Histoires de Paris

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Histoires de place

Le concours de la Statue de la République en 1879

Le concours de la Statue de la République en 1879 : quand on fit appel aux artistes pour représenter le régime

 

1879 ! Pratiquement dix ans que la IIIe République est déclarée. Construite sur les décombres de la défaite de Napoléon III à Sedan face à une Allemagne en pleine puissance, elle a dû affronter un grand nombre de difficultés. Le siège tout d’abord, la guerre civile avec les luttes entre les Communards et les Versaillais, puis ensuite, la pression forte de rétablissement d’une nouvelle monarchie.

Mais, au bout de cette décennie dure, la République est toujours là. Elle cherche donc à s’affirmer. Pour cela, elle doit s’incarner et une statue semble un média fort, ce d’autant que la « plupart des édifices sont revêtus des insignes de la monarchie », ainsi qu’on le disait à l’époque

Aussi, comme c’était l’usage à l’époque, la Ville de Paris organisa un concours pour édifier la grande statue que nous connaissons aujourd’hui. Retour sur cette histoire, qui tint en haleine les parisiens pendant plusieurs mois.

 

Un concours avec un cadre très précis

On n’organise pas la représentation dans Paris de la République au hasard. La Ville fit même appel au célèbre architecte Viollet le Duc pour la confection du programme. Il fut débattu et validé le 18 mars 1879.

Nous livrons ici les premiers articles :

« Article premier – Un concours est ouvert, entre tous les sculpteurs français, pour l’érection d’une statue monumentale de la République sur la place du Château d’eau, au point où se trouve élevée aujourd’hui la fontaine.

Article 2 – La statue de la République sera représentée conformément au style traditionnel. Elle sera debout et aura sept mètres de hauteur, non compris la plinthe. Le piédestal pourra être accompagné de figures allégoriques ou symboliques. »

 

Il s’agit ensuite de décrire les étapes pratiques pour ce concours. Il fut, en effet, convenu de fonctionner en deux temps. Ainsi, l’ensemble des participants devait produire une esquisse de leurs projets à l’échelle 1/10e, statue comme piédestal. On retint le principe d’une exposition publique en octobre 1879, au cours de laquelle, trois finalistes seraient désignés.

En effet, pour les départager, il fut décidé qu’ils devaient réaliser ensuite une nouvelle production, de plus grande taille cette fois-ci, au tiers de la grandeur réelle.

C’est à la fin de cette opération, que l’ordre de classement serait attribué. Le vainqueur se verrait allouer la somme de 25 000 francs pour finaliser la statue, tout en sachant que la fabrication en bronze serait prise en charge par la Ville de Paris. Il était aussi envisagé des sommes supplémentaires pour les petites statues qui pourraient accompagner l’ensemble.

Pour ses challengers, la somme de 4 500 francs était réservée pour le 2e et celle de 4 000 francs pour le 3e.

 

Mais où installer la Statue ?

Alors évidemment, la statue de la République devait donner aussi son nom à la place qui l’accueillerait. La commission chargée de préparer le concours proposa la place du Château d’eau. Ainsi, la statue remplacerait la fontaine aux lions, qui rejoignit ensuite la place Daumesnil.

Cependant, pour certains membres du Conseil de Paris, ce choix n’allait pas de soi. Ils reprochaient en effet son côté trop excentré. Comment pouvait-on appeler avenue de la République une voie conduisant à un cimetière ?

Ainsi, l’un proposa la place de la Concorde, où l’on pourrait déménager l’obélisque. La rue Royale pourrait par la même occasion est remplacée par la rue de la République. Un autre trouvait que la place de l’Hôtel de Ville était meilleure, en raison du fait de la contribution des parisiens à l’installation de la République en France.

Le choix initial fut confirmé, en raison de la grande taille de la place du Château d’eau et du fait qu’elle se trouvait dans un « quartier laborieux, actif, intelligent ».

 

Comment représenter la République ?

Grâce à l’Univers illustré du 25 octobre 1879, nous proposons de revenir sur cette question pas si facile.

« Une statue de la République n’est pas chose facile à faire pour contenter tout le monde. Il y a, en politique, trente-six manières de comprendre la République. Combien y en a-t-il en Art, de la concevoir et de la représenter ? Cela dépend du tempérament et aussi des opinions de l’artiste. Il n’y a pas à dire : si résolu qu’on le suppose impartial, il y a, pour lui, nécessité absolue de se prononcer dans un sens ou un autre. Il fera la République douce ou violente, élégante ou farouche brandissant l’épée ou agitant la branche d’olivier, appelant les peuples aux armes ou tendant les bras aux nations reconciliées. La première ne vous fait-elle pas un peu peur ? La seconde ne vous parait-elle pas bien anodine » 

 

Déroulement d’un concours : première présentation à l’Ecole des Beaux-Arts

Le concours fut un véritable succès ! La salle Melpomène de l’Ecole des Beaux-Arts était bien petite pour accueillir tous les projets proposés. Ainsi, on compta jusqu’au quatre-vingts esquisses. La plupart respectait le format, mais certains avaient tout de même envoyé des modèles réduits, sans piédestal. D’autres avaient choisis des formats beaucoup plus grands, qui furent présentés dans le hall d’accueil.

Cette présentation est l’occasion pour nous de revenir sur quelques participants. Nous évoquerons par la suite les trois finalistes en leur consacrant un paragraphe. Ainsi, ce concours attira quelques noms prestigieux : Carrier Belleuse, mais aussi Guilbert qui avait remporté une épreuve organisée par Thiers, Lavigne, Maillet, Dumilâtre, Cougny, Francia…

 

La composition du jury

Ainsi que le règlement l’avait établi, le jury fut déterminé dans les premiers jours de l’exposition. En effet, outre les membres de droit, il avait été décidé que les participants éliraient également leurs représentant.

Au final, le jury fut présidé par le préfet de la Seine, M. Hérold, secondé par M. Mathurin Moreau. On compta parmi les membres du jury MM. Alphand, Castagnary, Cavelier, Chapu, Collin, Guillaume, Jobbé-Duval, Laurent Pichat, Schoenewerk, Ulysse Parent et Vaudremer. Le chef de la division des beaux-arts de la Ville de Paris, M. Michaux fut désigné comme secrétaire, doté d’une voix consultative.

 

Trois finalistes et une mention spéciale

A la suite de la première exposition, le jury désigna trois finalistes : MM. Gautherin, Morice et Soitoux. Le dernier n’était pas un inconnu de l’exercice. C’était lui qui avait en effet remporté le concours organisé en 1848 pour la réalisation d’une statue de la République.

Jean Gautherin faisait alors figure de favori. Il avait proposé une belle représentation de la République, ornée de son bonnet phrygien et tenant une épée au fourreau. Elle se dressait sur un « piédestal orné de quatre bas-reliefs personnifiant la Ville de Paris, l’Egalité, la Liberté et la Fraternité ». Elle était accompagnée par quatre figures complémentaires : L’Instruction, l’Agriculture, l’Industrie et l’Armée. A la même époque, Jean Gautherin avait été chargé de la représentation de la Ville de Paris sur le frontispice de l’Hôtel de Ville.

Léon Morice avait lui concouru avec son frère. Au premier, la proposition de la statue, au second celui du piédestal, en qualité d’architecte. Morice avait déjà produit pour le Parc Monceau une statue d’Hylas, ainsi qu’un tombeau reconnu dans le cimetière du Père Lachaise.

 

Jules Dalou proposa un projet à part. En effet, sa République se tenait sur un char, tiré par deux lions, emblèmes de la force populaire, guidés par le Progrès. Elle était également accompagnée la Justice et le Travail, dominant un enfant lisant son livre d’instruction. Cette esquisse attira fortement l’attention. Elle ne fut pas retenue car on souhaitait une République figée. Cependant, l’idée fut ensuite reprise pour la place de la Nation.

 

La finale et le choix du vainqueur

Après un report de quelques semaines, les finalistes proposèrent leur projet final en mai 1880. En réalité, seuls Léon Morice et Jean Gautherin allèrent jusqu’où bout. Jean-François Soitoux renonça à cette dernière étape. Rattrapé par l’âge, il n’avait pu trouver la force de réaliser une nouvelle statue. Notons, toutefois que son projet de 1848 venait d’être transformé par une œuvre installée à proximité de l’Institut de France.

Après une heure de débat, Léon Morice fut désigné comme le vainqueur du concours, par dix voix contre deux. Ainsi, son projet fut exécuté par la suite et donna naissance à la Statue de la République que nous connaissons.

 

Sources bibliographiques :

 

Le règlement du concours

Article premier – Un concours est ouvert, entre tous les sculpteurs français, pour l’érection d’une statue monumentale de la République sur la place du Château d’eau, au point où se trouve élevée aujourd’hui la fontaine.

Article 2 – La statue de la République sera représentée conformément au style traditionnel. Elle sera debout et aura sept mètres de hauteur, non compris la plinthe. Le piédestal pourra être accompagné de figures allégoriques ou symboliques.

Article 3 –  Les concurrents produiront les esquisses du monument, statue et piédestal, au dixième de l’exécution. Chaque esquisse sera signée par son auteur.

Article 4 – Les esquisses devront être déposées au palais du Luxembourg ou en tout autre lieu qui sera ultérieurement désigné le 6 octobre 1879, avant cinq heures du soir.

Article 5 – Le jugement sera rendu le cinquième jour de l’exposition publique, qui durera huit jours et commencera le 10 octobre 1879.

Article 6 – Le jury chargé du classement des projets sera composé : du préfet de la Seine, président et de douze membres ; deux délégués par l’administration, cinq nommés par le conseil municipal et cinq nommés par les concurrents. Le préfet désignera le vice-président et le secrétaire, lequel pourra être pris en dehors du jury, mais avec voix consultative seulement.

Article 7 – Les concurrents procédèrent à l’élection de leurs cinq jurés, le 7 octobre à midi, dans une salle du Luxembourg, sous la présidence du préfet de la Seine ou de son délégué, et de trois des membres de la commission des beaux-arts du conseil municipal.

Article 8 –  Trois esquisses pourront être choisies parmi les œuvres des concurrents. Les auteurs de ces trois esquisses seront chargés d’exécutés le modèle de la figure de la République conformément à leur esquisse, au tiers de la grandeur réelle (soit 2 mètres 33)

L’artiste qui, sur son modèle, aura réuni les suffrages du même jury sera chargé de l’exécution définitive. Les deux autres, classés suivant le mérite de leurs œuvres, recevront une prime de 4 500 francs et de 4 000 francs.

Dans le cas où aucun des trois modèles ne serait jugé digne par le jury d’être exécuté, les trois concurrents n’en recevraient pas moins une prime, pour le premier classé à 5 000 francs, pour le deuxième à 4 500 francs et pour le troisième à 4 000 francs.

Il sera donné à chacun des concurrents un délai de six mois pour faire leur modèle ; le jugement de ce second degré aura donc lieu pour la première quinzaine d’avril 1880.

Les modèles et les esquisses des concurrents primés appartiendront à l’administration.

Article 9 –  Une somme de 25 000 francs sera mise à la disposition de l’artiste désigné par le concours pour l’exécution du modèle définitif, lequel sera coulé en bronze aux frais de la ville.

Cette somme de 25 000 francs pourra être payée à l’artiste par quart, en raison de l’avancement de l’œuvre.

Il sera alloué au même artiste, pour le modèle de chacune des figures, qui accompagneront le piédestal, une somme de 4 000 francs à 6 000 francs, en raison de la dimension qui sera donnée à ces figures lesquelles seront également coulées en bronze aux frais de la ville.

L’auteur de ces modèles devra surveiller la fonte et s’entendre avec le fondeur de tous les détails relatifs à l’exécution des bronzes.

Si l’artiste auquel sera confié l’exécution de la statuaire a eu recours à un architecte pour la composition du piédestal, il pourra demander que la rédaction des devis et la direction des ouvrages d’architecture soient confiés à cet architecte qui recevrait les honoraires alloués aux agents chargés des travaux neufs dans la ville.

Article 10 – Si le jury use de son pouvoir de ne pas décerner de prix d’exécution ou s’il décerne le prix, il devra, dans l’un ou l’autre cas, motiver son jugement par un rapport écrit, rendu public.

Article 11 – Tout artiste qui en fera la demande recevra, outre l’exemplaire du programme, un plan de la place avec la désignation de l’emplacement du monument. Il devra à cet effet s’adresser au bureau des Beaux-Arts, au palais du Luxembourg.

Article 12 – Les esquisses qui n’auront pas été réservées par le jury devront être enlevées dans un délai de huit jours après l’exposition publiques par les soins des concurrents, l’administration ne prenant pas la responsabilité de leur conservation passé ce délai.

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