’Orient. La danse mauresque devient un symbole d’exotisme et de débauche, transformée par les artistes en une image spectaculaire et idéalisée. Les scènes de danse ne cherchent pas seulement à rendre compte de la réalité de la danse orientale, mais à capturer une image idéalisée de l’Orient, véhiculant des fantasmes de sensualité et de liberté.

Les représentations de la danse mauresque s’inscrivent alors dans une iconographie qui mélange différentes influences culturelles et artistiques, tant orientales qu’occidentales. Ce phénomène est marqué par une adoption des codes visuels associés aux danses et aux représentations orientales, créant une esthétique particulière dans la peinture du XIXe siècle. Les peintres insèrent souvent la danse mauresque dans des contextes exotiques, remplis de drapés somptueux, de décors opulents et de lumière chaude, accentuant l’aspect irrésistible de cette danse.

Les figures féminines de la danse mauresque dans la peinture orientalisante

La représentation de la danse mauresque dans les œuvres des artistes du XIXe siècle est souvent associée à l’image de la femme orientale. Les artistes se sont emparés de cette figure pour créer des représentations idéalisées du corps féminin dansant. Dans ces œuvres, la danse n’est pas simplement un mouvement, mais un moyen d’explorer la sensualité et l’exubérance du corps. Les corps des danseuses sont souvent accentués par des poses spectaculaires et des costumes exotiques, renforçant l’aspect théâtral et voluptueux de la danse.

Les femmes orientales, dans leurs poses et dans leurs mouvements, incarnent la libération du corps, un contraste frappant avec les conventions sociales et morales de l’Europe. Elles deviennent des muses pour les artistes, souvent idéalisées et placées dans des scènes de danse qui relèvent davantage de la fantaisie que de la réalité. La danse mauresque, loin d’être une simple représentation de l’orientalisme, devient alors une métaphore visuelle de l’altérité, où la sensualité et la liberté du corps sont exhibées dans des représentations qui frôlent l’indécence.

Les célèbres tableaux de Jean-Léon Gérôme ou de Eugène Delacroix, comme La Danse du ventre de Gérôme, montrent la danse mauresque comme un acte de séduction et de puissance sensuelle. La danseuse, souvent dans une posture captivante, devient une figure qui capte le regard et l’imaginaire du spectateur occidental, créant une dynamique qui fusionne le désir avec l’exotisme.

La danse mauresque dans la peinture académique et les réceptions critiques

Au-delà de la simple figuration de la danse, les artistes du XIXe siècle ont également engagé une réflexion sur le statut social et culturel de la danse. Par exemple, dans certaines de leurs œuvres, la danse est mise en scène comme un moyen d’explorer la frontière entre la civilisation et la barbarie, entre la liberté et la contrainte.

Dans les peintures de danseuses orientales, on remarque souvent un contraste marqué entre les mouvements fluides et sensuels des danseuses et la rigidité des postures des spectateurs européens. L’artiste occupe ainsi un rôle de médiateur entre l’Orient et l’Occident, exploitant la danse mauresque pour provoquer une confrontation des cultures. Cette confrontation, parfois exacerbée par les scènes de danse exubérante et les décors somptueux, montre à la fois l’attrait et la réprobation que suscite l’exposition de la sensualité orientale dans un cadre européen.

De plus, la réception critique des œuvres de danse mauresque, qu’elles soient réalisées par Delacroix ou Gérôme, relève souvent de ce mélange d’admiration et de voyeurisme. L’artiste cherche à séduire le spectateur tout en lui offrant un accès visuel à des mondes où la danse incarne la liberté, la sensualité, mais aussi l’excès.

La danse mauresque, entre esthétisme et réalité sociale

La danse mauresque, bien qu’extrêmement codifiée et ritualisée dans l’Orient d’où elle est issue, devient dans la peinture occidentale une forme d’expression libre et sans contrainte. Les artistes ne cherchent pas à restituer la réalité de cette danse, mais plutôt à l’interpréter à travers leurs propres filtres esthétiques. Cette transformation de la danse mauresque en un spectacle à la fois esthétique et fantasmé sert à la fois les attentes d’un public friand d’exotisme, mais aussi à répondre à des préoccupations plus profondes sur la place de la sensualité et de la liberté corporelle dans la société de l’époque.

Dans les œuvres de Delacroix, la danse est souvent le symbole d’une liberté absolue, un thème récurrent dans l’art romantique, tandis que Gérôme, avec sa précision académique, en fait une métaphore de l’élégance et de la décadence orientale. La peinture de la danse mauresque devient ainsi un terrain d’exploration des limites de l’expression corporelle et de l’idéalisme occidental envers l’Orient.

La danse mauresque dans la peinture des scènes de genre et de société

Dans cette troisième partie, nous nous intéresserons à la façon dont la danse mauresque s’est infiltrée dans la peinture des scènes de genre et de société, particulièrement au XIXe siècle. Les artistes ont commencé à intégrer des éléments de la danse mauresque dans des scènes plus contemporaines et socialement engagées, tout en réinterprétant ses symboles et ses significations dans un contexte européen. La danse orientale, tout en restant un produit de l’Orientalisme, devient un outil d’observation sociale et un moyen d’explorer la dynamique entre les cultures, tout en abordant les rapports de pouvoir et de domination dans une société de plus en plus marquée par le colonialisme.

La danse mauresque comme métaphore de la colonisation et du fantasme de l’exotisme

À mesure que l’Empire colonial français s’étendait au XIXe siècle, la danse mauresque est devenue un symbole de l’Orient, un territoire largement perçu à travers des filtres culturels et fantasmatiques. Les peintres occidentaux ont utilisé la danse mauresque pour illustrer non seulement une fascinante altérité, mais aussi pour représenter des rapports de pouvoir où l’Orient est un espace mystérieux et potentiellement subversif. Dans cette optique, la danse est un moyen de projeter des fantasmes de domination, de sensualité et de liberté.

Les artistes, tout en célébrant la beauté des danseuses orientales, exposent une vision paradoxale de l’Orient : à la fois attirant et dangereux. Les peintures telles que celles de Gérôme (par exemple, La Danse du ventre ou Le Harem), qui figurent des scènes de danse mauresque, offrent une réflexion sur les rapports de pouvoir, où l’Occident observe, consomme et domine l’Orient, tout en étant envoûté par sa beauté et son exotisme. À travers des poses de danse lascives, les artistes intègrent ainsi des sous-entendus politiques et sociaux, et la danse devient le lieu de projection des désirs européens vis-à-vis de l’Orient.

La danse mauresque dans la scène de genre et le quotidien de la société parisienne

Outre ses usages politiques et sociaux dans la représentation de l’Orientalisme, la danse mauresque s’invite également dans les scènes de genre qui représentaient le quotidien dans les salons et les espaces publics de Paris. Ces scènes, particulièrement populaires au XIXe siècle, sont souvent le terrain d’une exploration des dynamiques sociales, où les danseuses orientales deviennent des objets d’attention et de désir.

La danse mauresque, dans ces scènes de genre, est vue comme une forme d’expression culturelle vivante et dynamique, ancrée dans un univers bourgeois qui n’hésite pas à s’approprier l’exotisme de l’Orient tout en maintenant une distance critique et condescendante. Ces scènes de genre, telles que celles peintes par Gustave Moreau ou Jean-Léon Gérôme, utilisent la danse pour véhiculer des fantasmes liés à la liberté de l’Orient, tout en mettant en lumière les différences sociales entre les danseuses orientales et la société bourgeoise européenne. La danse mauresque dans ce contexte devient le reflet de l’aspiration à une forme d’évasion et de délectation esthétique, tout en soulignant l’inaccessibilité de cet exotisme.

Les influences de la danse mauresque sur les scènes de bal et de théâtre à Paris

La danse mauresque a également influencé la mise en scène des ballets et des pièces de théâtre à Paris, notamment dans les représentations qui se tenaient dans les grandes salles parisiennes. Les spectacles de danse en vogue au XIXe siècle cherchaient à capturer la sensualité de l’Orient, de manière à séduire un public européen en quête d’exotisme.

Les scènes de bal ou de théâtre parisiennes, comme celles qui se déroulaient à l’Opéra, intégraient parfois des éléments de la danse orientale, associant le mouvement fluide et lascif des danseuses à l’idée d’un monde fantastique, rempli de mystères. Par exemple, les chorégraphies de ballets comme La Bayadère ou Coppélia, tout en étant marquées par une forte influence orientale, empruntaient des motifs aux danses mauresques en réinterprétant les gestes et les postures de manière plus stylisée et raffinée.

La représentation de la danse mauresque dans ces ballets et ces pièces de théâtre, tout en conservant l’essence de l’exotisme et de l’orientalisme, traduisait un désir européen d’associer sensualité et discipline technique dans un spectacle où l’art de la danse se mêlait à l’art dramatique et au théâtre.

Une approche esthétique et académique de la danse mauresque dans la peinture

Les artistes du XIXe siècle n’ont pas seulement vu la danse mauresque comme un symbole de l’exotisme, mais ont également cherché à l’intégrer dans des contextes esthétiques et académiques. Leurs travaux ont été marqués par la volonté d’associer la rigueur de la tradition académique à l’éclat des couleurs et à l’énergie de la danse orientale. Les œuvres des peintres comme Jean-Léon Gérôme et Eugène Delacroix, par exemple, s’inscrivent dans ce cadre, alliant technique académique et représentations sensuelles de l’Orient.

Les danses mauresques dans ces œuvres sont rendues avec une précision de détail, tant dans le traitement des costumes que dans l’illustration de la posture et du mouvement. Cette approche technique permet aux artistes de souligner la beauté des corps et des gestes, tout en créant une distanciation par rapport à la réalité de la danse, la transformant en spectacle théâtral et visuel. C’est cette quête d’excellence technique qui permet à la danse mauresque de transcender sa dimension folklorique et de devenir une source d’inspiration majeure pour les artistes de l’époque.

Dans cette troisième partie, nous avons observé que la danse mauresque a profondément marqué l’art et la culture de l’époque, en traversant des représentations qui mêlaient à la fois l’esthétique, la politique et les rapports sociaux. Par ses images de sensualité, de pouvoir et d’exotisme, elle s’est intégrée dans des scènes de genre, des ballets et des pièces de théâtre à Paris, créant ainsi une dynamique culturelle et sociale qui a perduré tout au long du XIXe siècle. Les peintures de danse mauresque sont devenues un moyen d’exprimer des fantasmes d’orientalisme et de domination, tout en permettant une réinterprétation artistique des rapports entre l’Orient et l’Occident.

La danse mauresque dans la peinture de la fin du XIXe siècle et son héritage dans l’art moderne

La fin du XIXe siècle marque une évolution importante dans la manière dont la danse mauresque est perçue et représentée dans la peinture. Si, au début du siècle, elle a été un symbole d’exotisme et de sensualité, elle devient, à la fin du XIXe, un vecteur de réflexion sur l’identité culturelle, l’art et la société européenne. En effet, l’influence de l’orientalisme se fait sentir dans les œuvres des artistes symbolistes, précurseurs de l’art moderne, qui réinterprètent les thèmes de l’exotisme, de la sensualité et du mouvement de manière plus abstraite et introspective.

L’orientalisme en mutation : la danse mauresque comme un art symboliste

Les peintres symbolistes, à la recherche de nouvelles formes d’expression et de symboles, réinterprètent les thèmes orientaux qui avaient été utilisés jusque-là pour des représentations plutôt littérales et narratives. Des artistes comme Gustave Moreau, Odilon Redon ou Henri Rousseau s’inspirent des symboles orientaux pour créer des visions plus introspectives et oniriques, souvent à la limite de l’abstraction. Ces artistes ne cherchent plus simplement à reproduire des gestes de danse mauresque, mais à exprimer l’essence de l’exotisme et du mystère qu’ils associent à l’Orient.

Par exemple, Gustave Moreau, avec ses œuvres comme L’Apparition (1876), utilise la danse orientale pour explorer des thèmes mystiques et religieux, où l’orientalisme devient une métaphore de la quête spirituelle et de la recherche du sublime. La danse devient ainsi un moyen d’exprimer une beauté irréelle et inaccessible. De même, Henri Rousseau, avec sa jungle sauvage et onirique, infuse ses peintures de l’ombre de l’Orient et de l’influence de la danse dans une nature fantasmée et abstraite.

La danse mauresque dans la peinture post-impressionniste : rupture et héritage

Au tournant du XXe siècle, la danse mauresque, tout en perdant sa signification exotique et sensuelle directe, s’intègre à une réflexion plus large sur la forme et le mouvement, qui devient une obsession pour les peintres post-impressionnistes. Ces artistes cherchent à décomposer le mouvement et la lumière à travers des techniques plus abstraites, mais l’influence de la danse continue à jouer un rôle crucial dans leur travail.

Un exemple frappant est celui de Henri Matisse, dont l’usage de la couleur et du mouvement dans ses toiles telles que La Danse (1909) reflète l’influence d’une vision orientaliste de la danse. La fluidité et la sensualité du mouvement, caractéristiques de la danse mauresque, se retrouvent dans ses œuvres, bien que traitées sous un angle beaucoup plus abstrait et simplifié. Matisse, par la stylisation de ses figures et l’utilisation de couleurs vives, transforme l’idée de la danse mauresque en une exploration de l’expression humaine à travers la forme pure et la couleur.

Ainsi, les peintres modernes, tout en abandonnant la narration orientale, réutilisent les notions de mouvement et de grâce associées à la danse mauresque pour donner une nouvelle dimension à l’art. Ce faisant, ils transforment une danse exotique en une abstraction artistique qui ouvre la voie à la modernité, tout en respectant l’héritage culturel de l’orientalisme.

Les héritiers de l’orientalisme et de la danse mauresque dans l’art contemporain

Le XXe et le XXIe siècles ont vu la réinterprétation de la danse mauresque dans des contextes contemporains, souvent en lien avec des enjeux sociaux et politiques, ainsi qu’une réflexion sur l’identité et la culture. Si la danse mauresque a été pendant longtemps perçue à travers le prisme de l’exotisme et du fantasme colonial, les artistes contemporains l’ont utilisée pour interroger les rapports culturels entre l’Orient et l’Occident, ainsi que pour aborder des questions de représentation et de domination.

Les artistes contemporains, comme Kehinde Wiley ou Shirin Neshat, ont utilisé des références à la danse et à la culture orientale pour remettre en question les stéréotypes raciaux, la représentation du corps et l’identité culturelle. Par exemple, dans ses photographies et vidéos, Shirin Neshat explore la place des femmes dans les sociétés orientales, tout en réutilisant les codes de la danse comme une métaphore de l’émancipation et de la lutte contre la domination masculine. La danse mauresque, dans ce contexte, devient un outil de déconstruction des représentations historiques et un moyen de donner voix aux cultures marginalisées.

La danse mauresque, qui a traversé les siècles en tant que symbole de sensualité et d’exotisme, a également été un puissant outil de réflexion esthétique et politique dans la peinture occidentale. De l’Orientalisme du XIXe siècle, où elle incarne l’idéalisation de l’Orient, à l’abstraction du XXe siècle, où elle est utilisée pour décomposer le mouvement et la forme, la danse mauresque a occupé une place centrale dans la représentation artistique de l’exotisme, tout en étant un miroir des rapports de pouvoir et de culture entre l’Orient et l’Occident. Enfin, elle continue d’inspirer les artistes contemporains, qui la réinventent pour interroger les questions de culture, d’identité et de représentation. À travers l’histoire, la danse mauresque a donc évolué pour devenir bien plus qu’une simple performance de danse : elle est un vecteur de réflexion sociale, politique et artistique.

Sources bibliographiques :

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