Histoires de Paris

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Histoires de place

La statue de la République face aux oppositions

La statue de la République face aux oppositions : les sarcasmes monarchistes et le drapeau noir anarchiste !

 

Pratiquement dix ans après son retour en France, la République est bien installée en 1879. Les épreuves avec la guerre face à la Prusse, ainsi que la Commune sont passées. Les républicains ont réussi à imposer leurs vues aux monarchistes qui espéraient une autre voie.

Aussi, il est temps, pour les membres du Conseil de municipal de représenter largement la figure du régime dans les monuments de la Ville. Ils trouvaient à ce propos qu’il y avait trop de vestiges de la monarchie et de l’empire…

Comme en témoignent les deux cérémonies qui se sont tenues devant la nouvelle statue de la République, en 1880 et 1883, la ferveur populaire était de leur côté. De nombreuses sociétés ouvrières s’étaient mobilisées pour participer à ces inaugurations

Comme on peut l’imaginer, dans ce contexte, ce sentiment n’était pas partagé par tous. Comme nous le verrons, cette opposition concerna principalement les monarchistes et les anarchistes, deux groupes positionnés de manière radicalement différente sur l’échiquier politique…

 

L’opposition des monarchistes : en opposition avec le principe de la représentation

Cette opposition se marqua très tôt. En effet, on en trouve des traces dès l’annonce de l’organisation d’un concours en mars 1879, visant à retenir le projet pour cette statue. Sans savoir alors quel projet l’emporterait, la critique surgit.

Le Charivari du 9 mars 1879 narre cette anecdote amusante :

« La statue monumentale que l’on doit élever place du Château d’eau fait pousser des gémissements aux ennemis de la République.

Un habitant de ce quartier est allé trouver hier son propriétaire. ‘Monsieur, lui a-t-il dit, je vous prie d’accepter mon congé. Vous, mon plus ancien locataire, vous me quittez… Et pour quel motif ? Parce que de mon balcon, on verra la statue de la République et mes opinions politiques me défendent un pareil spectacle.’ »

Cela donne l’occasion également au Tintamarre de réaliser un jeu de mot le 30 mars 1879 :

« Elle sera debout et aura sept mètres de hauteur, non compris la plinthe. La plinthe, les artistes n’en n’auront pas à s’en occuper : les réactionnaires s’en chargent. »

 

Lors de l’inauguration en grandes pompes de la statue de la République en 1883, le périodique royaliste, le Triboulet fait grand état de la faible représentation du Gouvernement. En effet, seul le préfet de la Seine était venu :

« Eh bien ! Marianne, même en bronze, a fait fiasco. Les conservateurs ont eu, à cette occasion la joie d’assister au désappointement des officieux complètement bannis de la petite fête, et l’on a eu ce spectacle comique d’une statue de la République inaugurée en dehors des républicains au pouvoir.

Les intransigeants, c’est-à-dire à proprement parler, les communards, ont déclaré ce jour-là à la barbe de population que Paris était leur chose, et Ferry n’a pas eu le courage d’aller les braver sur place et de revendiquer les droits du gouvernement »

 

L’opposition des anarchistes : une volonté de conquérir le monument

A contrario des railleries dans les journaux, notamment conservateurs, les anarchistes, à leur habitude alors, menèrent pour ce qui les concerne des opérations frappant les esprits.

Dès l’inauguration, ainsi que nous le décrit la Dépêche du 15 juillet 1883, des militants anarchistes mirent en avant le drapeau noir sur la statue. L’enjeu pour eux est de conquérir le monument et par de manière symbolique le régime.

« Vers 11 heures, deux anarchistes se faufilèrent à travers cette foule, et, arrivés au pied de la statue, déployèrent un drapeau noir, qu’ils essayèrent de planter sur la tête du lion qui se trouve devant le piédestal.

La foule indignée, se précipita aussitôt sur ce chiffon qui fut en un clin d’œil foulé aux pieds et mis en mille morceaux, et un formidable cri de : Vive la République ! retentit alors, poussé par des milliers de poitrines.

On se précipita ensuite sur les deux anarchistes qui furent renversés, bousculés, frappés. L’un d’eux dans la bagarre, réussit à prendre la fuite ; l’autre, armé d’une canne à l’épée, essaya de s’en servir., mais il fut aussitôt désarmé, et, son arme brisée, roulée, poussé, passant de main en main. Il fut en l’espace d’une seconde, transporté à plus de 30 mètres de la statue.

Là, on le remit aux mains de deux gardiens de la paix, qui, suivis par un millier de personnes, le conduisirent dans un poste de police.

Les portes fermées, un second et immense cri de : Vive la République ! fut de nouveau poussé par la foule, qui était presque entièrement composée d’ouvriers.

L’anarchiste arrêté est un nommé Eugène Larbaut, âgé de 26 ans, ouvrier chapelier. Cette fois, cette fois, les anarchistes ne s’en prendront pas à la police : c’est bien le peuple, ce sont bien des ouvriers qui les ont conspués et qui ont foulé aux pieds leur sinistre emblème. »

 

A plusieurs reprises, par la suite, lors de manifestations sur la place de la République, les anarchistes n’hésitèrent pas à afficher ce drapeau noir.

Ils aiment aussi railler les figures allégoriques qui avaient été reprise pour le monument. Ainsi, dans une de ses diatribes, le militant Raoux affirma ces mots, repris par la Gazette du 31 juillet 1883 :

« Le suffrage universel est un mal sans remède, c’est un narcotique qui a endormi la nation et la tient paralysée.

Aux pieds de la statue de la République, on a mis un lion pour garder l’urne du suffrage universel. Un lion pour garder ce narcotique dangereux !

Ce n’est pas un lion, c’est un mouton qu’il faut.

En fait, l’animal qu’on a placé devant la statue de la République a une tête si hideuse qu’on le prendrait plutôt pour un tigre. »

 

Sources bibliographiques :

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