Histoires de Paris

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Histoires au détour d'une rue

La publicité du magasin de nouveautés les Villes de France

La publicité du magasin de nouveautés les Villes de France : « extraordinaire », dans les journaux du pouvoir

 

Tout en haut des rues de Richelieu et Vivienne, près des Grands Boulevards, un magasin de nouveautés profita de la frénésie d’achat de vêtements à la mode lors du Second Empire. Même s’il ferma au tout début de la Troisième République et ne connut pas la ruée vers les Grands magasins, il en était un précurseur.

La publicité et les pratiques de vente qu’il mobilisa en sont plus qu’intéressantes pour comprendre cette vague de commerce qui n’avait aucun secret pour Paris et qui en faisait un lieu d’attraction mondial.

 

En premier lieu, avant de rentrer dans davantage de détails, rappelons que les magasins de nouveautés, se développant à Paris à partir des années 1840 connurent leur âge d’or sous le Second Empire.

Ils s’appuyaient sur une commercialisation très abondante de vêtements très souvent déjà confectionnés. Les gérants de ces magasins organisaient des opérations fortes, sur la base d’achats massifs auprès de leurs fournisseurs, leur permettant d’obtenir des conditions tarifaires très avantageuses. Ainsi, ils pouvaient, à fort renfort de publicité, faire venir leur clientèle, à partir de prix attractifs, connus à l’avance et sur un choix le plus divers. Ces opérations ponctuelles événementialisaient totalement et leurs successions garantissaient les nouveautés. De cette manière, les clientes pouvaient se laisser aller à leurs envies, parmi le choix, tout en ayant la sécurité de ne pas être obligée d’acheter en y entrant.

Comme les grands magasins, certains magasins de nouveautés pouvaient disposer de larges étalages, mais restaient limités en nombre de rayons et en taille. Les villes de France en font partie.

 

Les axes de publicités choisis pour se distinguer

Dans les années 1850 et 1860, le créneau publicitaire des nouveautés était bien rempli. Les journaux rivalisaient d’annonces toujours plus alléchantes, larges, illustrées. Aussi, il fallait trouver le moyen de se distinguer. Bien sûr, le premier annonceur avait une sorte de prime d’avance, mais il fallait l’entretenir pour ne pas se faire oublier.

Dans ce contexte, les Villes de France choisirent vite leur approche pour se différencier.

 

L’écart entre le prix pratiqué et la valeur reconnue en lien avec la qualité

Il s’agissait de mettre en avant la qualité exceptionnelle de leur marchandise. Comme tout le monde communiquait sur un prix, le magasin de nouveauté précisait son tarif, mais aussi la valeur habituelle de la qualité de leur produit. Ici, le consommateur avait la preuve du bon marché de ses achats ! Enfin, c’était un axe de communication…

Citons pour illustrer la publicité réalisée dans la Patrie du 8 janvier 1865 :

 

Robes en cachemire uni toutes nuances, largeur, 1m50, à 27 francs 50 la robe.

Véritable alpaga noir extra, la robe par 16 mètres à 43 francs 50

Popeline écossaise, brochée et rayée, grande largeur – qualité de 4 fr 80, à 1 fr 40 le mètre

Robes de bal en tarlatane ruchée, 7 volants valeur 22 fr 50, à 9 fr 50 la robe,

Gros de Lyon, qualité excellente, la robe de 14 mètres à 14 fr 50

Fantaisie Haute Nouveauté, genre riche – grande largeur, article de 2 fr 40 le mètre

 

« C’est extraordinaire »

Ensuite, les publicités des Villes de France n’étaient pas avares dans l’usage du mot ‘extraordinaire’

« Cette maison met en vente depuis quelques jours ses nouveautés de printemps. Ses soieries, ses barèges, ses mantelets s’y font remarquer par leur excessif bon marché. Les crêpes de Chine et les châles de l’Inde s’y vendent à des prix vraiment extraordinaires. » Le Charivari du 13 mai 1848

« A l’occasion du jour de l’an, les grands magasins des Villes de France et de la Chaussée d’Antin viennent de mettre en vente un choix considérable de très jolis articles pour étrennes d’un bon marché extraordinaire. Par extraordinaire, les grands magasins des Villes de France resteront ouverts le jour de Noël et le dimanche 27 courant. » Le Constitutionnel du 25 décembre 1868

« Occasions extraordinaires. Grande Mise en vente à partir de lundi 25 septembre. » Journal Officiel de la République Française du 24 septembre 1871

Tout était extraordinaire : les opérations, les marchandises, les jours d’ouvertures. Alors pourquoi ne pas s’y rendre massivement et tout de suite ?

 

L’origine des collections

Par ailleurs, le magasin évoquait avec répétition l’origine de ces produits, qui se voulaient plus exotiques les uns que les autres.

« Les Villes de France (rue Vivienne, 51, et rue Richelieu, tôt) ont reçu une collection remarquable de crêpes de Chines brodés â un, deux et quatre coins blancs et jardinières, qu’elles mettent en vente, en ce moment, avec une série nouvelle de cachemires de l’Inde longs et carres, dispositions qui n’ont pas encore été vues en France. » Le Vert Vert du 13 juillet 1856

« Parmi les objets de toilette, le cachemire des Indes est sans contredit celui que l’on doit acheter de confiance, car il est presque impossible à une dame d’apprécier une différence de 100 à 200 fr. sur des objets dont les prix varient depuis 200 fr. jusqu’à 3 et 4,000 fr. Aussi est-ce une grande révolution que les Villes de France (rue Vivienne, 51, et rue Richelieu, 104) ont accomplie en vendant leurs vastes assortiments de cachemires des Indes, longs et carrés, à des prix fixes invariables et marqués en chiffres connus. » Le Vert Vert du 14 mai 1857

« La société des Villes de France et de la Chaussée d’Antin a profité de la baisse considérable qui vient de se produire subitement à la soierie survenue en Amérique pour acheter 2 800 pièces de calicot.

Nous citons une seule sorte de 500 pièces de Madapolam extra fin, n’ayant jamais été vendu, depuis trois ans, au-dessous de 1 franc 60, à 76 centimes le mètre. » L’Opinion nationale du 23 avril 1865

 

La publicité de justification

L’offensive n’est pas le seul axe de communication. Certaines fois, le magasin de nouveautés se sent obligé de prendre un axe de défense. Ainsi, il fait publier un encart dans le Journal d’Orange du 10 juin 1855 où il décrit son catalogue, tout en le finissant de la manière suivante :

« NOTA. Des circulaires fausses et portant la signature des VILLES DE FRANCE ont été envoyées de Paris à un certain nombre de personnes, pour leur annoncer que les Villes de France cesseront d’adresser leurs envois franco de port. Les Villes de France nous prient de mettre nos lecteurs en garde contre cette manœuvre coupable qu’elles ont signalé au Procureur impérial. »

Le message est clair : ‘Chers clients méfiez-vous des contrefaçons et des mauvais messages ! Les auteurs de ces circulaires fausses risquent d’avoir à faire à la justice ?’

 

La longue liquidation, qui sera déroulée entre décembre 1871 et mars 1873, fut aussi éprouvante. Il fallait bien justifier de ce qui se passait.

« Les commanditaires ayant décidé que l’on procéderait sans délai à la liquidation rapide et complète de toutes les marchandises, les liquidateurs, après avoir fait procéder à l’inventaire et aux expertises d’usage, ont l’honneur d’informer le public que les dix millions de marchandises constituant le stock des Villes de France seront mis en vente, à 50% de rabais.

En opérant ainsi, les liquidateurs des Villes de France n’ont qu’un but, réaliser dix millions de marchandises dans le plus bref délai possible, et c’est pour y parvenir qu’ils ont fait d’aussi grands sacrifices. Pour donner une idée des énormes rabais qui ont été faits, nous citons comme exemple les prix de quelques-uns des lots » JO de la République Française du 17 décembre 1871

« Les liquidateurs des Villes de France ont l’honneur de prévenir le public que les commanditaires de cet établissement viennent de décider :

  • Que l’on ferait de nouveaux sacrifices pour activer et réaliser la liquidation des cinq millions de marchandises d’été restant encore dans les Magasins des Villes de France
  • Que, par suite, les liquidateurs étaient autorisés à faire subir aux susdites marchandises d’été une baisse nouvelle sur les prix déjà si réduits par les experts et agents de commerce commis à cet effet,
  • Qu’enfin cette nouvelle baisse devra atteindre en moyenne soixante pour cent de rabais sur les prix coutants, ce qui est sans exemple et ne se reproduira probablement jamais.

En conséquence des ordres reçus, les liquidateurs des Villes de France ont l’honneur de signaler au public les nouveaux prix ci-dessous, prix tellement réduits cette fois qu’ils doivent infailliblement attirer tout Paris » JO de la République Française du 30 juin 1872

 

Les choix des journaux pour la publicité

En regardant les différentes communications réalisées par les Villes de France, le choix des journaux a attiré notre attention.

Au cours des premières années de son existence, entre 1846 et 1848, le magasin communiquait au sein du Charivari, journal satirique d’opposition. Il pouvait être opportun de s’adresser à une population lettrée mais méfiante face au pouvoir. Ce dernier, par ailleurs, vacilla au point de s’effondrer lors de la révolution de 1848.

 

Sous le Second Empire, le choix devient très différent : Le Constitutionnel, la Patrie, L’Opinion nationale… Tous sont alignés au pouvoir impérial et diffusent des informations en sa faveur. Le magasin des Villes de France choisit donc de s’adresser à une clientèle en phase avec le régime du moment.

En outre, il communique régulièrement dans le journal Vert Vert. Il s’agissait d’un quotidien littéraire et dramatique, commentant l’actualité culturelle de la capitale. Ainsi, il touchait des parisiens sensibles à l’art qu’on imagine avec suffisamment de moyens pour se fournir chez lui.

 

Enfin, après l’avènement de la Troisième République, le magasin se tourne vers un journal bien différent, mais par essence proche du pouvoir : le Journal Officiel de la République Française.

 

La politique de livraison dans toute la France, voire au-delà.

Les magasins de nouveautés parisiens ne s’adressaient pas qu’aux clients de la capitale. Ils en faisaient bien sûr partie de l’attractivité et tirer bénéfices des visites faites dans Paris. Les grandes expositions universelles les aidaient.

Mais ils proposaient leurs produits également dans toutes les régions de la France, voire d’ailleurs. La vente par correspondance existait déjà.

Les Villes de France mettaient en avant leurs collections dans les journaux régionaux et y annonçaient que pour toute commande supérieure à 25 francs, la livraison était franco de port. Il était possible de demander des échantillons pour se rendre compte de la qualité des marchandises avant d’acheter.

Cette approche fut une constante pour les Villes de France :

« Nota : la Société des Villes de France ayant toujours traité sa clientèle des départements comme celle de Paris, entend également la faire jouir de l’immense bon marché de cette opération – toute demande dépassant 25 francs sera expédiée franco de port, quelque indirect que soit le parcours. » La Patrie du 8 janvier 1865. Les Villes de France viennent alors de mettre la main sur le magasin de la Chaussée d’Antin et bradaient les anciennes collections qui y restaient.

Au-delà de la France, le service concernait aussi la Belgique, la Suisse, la Hollande mais aussi Londres. Le magasin de nouveautés participait activement au rayonnement de la capitale.

 

Les jeux de volumes : plusieurs millions de marchandises, avec des opérations qui sont relancées et qui durent

Avant de finir ce long et passionnant article, nous revenons sur une pratique forte de ce magasin : le recours à des volumes énormes.

Cinq millions ! Dix millions ! Les publicités des Villes de France insistaient régulièrement sur ce point. Il faut dire que la taille du magasin est déjà conséquente, avec ses galeries reliant les rues Vivienne et de Richelieu.

Les propriétaires étaient habitués à ce genre de risque et en faisant un axe fort. Ces volumes devaient aussi être des gages de bon prix, ce d’autant que les marchandises pour beaucoup venaient de loin : Inde, Chine, Amérique. Il fallait bien amortir le coût du transport. La mondialisation se faisait alors autour de l’empire Britannique et de sa capitale, Londres.

Il pouvait arriver qu’une seule opération commerciale ne suffisait pas pour écouler le stock. Ainsi, nous lisons dans la Patrie du 16 avril 1863 :

« Le succès sans exemple dû au bon marché hors ligne des étoffes nouvelles de tous genres de l’exposition de la maison des Villes de France, rue Vivienne, 51, et rue Richelieu, 104, oblige les propriétaires de cet établissement à la continuer pendant plusieurs jours. »

Ce volume considérable fut pour finir un véritable piège lorsqu’il fallut tout liquider. A la sortie du siège de Paris et de la Commune, le propriétaire avait repris ses habitudes d’avant-guerre. Il fallut plus de 18 moins pour les liquidateurs pour se débarrasser de tout.

 

Sources bibliographiques :