Histoires de Paris

A chaque coin de rue de Paris, des histoires… souvent revues, réadaptées mais fascinantes

Histoires au détour d'une rue

Le magasin de nouveautés Aux Villes de France

Le magasin de nouveautés Aux Villes de France : une gigantesque maison à la mode au long du Second Empire …

 

Entre le 104 de la rue Richelieu et le 51 de la rue Vivienne, un magasin de nouveautés prospéra au cours du Second Empire : Les Villes de France.

En nous plongeant dans les publicités de l’époque, nous proposons de vous compter l’histoire de ce magasin, déjà plus grand que les petits commerces de vêtement des périodes précédentes, mais ne rivalisant pas encore avec les grands magasins.

En écrivant cet article, impossible de ne pas penser à Emile Zola et son bonheur des Dames, tout en se rappelant cependant que les grands magasins n’émergèrent vraiment que sous la Troisième République, après 1870.

 

Les débuts du magasin à la fin des années 1840, au cours de la Monarchie de Juillet

Nous sommes en 1846 et nous lisons le Charivari ! Ce détail est important car le journal s’oppose au pouvoir en place : le gouvernement de Louis Philippe, considéré comme le roi des bourgeois. Tantôt radical, tantôt conservateur, tantôt républicain, il est surtout satirique. Cela ne peut que renforcer l’intérêt de le lire pour percevoir des nuances de la société d’alors.

Et pourtant, les propriétaires d’un nouveau magasin de nouveautés, les Villes de France y font de la publicité !

Il s’agit tout d’abord d’attirer des investisseurs. Le Charivari du 12 mars 1846 publie l’annonce suivante :

« La deuxième souscription des actions reste ouverte au siège de la Société, rue Richelieu, 104. Chaque action donne droit à un intérêt de 5% garanti par les locataires à bail, à une part proportionnelle dans les bénéfices de la Maison de nouveautés, à une part proportionnelle dans les immeubles sociaux, dans les marchandises et dans l’actif de la Société. »

Le magasin existe déjà et le même bâtiment relie ses deux adresses : le 104 de la rue Richelieu et 51 de la rue Vivienne. Nous sommes proche de la Bourse ! Autant en profiter !

 

Puis, vient le temps de la publicité pour les marchandises. Le Charivari publie le 11 octobre 1847 :

« Réouverture aujourd’hui lundi 11 octobre des magasins de nouveautés Aux villes de France.

Toutes les marchandises seront fraiches et nouvelles, garanties de bonne qualité et marquée en chiffrés connus. »

Marchandises fraiches, nouvelles, de bonne qualité et des prix annoncés à l’avance : voici le cocktail gagnant des magasins de nouveautés.

 

Surf sur les conditions favorables au début du Second Empire et la première exposition universelle

Puis en 1848 arrivèrent les jours de février. Paris se soulève et renverse Louis Philippe. La République est proclamée, mais voit arriver à sa tête un prince président : Louis Napoléon Bonaparte. Celui-ci, peu de temps avant la fin de son mandat, parvient par le biais d’un coup d’Etat à s’installer sur un nouveau trône impérial.

Il poursuit la dynamique ouverte par la Monarchie de Juillet, mais, profitant des avancées de la Révolution industrielle, va plus loin, disposant d’un pouvoir plus fort.

Cette époque est très favorable pour le magasin de nouveautés des Villes de France. Ses propriétaires en profitent pour agrandir encore leurs installations.

En avril 1855, ils inaugurent en grande pompe leur nouvelle galerie reliant les deux entrées, entre les rues de Richelieu et Vivienne. Ils veulent profiter à plein de la première exposition universelle organisée à Paris. Ils vont jusqu’à bien s’assurer que leurs marchandises sont admises à l’intérieur du Palais de l’industrie, sur les Champs Elysées où se déroule l’événement.

Tout au long des années 1850, les Villes de France réalisent des grandes opérations de publicité dans les journaux parisiens mais aussi dans le reste du pays. Avec les années qui passent, les encarts se font de plus en plus grands, prennent de plus en plus de place. On étale la diversité et la grande quantité de nouveautés qu’on peut y trouver.

Plusieurs axes nous ont frappés en lisant les réclames : la mise en avant de la différence entre le prix pratiqué et la valeur reconnue à la qualité, le volet ‘extraordinaire’ des ventes, tant par leurs volumes dépassant les millions de marchandises et les jours d’ouverture ainsi que l’origine des collections. En effet, ne nous y trompons pas ! Même si la dénomination du magasin évoquait les Villes de France, les produits provenaient du monde entier, avec des origines toujours plus exotiques : la Chine, l’Inde, les Amériques. Il fallait faire rêver !

 

En 1857, le magasin des Villes de France change de main. Une nouvelle société est inaugurée en reprenant les actifs et les méthodes de l’ancienne.

 

Le rapprochement avec le magasin de la Chaussée d’Antin en 1865

Publication parue dans la Patrie du 8 janvier 1865 :

« La société des Villes de France s’est rendue acquéreur des marchandises, du fonds de commerce, de la clientèle et de l’achalandage des magasins de nouveautés A la Chaussée d’Antin.

Elle prévient le public qu’à partir de ce jour, elle prendra la dénomination de Société des Villes de France et de la Chaussée d’Antin.

Cinq cent mille Francs de marchandises restaient à réaliser ; la liquidation allait donc être reprise dans un nouveau local.

Pour couper court à cette série interminable de liquidations, la Société des Villes de France a tout acheté en bloc, sur les prix fixés par trois experts, et qui ne représentent pas moins de cinquante pour cent de rabais. »

Les Villes de France sont décidemment bien à l’étroit dans leur immeuble. Alors la société profite d’une opportunité en rachetant le magasin de la Chaussée d’Antin.

Les propriétaires veulent capitaliser sur les deux marques et les positionnent dans la dénomination sociale de la société. A partir de cette année-là, jusqu’à la fin du Second Empire, elle communiquera avec ces deux noms, associés pour encourager la clientèle parisienne à se rendre dans les deux lieux, au fil de ses préférences, mais en utilisant les ficelles des Villes de France.

Nous prenons par exemple cette annonce que nous avons trouvée dans l’Opinion nationale du 23 avril 1865 :

« Villes de France et de la Chaussée d’Antin. A partir du lundi 24 avril, grande exposition des principales nouveautés de la saison.

La société des Villes de France et de la Chaussée d’Antin a profité de la baisse considérable qui vient de se produire subitement à la soierie survenue en Amérique pour acheter 2 800 pièces de calicot.

Nous citons une seule sorte de 500 pièces de Madapolam extra fin, n’ayant jamais été vendu, depuis trois ans, au-dessous de 1 franc 60, à 76 centimes le mètre. »

 

La tentative de relance après 1871 en guise de bouquet final

1870 – 1871 ! Le malheur frappe Paris. Battu à Sedan, le Second Empire s’écroule avec la capture de Napoléon III. La République est prononcée, mais les armées prussiennes continuent leurs avancées. Elles veulent une défaite reconnue pour mettre la main sur l’Alsace et la Lorraine. Il s’agit pour Guillaume, roi de Prusse de se faire proclamer empereur des Allemands, ce qu’il obtient dans la galerie des glaces de Versailles.

Pour cela, Paris est assiégé et soumis à une intense pression militaire. L’hiver est terrible également, mettant les habitants à très rude épreuve. La fin de la guerre est également effroyable. Nombre de parisiens refusent le gouvernement de Thiers qui a fini par reconnaître la défaite. Voici alors le temps de la Commune de Paris.

Aussi, la ville, la société et son économie sortent de ces terribles mois totalement effondrés.

Le propriétaire des Villes de France tente de relancer leurs activités, dès juin. Ainsi, on lit dans le Journal Officiel de la République Française du 18 juin 1871 :

« Pour faciliter la reprise des affaires et du travail, les magasins des Villes de France viennent de faire des rabais considérables sur tous les prix de leurs immenses assortiments de soieries de hautes nouveautés d’été qu’ils mettront en vente à partir de lundi 19 juin.

Grand comptoir spécial de parfumerie fine. Toutes les premières marques sont vendues 60% meilleur marché que qui que ce soit »

Notons tout de même que la référence à la Chaussée d’Antin a disparu !

Après l’été, le magasin poursuit son opération, relayée dans le Journal Officiel du 24 septembre :

« Occasions extraordinaires. Grande Mise en vente à partir de lundi 25 septembre. »

 Cette reprise sera malheureusement de courte durée, comme nous allons le voir ensemble.

 

Une liquidation dont les raisons sont surprises, mais qui dure et dure

En décembre 1871, la nouvelle tombe : « Par suite de décès, liquidation des grands magasins de nouveautés Aux Villes de France. » 

Ainsi, la mort du magasin de nouveautés est annoncée ! Il ne survivra pas à la mort de son propriétaire. Les liquidateurs entrent en scène et ils ont fort à faire devant la grande quantité de marchandises qui leur reste sur les bras.

« Les commanditaires ayant décidé que l’on procéderait sans délai à la liquidation rapide et complète de toutes les marchandises, les liquidateurs, après avoir fait procéder à l’inventaire et aux expertises d’usage, ont l’honneur d’informer le public que les dix millions de marchandises constituant le stock des Villes de France seront mis en vente, à 50% de rabais.

En opérant ainsi, les liquidateurs des Villes de France n’ont qu’un but, réaliser dix millions de marchandises dans le plus bref délai possible, et c’est pour y parvenir qu’ils ont fait d’aussi grands sacrifices. Pour donner une idée des énormes rabais qui ont été faits, nous citons comme exemple les prix de quelques-uns des lots »

10 millions de marchandises, on ne s’en débarrasse pas comme cela. Surtout quand le pays est dans une situation très difficile, à la sortie de la guerre de 1870 et du tribut à verser à l’Allemagne !

Ainsi, les liquidateurs appuient l’opération avec une autre publicité en janvier, même après la période des étrennes, habituellement favorables au commerce.

 

En juillet 1872, il reste encore 5 millions de marchandises. Il faut renforcer l’opération de liquidation et rabais, comme nous le lisons dans le Journal Officiel du 30 juin 1872 :

« Lundi prochain 1er juillet, ouverture de la vente des cinq millions de marchandises d’été restant encore dans les magasins des Villes de France, et qui seront mises en vente au-dessous des prix fixés par les experts et les agents de commerce, c’est-à-dire avec un rabais général de soixante pour cent sur les prix coûtants.

Les liquidateurs des Villes de France ont l’honneur de prévenir le public que les commanditaires de cet établissement viennent de décider :

  • Que l’on ferait de nouveaux sacrifices pour activer et réaliser la liquidation des cinq millions de marchandises d’été restant encore dans les Magasins des Villes de France
  • Que, par suite, les liquidateurs étaient autorisés à faire subir aux susdites marchandises d’été une baisse nouvelle sur les prix déjà si réduits par les experts et agents de commerce commis à cet effet,
  • Qu’enfin cette nouvelle baisse devra atteindre en moyenne soixante pour cent de rabais sur les prix coutants, ce qui est sans exemple et ne se reproduira probablement jamais.

En conséquence des ordres reçus, les liquidateurs des Villes de France ont l’honneur de signaler au public les nouveaux prix ci-dessous, prix tellement réduits cette fois qu’ils doivent infailliblement attirer tout Paris. »

 

Le clap de fin se déroule en mars 1873 !

« A partir de lundi 3 mars et jours suivants

Vente à perte de pièces, coupes et coupons de toutes mesures, lots en tous genre concernant les articles de soieries, lainages unis et fantaisies, tissus d’été, blanc, toile, lingerie, confection, cachemire des Indes, tapis et étoffes pour ameublement.

Pour dégager immédiatement le peu d’espace laissé à leur disposition et pour pouvoir faire place aux nouvelles et importantes séries de marchandises déjà expertisées, mais qui n’ont pas encore été mises en vente faute d’emplacement, les commanditaires des Villes de France viennent d’autoriser les liquidateurs de cet établissement à réaliser avec une perte exceptionnellement considérable tous les articles » Journal Officiel de la République Française du 2 mars 1873

Il aura fallu plus d’un an pour venir à bout de toutes ces marchandises.

 

Sources bibliographiques :

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