Bisbilles politiques autour de la statue de la République
Bisbilles politiques autour de la statue de la République : deux courants de républicains luttaient pour le pouvoir en 1880
C’est le journal royaliste, le Triboulet qui dans son édition à la suite de l’inauguration de la statue de la République du 14 juillet 1883 qui attira notre attention, au cours de nos recherches pour mieux comprendre ce monument.
« Les intransigeants, c’est-à-dire à proprement parler, les communards, ont déclaré ce jour-là à la barbe de population que Paris était leur chose, et Ferry n’a pas eu le courage d’aller les braver sur place et de revendiquer les droits du gouvernement. Peut-être s’imagine-t-il qu’en faisant souffleter son agent, le sieur Oustry en son lieu et place, il a sauvegardé la dignité ? »
Le journaliste insiste avec emphase avec l’absence à cette occasion du président du Conseil, Jules Ferry pour cette inauguration. Comment imaginer l’absence du chef du Gouvernement à l’occasion de l’inauguration du grand symbole du régime en place ?
C’est l’histoire sur laquelle nous allons revenir ici !
Une opposition entre deux niveaux de gouvernement
Derrière cette bisbille, c’est finalement l’opposition entre deux niveaux de gouvernement. La Ville de Paris d’une part, représentée par son conseil municipal et l’Etat, dont Jules Ferry était à la tête !
En effet, la statue de la République et le changement de nom de la place du Château d’Eau en place de la République avait été voulue par le Conseil municipal. En effet, en mars 1879, la Ville de Paris lance un grand concours pour déterminer le projet qui sera représenté de manière grandiose en bronze. C’est elle qui détermine le jury et organise l’épreuve. Ainsi, en mai 1880, elle retient le projet de Léon Morice, avec sa République tendant son rameau d’olivier. Il est ensuite présenté aux parisiens à l’occasion du 14 juillet. Trois ans plus tard, la statue monumentale est réalisée à ses frais, en faisant appel à une prestigieuse fonderie.
Jules Ferry devrait pourtant se sentir concerné par cette initiative. N’avait-il pas appuyé l’organisation d’un autre concours pour une élaboration d’un monument à la République ? Il avait été lui-même juré dans le choix pour l’installation d’une statue du même genre à Versailles, en l’honneur de l’Assemblée constituante. Et pourtant, il ne vint pas le 14 juillet 1883, laissant le préfet de la Seine faire le discours.
Une rancœur déjà présente en 1878
En 1878, Paris organise une nouvelle Exposition universelle. Il s’agit pour le régime en place de mettre en avant le retour de la France sur la scène internationale après la défaite de Sedan face à la Prusse. Aussi, le Gouvernement voulut que sur le Champ de Mars, pendant l’exposition, on trouva une effigie de la République. La statue fut réalisée par Auguste Clésinger, à la suite de l’appui du ministre de l’Agriculture et du Commerce.
Or, en mars de cette même année, le ministre chercha un financement. Il se tourna naturellement vers le Conseil municipal de Paris. Celui-ci rejeta le principe ! Enfin, nous allons un peu vite en besogne. Il marqua son accord pour participer à un projet de représentation de la République. Cependant, il était nécessaire pour lui d’organiser un concours et de ne pas retenir comme cela Clésinger comme artiste. Il savait que le délai ne pourrait jamais être respecté avant l’ouverture de l’Exposition universelle et il poussa même le vice à proposer de reprendre la statue de la République de Soitoux, réalisée en 1850 et qui était depuis dans les placards…
Deux concours simultanés
Revenons quelques instants sur les concours. En effet, pratiquement au même moment, se déroulèrent deux épreuves bien proches, que ce soit à Paris par le Conseil municipal et à Versailles pour le Gouvernement. Le premier voulait enrichir Paris d’une représentation de la République et le deuxième honorer la première Assemblée française.
La Ville de Paris prit toutefois son avantage en finalisant son épreuve en 1880. Il fallut en effet attendre avril 1881 pour connaître le lauréat du projet gouvernemental pour le monument de l’Assemblée constituante de Versailles. Pourtant, au moment où la ville de Paris, en avril 1879, posait son programme, le Parlement votait une loi posant le principe d’un projet équivalent à Versailles. Cependant, le ministère de Jules Ferry prit son temps, pour préciser la nature du monument. Ainsi, le sous-secrétaire aux beaux-arts publia en novembre 1879 le programme de son concours, tout en étant très précis sur la nature du monument à réaliser.
En tout état de cause, la ville de Paris put aller au bout en inaugurant la statue de la République en juillet 1883. Le projet gouvernemental, lui, fut emporté par la chute du président du Conseil et ne vit jamais le jour.
L’opposition entre deux courants de républicains
Mais au-delà de ces anecdotes, ce sont deux courants de républicains qui s’opposaient alors pour le pouvoir. D’un côté, les républicains radicaux, dont faisait partie la majorité du Conseil municipal et les modérés à la tête du Gouvernement. Contrairement à ce que laisse penser le Triboulet, ce n’était pas véritablement des anarchistes.
Ce n’est donc pas totalement par hasard que les figures tutélaires des radicaux se manifestèrent sur la place de la République lors de la première présentation de la statue le 14 juillet 1880. C’est ainsi que les parisiens présents sur place purent voir le passage furtif, sans trop se mélanger à la foule de Léon Gambetta tout comme celui de Victor Hugo. Le premier, qui était alors président de la Chambre des Députés, fit même un passage appuyé en voiture à cheval sur la place.
Jules Ferry membre influent des républicains modérés, était lui à cette période le président du Conseil et devant faire face avec beaucoup d’instabilité pour se maintenir.
Sources bibliographiques :
- Le Rappel du 29 novembre 1879
- Le Petit Moniteur universel du 16 juillet 1880
- La Lanterne du 16 juillet 1880
- Le Triboulet du 22 juillet 1883