Le discours de de Gaulle devant la Statue de la République
Le discours de de Gaulle devant la Statue de la République : un gigantesque V pour une nouvelle constitution.
En 1958, quelques semaines après avoir retrouvé le pouvoir, Charles de Gaulle soumet au référendum la nouvelle constitution qu’il a fait rédigée. Nous sommes alors au début du régime que nous connaissons encore aujourd’hui, la Cinquième République.
Le général de Gaulle vint sur la place de la République, au pied de la Statue, présenter son projet et demander aux Français de soutenir sa démarche. Revenons sur cet événement du 4 septembre 1958.
Le grand meeting du général de Gaulle
Pour de Gaulle qui est alors président du Conseil, le dernier de la Quatrième République, l’enjeu est de taille : expliquer et porter sa nouvelle constitution qui devait être votée par référendum le 28 septembre.
Pour ce moment qu’il voulait historique, le décor est essentiel. Aussi, on prévoit qu’il réalise son discours devant la statue de la République. Mais, on ne contenta pas du monument. Il fallait une grande estrade et placer un gigantesque V de 40 mètres.
Le Monde du 2 septembre 1958 détaille les travaux qui avaient eu lieu quelques jours avant le meeting :
« Depuis quelques jours des équipes d’ouvriers, sous la direction de M. de Mailly, architecte en chef du gouvernement, aménagent la place de la République en vue du discours que doit y prononcer le général de Gaulle. Palissades et barrières entourent la statue derrière laquelle s’élève un échafaudage de tubes, qui atteint déjà la hauteur des immeubles environnants. Cet échafaudage, autour duquel on monte la garde la nuit pour éviter les sabotages, sert à construire un grand V – destiné en l’occurrence à symboliser à la fois le signe de la victoire et à évoquer, en chiffre romain, le numéro de la nouvelle République. Ce V prend naissance au sommet du socle, aux pieds de la jeune femme de bronze. Il sera revêtu de bronze doré et aura 40 mètres de haut. »
Déroulement de la cérémonie
Ce grand meeting se déroula en fin d’après-midi, ce 4 septembre. La Croix datée du 6 septembre 1958, nous en dit davantage :
« La cérémonie s’est déroulée en présence d’un millier de personnalités du corps diplomatique. Conduit par son doyen, son Excellence Mgr Marrella, nonce apostolique ; élus des diverses assemblées ; membre du Comité consultatif constitutionnel ; conseillers municipaux et généraux ; corps constitués ; hautes personnalités civiles et militaires. Quant à la foule des parisiens venus écouter le chef du gouvernement, la préfecture de police en évalue le volume à plus de 100 000 personnes.
Le petit commerce ne perd pas ses droits : des camelots proposent aux passants la photographie du général de Gaulle.
Bientôt, les musiques des gardiens de la paix et du 3e RIC se font entendre. La foule est de plus en plus dense, mais les enceintes réservées ne seront jamais totalement occupées, ce qui laissera des emplacements vides aux abords de la place, notamment rue de Turbigo, boulevard Saint Martin et boulevard Voltaire et décevra les parisiens que les barrières retiennent loin des tribunes. »
Le meeting démarre par une allocution du ministre de l’Education nationale, Jean Berthoin, avec ces mots :
« Dans cette journée solennelle, et qui va devenir historique, si le chef du gouvernement a voulu que s’élève d’abord la voix du ministre de l’Education nationale, c’est que depuis près d’un siècle, le livre de l’écolier et les travaux des mémorialistes enseignent à la France la noblesse de la démocratie et rappellent ses vertus. »
Puis chose surprenante pour une meeting politique, il est l’occasion de remise de la Légion d’honneur pour 100 personnes. Il ne fallut pas moins de neuf ministres pour les décorer.
Ensuite, André Malraux prit la parole, avant que l’arrivée du général de Gaulle ne soit mise en scène avec la venue de sa fameuse DS.
« Il était bien imprudent de supposer que le peuple de Paris ne serait pas au rendez-vous du général de Gaulle ave la République : le peuple de Paris est là. Pour la France, merci témoins.
Au-delà des textes juridiques, fussent-ils les meilleurs (et encore imparfait, comme le sont les textes des hommes) vous voterez pour la volonté de résurrection nationale ou pour l’effacement de notre pays, en réponse à un homme qui tient de l’histoire le droit de nous appeler en témoignage, mais dont l’entreprise ne peut tenir que de vous sa légitimité. »
Enfin, de Gaulle monta sur l’estrade pour faire son discours. Après avoir fait chanter la Marseillaise, il ne resta ensuite que quelques minutes pour saluer les nouveaux légionnaires et repartir pour l’Hôtel de Matignon.
Un lieu inhabituel pour un tel meeting d’un représentant de la droite
Le choix du lieu n’était pas évident à l’époque, notamment pour un représentant d’un parti politique situé à la droite de l’échiquier politique. Evidemment, de Gaulle cherchait le symbole : la place de la République, devant la statue érigée en 1883, ainsi que le 4 septembre, jour anniversaire de la proclamation de la Troisième République. Ainsi, le président du Conseil inscrivait sa démarche dans la tradition républicaine du pays, ainsi que l’atteste la première partie de son discours.
Mais rappelons-nous que le quartier où se situait la place de la République était très populaire et était animé par une forte présence d’ouvriers. Pour cette raison, la municipalité de gauche, en 1879, à l’origine de la statue de la République avait choisi ce lieu.
Par la suite, de nombreuses manifestations avaient lieu là. On y venait présenter les revendications populaires, ainsi que fleurir la Statue de la République, dans les grandes heures du Front populaire.
Alors que le gouvernement de Gaulle revendiquait le droit de parler dans n’importe quel lieu de France, les communistes ne s’y trompèrent pas. On peut lire ainsi dans le Journal du Canton d’Aubervilliers du 5 septembre 1958 :
« En rasant le Boulevard du Crime pour planter au cœur de Paris cette place massive, comme une forteresse qui tiendrait sous son feu les quartiers turbulents, Haussmann, le préfet baron aux appétits de préfet général croyait bien défier l’avenir. Paris fit de ces lieux la place de la République, et son rendez-vous favori des jours de colère et des jours de victoire.
Il y danse la Carmagnole, le 14 juillet et ne perd jamais l’occasion de venir fleurir des trois couleurs, de la République la statue qui veille, gigantesque et protectrice sur nos libertés. C’est là, qu’il a écrit quelques-unes des pages les plus glorieuse de son histoire si riche : 9 février 34 : le Parti communiste y donne le premier coup d’arrêt au fascisme ; 14 juillet 44 : les patriotes manifestent, Toudic y est assassiné ; août 44 : Paris insurgé en chasse les nazis ; 28 mai 52, c’est le Non à Ridgway.
Et six ans plus tard, c’est le premier, le formidable non au fascisme. Souvenez-vous : ce fleuve de foule coulant à plein bord sur les boulevards depuis la Nation, emplissant la place comme la Seine se jette à la mer, roulant autour de la statue, la rumeur immense faite de ces centaines de milliers de cris « Vive la République ! Non aux factieux ! »
Et s’il est vrai, comme le rappelait le Comité de résistance contre le Fascisme, que c’est le droit du chef du gouvernement de prendre la parole dans les lieux de son choix, mais c’est aussi celui du peuple parisien de célébrer son attachement à la liberté et à la République en des lieux qui en demeurent le symbole. »
La mise en scène de la présence populaire
Ainsi, lors de ce meeting, deux visions de la présence populaire s’opposaient. Comme nous l’avons lu, Malraux invoquait le peuple de Paris à être témoin de ce jour. Il voulait que la présentation de la constitution de la Cinquième République soit bien reçue par les parisiens, si important dans les révolutions du XIXe siècle.
Le choix des 100 chevaliers reçus ce jour-là dans l’ordre de la Légion d’Honneur s’inscrit également dans cette logique d’ouverture populaire. La Croix rapporte :
« Pendant 10 minutes, c’est la remise des croix, tandis qu’une voix donne la liste de ces travailleurs mis à l’honneur : il y a parmi eux un berger, un chef d’équipe, un mécanicien, un chef d’équipe, un emballeur, un ouvrier agricole, un syndicaliste, un mineur, un patron pêcheur… Emouvante énumération que la foule ponctue d’applaudissements. »
Le journaliste a beau jeu d’amplifier les cris de la foule présente devant l’estrade de la Statue de la République. Il reconnait toutefois que « la foule est de plus en plus dense, mais les enceintes réservées ne seront jamais totalement occupées, ce qui laissera des emplacements vides aux abords de la place, notamment rue de Turbigo, boulevard Saint Martin et boulevard Voltaire et décevra les parisiens que les barrières retiennent loin des tribunes. »
Seuls les partisans du « oui » étaient autorisés à se rendre sur place. Le ministère des anciens combattants avait relayé l’appel à venir sur place, notamment :
« Le ministre des anciens combattants invite tous ses camarades de la guerre 1914-1918, comme ceux de 1939-1940, de la Résistance et des armées de la libération, auxquels se joindront ceux d’Indochine et d’Algérie, à honorer par leur présence cette manifestation civique. Une enceinte leur sera réservée sur présentation rie la carte d’invitation qu’ils trouveront au siège de leur association.
” Les anciens combattants se doivent à eux-mêmes, à leur passé, à leur désir si souvent proclamé de voir aboutir enfin une réforme profonde de nos institutions républicaines, de répondre nombreux à cette invitation. Ils affirmeront ainsi une fois de plus leur foi dans les destinées de la patrie. »
Un puissant service d’ordre
Certes la période était électrique. La pression de la guerre d’Algérie était forte et même si la personne du général de Gaulle recueillait un prestige à nulle autre pareil, elle restait clivante, pour la gauche notamment. Aussi, on n’avait pas lésiné dans la présence policière, comme le précise la Croix du 6 septembre 1958 :
« Dès le début de l’après-midi, les barrières métalliques sont savamment disposées sur les artères menant à la place : la foule s’agglomère peu à peu. Le service d’ordre est évidemment très étoffé : gardiens de la paix, gendarmes républicains et CRS occupent tous les points stratégiques, tandis que 12 Compagnies se tiennent en réserve dans un large périmètre. Enfin, des pompiers armés sont postés sur les toits des immeubles ceinturant la place. »
Mais pour les organisateurs, cela n’était pas suffisant : « Mais un trop lourd service d’ordre, composé de jeunes gens à brassard gaulliste donnait l’impression assez gênante de doubler le dispositif mis en place par la police pour cette cérémonie officielle. »
Il était de fait impossible se jour-là, de se rendre sur la place de la République sans accréditation.
Le journaliste rapporte :
« 17h10, rue de Turbigo, auprès de la station de métro Arts et Métiers, premier barrage de police. Seuls les gens munis de cartes peuvent passer, ils sont très peu nombreux. « Comment peut-on se rendre à la République ? » « Ce n’est plus possible, répondent les policiers, toutes les rues sont barrées.
Au carrefour de la rue du Temple et de la rue Turbigo, en face de la station de métro Temple, deuxième barrage plus important, deuxième filtrage. Le trottoir est libre et protégé par des barrières métalliques. Quelques rares porteurs de cartes y passent y passent et sont autorisés à se diriger vers la place de la République.
La police s’avance dans le milieu de la rue Notre Dame de Nazareth. Puis, se repliant vers les trottoirs, elle créé des poches, que les agents dispersent à coup de matraques. Plusieurs blessés gisent sur la chaussée. Deux d’entre eux au moins, un jeune homme et une jeune fille, n’avaient pas crié de slogans et ne portaient aucune affichette. On les transporte dans un café voisin. »
« Trois heures de contre-manifestation »
Le discours de de Gaulle devant la Statue de la République donna lieu à une puissance contre-manifestation. Certes, l’enjeu était clef, quelque soit le camp, mais se concrétisa dans des affrontements.
« De sérieuses bagarres ont mis aux prises policiers et contre-manifestants, mobilisés en grande partie par les communistes. La Préfecture fait état de 35 blessés, dont 24 parmi les forces de l’ordre. Mais, il semble, selon de nombreux témoignages, que le chiffre des civiles atteints au cours des échauffourées, soit plus élevé.
17h30. La cérémonie n’est pas encore commencée. Tournant le dos à la République, les policiers avancent dans le milieu de la rue du Temple et repoussent la foule sous les trottoirs. Vaste bousculade. Sous la poussée, les barrières métalliques qui protègent le trottoir tombent et de nombreuses personnes tombent avec elles. On se piétine, des femmes hurlent, une autre s’évanouit.
Une pause. Beaucoup de femmes recherchent leurs souliers, leur sac et se lamentent sur leurs bras déchirés.
Et une réaction violente de la police
« Les policiers avancent de nouveau et font évacuer les trottoirs. Un jeune homme en civil, visage passionné frappe violemment à coups de ceinture une jeune femme qui avait les pieds empêtrés dans les barrières métalliques. Les policiers rappellent au calme le jeune homme qui rentre dans les rangs de la police et continue avec elle de faire évacuer la foule. Policier en civil ? Troupe de choc d’extrême droite ?
Rue du Temple, un homme en civil interdit l’accès des immeubles. Un jeune homme blessé à la tête vient se faire soigner chez le concierge.
Les policiers passés, quelques minutes plus tard, une autre personne en civil autorise les passants à se rendre vers la République. La rue du Temple est maintenant presque déserte. Le sol est jonché d’innombrables papillons « non ». Des barrières métalliques tordues sont éparses sur les trottoirs.
Par petits groupes de 2 ou 3 personnes, quelques personnes reviennent vers le métro Temple. Des ballonnets, porteurs de banderoles « non » s’envolent.
On transporte une femme évanouie.
Au square du Temple, où la foule a été repoussée, les slogans « non » sont toujours aussi nombreux. Des affichettes sont posées partout sur les voitures, les autobus.
Au coin de l’avenue de la République et du boulevard Richard Lenoir, un peloton de cavalier de la Garde républicaine, qui, après avoir monté la garde autour de la tribune du général, rentre à la caserne en car, et rencontre un groupe de contre-manifestants. Ceux-ci les ayant hués, les gardes descendent du car et, en gants blancs à crispin en tête, ils s’élancent, sabre au clair, vers les contre-manifestants qui se dispersent. »
Sources bibliographiques :
- Le Monde du 2 septembre 1958
- Le Monde du 3 septembre 1958
- Journal du Canton d’Aubervilliers du 5 septembre 1958
- La Croix du 6 septembre 1958
- Le Monde du 12 septembre 1958
Le discours du général de Gaulle
« C’est en un temps où il lui fallait se réformer ou se briser, que notre peuple, pour la première fois, recourut à la République. Jusqu’alors, au long des siècles, l’ancien régime avait réalisé l’unité et maintenu l’intégrité de la France. Mais, tandis qu’une immense vague de fond se formait dans les profondeurs, il se montrait hors d’état de s’adapter à un monde nouveau. C’est alors qu’au milieu de la tourmente nationale et de la guerre étrangère, apparut la République ! Elle était la souveraineté du peuple, l’appel de la liberté, l’espérance de la justice. Elle devait rester cela à travers les péripéties agitées de son histoire. Aujourd’hui, autant que jamais, nous voulons qu’elle le demeure.
Certes, la République a revêtu des formes diverses au cours de ses règnes successifs. En 1792, on la vit, révolutionnaire et guerrière, renverser trônes et privilèges, pour succomber huit ans plus tard dans les abus et les troubles qu’elle n’avait pu maîtriser. En 1848, on la vit s’élever au-dessus des barricades, se refuser à l’anarchie, se montrer sociale au-dedans et fraternelle au-dehors, mais bientôt s’effacer encore, faute d’avoir accordé l’ordre avec élan du renouveau. Le 4 septembre 1870, on la vit s’offrir au pays pour réparer le désastre.
De fait, la République sut relever la France, reconstituer les armées, recréer un vaste Empire, renouer des alliances solides, faire de bonnes lois sociales, développer l’instruction. Si bien qu’elle et la gloire d’assurer, pendant la première guerre mondiale, notre salut et notre victoire. Le 11 novembre, quand le peuple s’assemble et que les drapeaux s’inclinent pour les commémorations, l’hommage que la patrie décerne à ceux qui l’ont bien servie s’adresse aussi à la République.
Cependant, le régime comportait des vices de fonctionnement qui avaient pu sembler supportables à une époque assez statique, mais qui n’étaient plus compatibles avec les mouvements humains, les changements économiques, les périls extérieurs qui précédaient la deuxième guerre mondiale. Faut qu’on y eu remédié, les événements terribles de 1940 emportèrent tout. Mais, quand le 18 juin, commença le combat pour la libération de la France, il fut aussitôt proclamé que la République a refaire serait une République nouvelle. La résistance tout entière ne cessa pas de l’affirmer.
Le déchirement de la nation fut, de justesse, empêché.
A force d’inconsistance et d’instabilité et quelles que puissent les intentions, souvent la valeur des hommes, le régime se trouva privé de l’autorité intérieur et de l’assurance extérieure sans lesquels il ne pouvait agir. Il était inévitable que la paralysie de l’Etat amenât une grave crise nationale et qu’aussitôt la République fût menacée d’effondrement.
Le nécessaire a été fait pour obvier à l’irrémédiable, à l’instant même où il était sur le point de se produire. Le déchirement de la nation fut, de justesse, empêché. On a pu sauvegarder la chance ultime de la République. C’est dans la légalité que, moi-même et mon gouvernement avons assumé le mandat exceptionnel d’établir un projet de nouvelle Constitution et de le soumettre à la décision du peuple.
Nous l’avons fait sur la base des principes posés lors de notre investiture. Nous l’avons fait avec la collaboration du Conseil consultatif institué par la loi. Nous l’avons fait compte tenu de l’avis solennel du Conseil d’Etat. Nous l’avons fait après délibération très libres et très approfondies de nos propres Conseils de ministres : ceux-ci formés d’hommes aussi divers que possible d’origines et de tendances, mais résolument solidaires. Nous l’avons fait, sans avoir, entre temps, attentés à aucun droit du peuple ni à aucune liberté publique. Mais c’est en toute conscience que nous la proposons.
Ce qui, pour les pouvoirs publics, est désormais primordial, c’est leur efficacité et leur continuité. Nous vivons en un temps où des forces gigantesques sont en train de transformer le monde. Sous peine de devenir un peuple périmé et dédaigné, il nous faut dans les domaines scientifique, économique, social, évoluer rapidement. D’ailleurs, à cet impératif répondent le goût du progrès et la passion des réussites techniques qui se font jour parmi les Français et, d’abord dans notre jeunesse. Il y a là des faits qui dominent notre existence nationale et doivent, par conséquent, commander nos institutions.
La nécessité de rénover l’agriculture et l’industrie, de procurer les moyens de vive, de travailler, de s’instruire, de se loger à notre population rajeunie, d’associer les travailleurs à marche des entreprises, nous pousse à être, dans les affaires publiques, dynamiques et expéditifs. Le devoir de ramener la paix en Algérie, ensuite, celui de la mettre en valeur, enfin de régler la question de son statut et de sa place dans notre ensemble nous imposent des efforts difficiles et prolongés. Les perspectives que nous ouvrent les ressources du Sahara sont magnifiques, certes, mais complexes. Les rapports entre la métropole et les territoires d’outre-mer exigent une profonde adaptation. L’univers est traversé de courant qui mettent en cause l’avenir de l’espèce humaine et portent la France à se garder tout en jouant le rôle de mesure, de paix, de fraternité, que lui dicte sa vocation. Bref, la nation française refleurira ou périra suivant que l’Etat aura ou n’aura pas assez de force, de constance, de prestige pour la conduire là où elle doit aller.
Un arbitre national au-dessus des luttes politiques.
C’est donc pour le peuple que nous sommes, au siècle, et dans le monde où nous sommes, qu’a été établi le projet de Constitution. Que le pays puisse être effectivement dirigé par ceux qu’il mandate et leur accorde la confiance qui anime la légitimité. Qu’il existe, au-dessus des luttes politiques, un arbitre national, élu par les citoyens qui détiennent un mandat public, chargé d’assurer le fonctionnement régulier des institutions, ayant le droit de recourir au jugement du peuple souverain, répondant, en cas d’extrême péril, de l’indépendance, de l’honneur, de l’intégrité de la France et du salut de la République. Qu’il existe un gouvernement qui soit fait pour gouverner, à qui on laisse le temps et la possibilité, qui ne se détourne pas vers autre chose que sa tâche, et qui, par-là, mérite l’adhésion du pays. Qu’il existe un parlement destiné à représenter la volonté politique de la nation, à voter les lois, à contrôler l’exécutif, sans prétendre sortir de son rôle. Que gouvernement et parlement collaborent mais demeurent séparés quant à leurs responsabilités et qu’aucun membre de l’un ne puisse, en même temps, être membre de l’autre. Telle est la structure équilibrée que doit revêtir le pouvoir. Le reste dépendra des hommes.
Qu’un Conseil économique et social, désigné en dehors de la politique, par les organisations professionnelles et syndicales du pays et de l’outre-mer, fournissent au Parlement et au Gouvernement. Qu’un Comité constitutionnel, dégagé de toute attache ait qualité pour apprécier si les lois votées sont conformes à la Constitution et si les élections diverses ont eu lieu régulièrement. Que l’autorité judiciaire soit assurée de son indépendance et demeure la gardienne de la liberté de chacun. La compétence, la dignité, l’impartialité de l’Etat en seront mieux garanties.
Qu’entre la nation française et ceux des territoires d’outre-mer qui le veulent, soit formée une communauté au sein de laquelle chaque territoire va devenir un Etat qui se gouvernement lui-même, tandis que la politique étrangère, la défense, la monnaie, la politique économique et financière, celle des matières premières, le contrôle de la justice, l’enseignement supérieur, les communications lointaines constitueront un domaine commun dont auront à connaître les organes de la communauté : président, Conseil exécutif, Sénat, Cour d’arbitrage.
Ainsi, cette vaste organisation rénovera-t-elle l’ensemble humain groupé autour de la France. Ce serait fait en vertu de la libre détermination de tous. En effet, chaque territoire aura la faculté soit d’accepter par son vote au référendum la proposition de la France, soit de la refuser et, par là-même rompre avec elle tout lien. Devenu membre de la communauté, il pourra, dans l’avenir, après s’être mis d’accord avec les organes communs, assumer son propre destin indépendamment des autres.
Un délai de quatre mois.
Qu’enfin, pendant les quatre mois qui suivront le référendum, le gouvernement ait la charge des affaires du pays et fixe, en particulier, le régime électoral. De cette façon, pourront être prises, sur mandat donné par le peuple, les dispositions nécessaires à la mise en place des nouvelles institutions.
Voilà, Françaises, Français, de quoi s’inspire et en quoi consiste la Constitution qui sera, le 28 septembre, soumis à vos suffrages. De tout mon cœur, au nom de la France, je vous demande de répondre : oui !
Si vous ne le faites pas, nous en reviendrons le jour même aux errement que vous savez. Si vous le faites, le résultat sera de rendre la République forte et efficace, pourvu que les responsables sachent, désormais, le vouloir ! Mais il y aura aussi dans cette manifestation positive de la volonté nationale, la preuve que notre pays retrouve son unité, et, du coup, les chances de sa grandeur. Le monde, qui discerne fort bien quelle importance notre décision va revêtir pour lui-même, en tirera la conclusion. Peut-être l’a-t-il, dès à présent, tirée ! Un grand espoir se lèvera sur la France. Je crois qu’il est déjà levé !
Vive la République !
Vive la France ! »