Histoires de Paris

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Histoires de place

La statue de la République de Jean François Soitoux

La statue de la République de Jean François Soitoux : un destin pris par les régimes politiques du XIXe siècle

 

En dehors de la monumentale statue de la République située la place du même nom, qui sait qu’il en existe une seconde ? Plus petite, plus modeste, certes !

C’est l’histoire d’une statue, longtemps reléguée dans les placards car elle ne correspondait plus au régime en place, puis installée sans une véritable ferveur devant l’Institut de France, avant d’être déplacée sur une petite place à proximité, avec moins de prestige. Et pourtant, elle est à la première du genre.

 

Un concours rattrapé par l’Histoire

Ainsi que l’écrivait l’Univers Illustré du 29 novembre 1879, « En 1848, un concours avait été ouvert pour l’exécution d’un type officiel de la République. La statue de M. Soitoux obtint le premier prix, et l’Etat fournit pour son exécution un superbe bloc de marbre blanc. Le travail était à peine achevé, lorsque le coup d’Etat du 2 décembre fit reléguer dans les magasins des Domaines cette œuvre remarquable, digne d’un meilleur sort. ».

 

L’Evènement du 4 mars 1880 poursuit :

« Mais avec la présidence de Napoléon, les tendances réactionnaires se faisaient déjà sentir, et il fallut la puissante intervention d’Etienne Arago pour procurer au statuaire son bloc de marbre. »

En effet, selon les termes du concours de 1848, l’Etat avait promis un magnifique bloc de marbre pour la réalisation de cette statue.

L’œuvre fut présentée ensuite à l’Exposition de 1850, où elle reçut une récompense. Mais cela ne se fit pas sans difficulté.

« Ce fut bien autre chose lors de l’Exposition de 1850, qui eut lieu au Palais Royal ; le jury de peinture et sculpture nommé cette année-là par les artistes mêmes, donna une place d’honneur à la République ; mais M. Baroche survint la veille de l’ouverture et ordonna l’enlèvement de la Statue. Au moment où le président allait par le suffrage universel, obtenir les cinq millions de voix qui lui décernèrent un empire, cette République semblait protestante, on la relégua dans un coin ; elle n’en obtint pas moins une seconde médaille, grâce à ses patrons, Maxime Rude et David d’Angers. »

 

Une sculpture laissée aux oubliettes

Alors évidemment, après le coup d’Etat du 2 décembre, l’ambiance n’était plus bien favorable pour une statue représentant la République. L’Evènement du 4 mars 1880 nous raconte la suite.

« A la fermeture du Salon, l’Etat, qui se trouvait acquéreur de cette statue, se trouva fort embarrassé. Qu’allait-il en faire ? Où la remisa-t-il pendant quelques années ? Je ne sais, mais plus tard, nous la retrouvons soigneusement voilée, au palais de l’Industrie, parquée dans un de ces boxes réservés à la race porcine à l’époque des concours d’animaux gras. »

Une statue de la République dans un boite dédiée aux animaux…

« Quelques temps après, quand on songea à transformer le palais en salle des fêtes, à la suite de quelques victoires dans le Piémont, il fallut de nouveau déménager la statue – cette fois, on la relégua à l’île des Cygnes, à Grenelle, bien certain qu’elle ne porterait plus ombrage à l’aigle impérial. Erreur. »

 

Les tentatives de discussions avec le sculpteur

« D’abord, le Trésor se fit tirer l’oreille pour le paiement de cette inutile œuvre d’art et mit trois années pour solder les 12 000 francs qui revenaient à M. Soitoux ; cet argent-là fut pris sur celui des réjouissances publiques.

Puis, en 1864, M. de Nieuwerkerque, directeur des Beaux-Arts, eut une entrevue avec le statuaire. « Ne pourriez-vous pas, modifier quelque peu votre statue, que l’on placerait à Fontainebleau ou à Compiègne. En faire une Justice par exemple ? » « Mais oui, répondit Soitoux, en remplaçant le glaive par une balance et le faisceau de licteurs par un parapluie de cotonnade, on en ferait facilement une marchande des quatre saisons. »

Le sculpteur avait deviné les intentions de M. de Nieuwerkerque et refusa en ces termes sa proposition et son argent : « Dites à votre maître que ma statue ne lui appartient pas, qu’elle appartient à l’histoire de la France. »

Le directeur des Beaux-Arts, craignant quelque scandale, voulut racheter sa maladresse et commanda à M. Soitoux une petite Junon de 3 000 francs, qu’on plaça modestement dans le parc de Saint Cloud. »

 

La réhabilitation dès 1870 ?

Avec la chute de l’Empire à Sedan et la proclamation de la République en septembre 1870, la statue retrouva un régime qui lui était favorable. On envisagea même sa réhabilitation rapide.

« En septembre 1870, on songea à placer sur le piédestal d’où l’on venait de descendre le prince Eugène, la République de 1848, qui retrouvait alors son actualité. Mais le piédestal sembla trop élevé et la statue de trop petites dimensions, et puis la guerre tourna les esprits d’un autre côté.

Aux derniers jours de la Commune, en mai 1871, Vaillant, délégué à l’enseignement proposa au sculpteur Soitoux d’ériger sa République dans la grande cour du Louvre, l’armée de Versailles empêcha la réalisation de ce projet. »

Finalement, la statue se retrouva prise à un nouveau piège : la lutte entre les Communards et les Versaillais. Voici de quoi la laisser encore quelques temps aux oubliettes.

 

L’inauguration devant l’Institut de France

Dix années s’écoulèrent encore. Entre temps, la Ville de Paris avait organisé un concours pour l’édification de la Statue de la République.

« Enfin, après dix années de République, nous devons à M. E. Turquet l’accomplissement de l’œuvre projetée par le gouvernement de 1848 – il n’a fallu que trente-deux ans pour mener à bonne fin cette entreprise. »

Edmond Turquet était alors sous-secrétaire d’Etat chargé de l’Instruction publique et des Beaux-Arts. Ainsi membre du gouvernement, il usa de toute son influence pour la réhabilitation de la statue.

L’Evènement du 4 mars 1880 écrit : « Le mardi 24 février – sans tambours ni trompette, a eu lieu l’inauguration de la statue de la République sur la place de l’Institut ; encore cette pauvre statue a-t-elle manquée d’être brisée par une chute quelques jours auparavant. »

 

La description de la statue

C’est l’Univers illustré du 29 novembre 1879 qui nous la décrit, même s’il est possible de la voir encore de nos jours

« La statue mesure deux mètres quarante-sept centimètres. Elle est drapée à l’antique et porte, non le bonnet phrygien, mais une couronne laurée, surmontée d’une étoile. Elle tient une épée dont la pointe est baissée et semble protéger divers attributs du travail. L’autre main s’appuie sur un faisceau. »


Comme on le constatera, l’Univers du 7 avril 1880 est davantage critique :

« La statue de la République qui faillit être étranglée dernièrement en montant sur son chétif piédestal, place de l’Institut, vient d’être découverte, et les rares passants qu’elle captive, s’exercent sans y réussir à trouver un sens à cette interprétation aux formes renouvelées des Grecs.

Cette dame, Melpomène ou Minerve, comme il vous plaira, vieux rossignol de 1848, sortie de l’atelier de M. Soitoux, pèse pour l’idole. Elle est embarrassée dans sa clamyde et ne sait pas assez bien son rôle, pour le répéter en face de l’Académie, même en lui tournant le dos.

Du plat de son sabre, qu’on prendrait tout d’abord, pour une batte d’Arlequin, elle protège gauchement un paquet d’attributs où se trouve, bien entendu le niveau ; ce qui ne prouve pas que le statuaire voudrait être assimilé à son praticien ou à son mouleur. On aurait dû éviter aussi de mettre là un certain petit meuble fâcheux, qu’au besoin on pourrait prendre pour un objet de garde-robe.

La Déesse, appuyée sur un cotteret de buchette, écrase une couronne. Ce fagot figure un faisceau de licteur. Elle a aussi l’étoile au front, ce qui, sans doute, dans le langage républicain renferme une haute signification mystique. Cette constellation rebelle à la sculpture, est fixée à la coiffure de madame au moyen d’un fil de fer, au risque de présager aux esprits inquiets ses doctrines filantes.

Cette statue est plus que médiocre et ne révèle ni talent, ni esprit.


En attendant le type de nihiliste, qui sera plus clair, la comprenne qui pourra, l’admire qui voudra. »

 

Jean-François Soitoux et les Républiques

Après la mésaventure de sa République, Jean-François Soitoux poursuivit sa carrière.

L’Univers illustré du 29 novembre 1879 écrivit :

« M. Soitoux est né en 1816 ; il y a trente-cinq ans qu’il habite le même atelier, rue de Vaugirard, où il a exécuté sa première statue de la République, et où il travaille en ce moment à une seconde pour la place du Château d’eau.

Soitoux se trouverait-il condamné à présent à faire exclusivement des Républiques ? Après, il y a tant de gens qui s’occupent de les défaire. »

En effet, notre artiste participera lui aussi au concours de la statue de la République de 1879. Il fit même parti des trois finalistes. Cependant, pour des raisons de santé, il ne put réaliser l’épreuve finale en mai 1880. Il écrivit cette lettre au président du jury :

« Monsieur, le Président,

Il m’est de toute impossibilité d’envoyer au concours ma statue de la République ; l’état de ma santé ne m’ayant pas permis de la continuer, je me suis trouvé dans la cruelle nécessité de l’abandonner. J’espère la reprendre car je vous la dois.

C’est avec le plus profond respect, Monsieur le président, que j’ai l’honneur de vous saluer. »

 

Le Monde Illustré du 19 avril 1879 nous donne un rapide aperçu de sa carrière :

« Elève de David d’Angers et de Feuchères, il débuta au salon de 1850 par une République, grande figure d’une ampleur magistrale, que nous donnons dans le présent numéro et obtint une deuxième médaille en 1851, avec le Génie des combats, une statue de Montaigne et une statue de Denis Papin, trois morceaux destinés à la décoration du nouveau Louvre. De 1851 à 1866, il exposa divers bustes, entre autres, cette dernière année, un buste en plâtre de Paul de Flotte ; il avait encore, au même Salon, divers grands morceaux décoratifs destinés au palais des Tuileries : la Force génératrice, fronton en pierre, la Force matérielle et la Force intellectuelle, bas-reliefs ; deux statues en pierre, Erato et Clio. Depuis cette époque, M. Soitoux n’a plus rien exposé. »

 

Le déménagement de la statue

Les critiques pour cette œuvre parcoururent le temps. En effet, en 1962, elle est retirée de son emplacement pour retourner au dépôt. On voulut alors retrouve un parvis de l’Institut de France totalement dégagé.

Au début des années 1990, la Mairie de Paris la restaure et l’installe à son nouvel emplacement, place Mahmoud Darwich, juste à côté de l’Institut de France. La nouvelle inauguration est réalisée le 23 septembre 1992, à l’occasion du second centenaire de la République.

 

Sources bibliographiques :

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