Histoires de Paris

A chaque coin de rue de Paris, des histoires… souvent revues, réadaptées mais fascinantes

Histoires de place

Les hommages du Front populaire à la Statue de la République

Les hommages du Front populaire à la Statue de la République : fort ciment de la gauche, contre le fascisme !

 

Entre 1935 et 1939, pour les partis de la gauche, réunis au sein du Front populaire, la venue devant la Statue de la République au début du mois de février était essentielle. Comme nous le verrons, il s’agissait d’un moment fort de retrouvailles, mais marquant également les relations entre les partis politiques concernés par ce mouvement.

 

L’origine de manifestation

Tout démarre en réalité en 1934. Le 6 février exactement ! Ce jour-là, Paris fut le théâtre de manifestations houleuses faisant suite au limogeage du préfet de police. C’était également le moment de l’installation d’un nouveau gouvernement conduit par le radical Daladier.

De nombreux groupes de droite et d’anciens combattants appellent alors à se regrouper sur la place de la Concorde.

Au même moment, des ligues d’extrême droite se joignent aux réunions au pied de l’obélisque. Cependant, elles souhaitent profiter de l’occasion pour marcher ensuite sur la Chambre des Députés et faire un coup de force.  Elles placent des factions sur le chemin entre le Palais Bourbon et l’Hôtel de Ville, pour empêcher la circulation possible du gouvernement qui devait rejoindre les édiles de la ville de Paris, après le vote.

Ces ligues sont contrecarrées par la police, mais ne désarment pas et se lancent dans des émeutes par la suite.

 

En réaction avec cette journée, les partis de gauches appelèrent à des manifestations les 9 et surtout 12 février pour s’opposer aux tentatives de force de l’extrême droite. Le 12 février 1934, le Cours de Vincennes et la place de la Nation sont littéralement envahie par la foule, venue répondre l’appel des socialistes et des communistes.

C’est le souvenir de ces journées de contre manifestations que nous allons traiter ensuite. En effet, il se concrétisa par des grandes démonstrations autour de la Statue de la République au début février de chaque année.

 

L’appel à manifester en 1935

Dès 1935, le parti socialiste lance un appel aux « travailleurs de la région parisienne » de venir à 14 heures « déposer les fleurs du souvenir, place de la République ». C’est Léon Blum lui-même qui se charge de ce message, relayé par le Populaire. Les communistes sont également de la partie.

Cet appel s’inscrit dans la volonté de s’opposer au fascisme et défendre la République. Aussi, comme nous le verrons par la suite, ces journées de manifestation reprendront cet enjeu : lutter contre le risque de coup de force par l’extrême droite, tout en servant de point d’union entre les partis de gauche.

 

A noter qu’en 1935, on ne parlait pas encore de Front populaire mais de front commun. En tout état de cause, c’est un long cortège qui s’est rendu dans l’après-midi du 12 février, fleurir la statue.

 

Le fleurissement de la Statue de la République

Chaque début février entre 1935 et 1939, les partis de gauche vinrent en grand nombre sur la place de la République. On trouvait des représentants syndicaux, mais aussi de sociétés ouvrières, des municipalités de banlieue dirigées par la Gauche…

L’objectif était simple : venir déposer des monceaux de fleurs au pied de la statue. Rouges, comme on peut l’imaginer mais aussi dorées comme d’autres couleurs.

En 1936, le volume de fleurs déposé sur la statue était considérable.

Le Populaire, publication de la SFIO, la Section Française de l’Internationale Ouvrière, ancêtre du Parti Socialiste, écrivait le 10 février 1936 :

« A midi et demi, quand je traverse la place de la République pour me rendre au déjeuner des journalistes socialistes, des fleurs (roses, œillets et mimosas) jonchent déjà le soubassement de la statue de la République face à la rue du Temple.

A deux heures, quand je retraverse la place pour aller au rendez-vous fixé aux membres de la CAP, toute la partie du monument portant les bas-reliefs en bronze est déjà ornée de fleurs.

A trois heures moins vingt, quand la délégation de la CAP pénètre sur la place, les fleurs recouvrent les bas-reliefs.

A quatre heures moins vingt, quand nous sommes enfin arrivés (car il nous fallut une heure pour faire le tour de la moitié de la place, tellement l’affluence était dense), les fleurs ont déjà atteint les pieds de la statue elle-même et c’est à ses pieds que sera déposée la couronne que nous tendons aux organisateurs et qui portent comme inscription : le Conseil national du Parti Socialiste.

Ainsi, d’heure en heure, couronnes, gerbes et bouquets ont mis leur parure toujours plus variée et plus épaisse aux pierres et aux bronzes qui servent de socle à la République – elle-même sombre et raide-, sur cette jonchée montante, faite de l’or des mimosas et du sang des roses et des œillets. »

 

Des journées non autorisées par la police

Il se trouve qu’en 1935 et 1936, ainsi qu’en 1939, ces journées de manifestations n’étaient pas vraiment autorisées. Aussi, pas de possibilité officielle de manifestation. C’était donc à titre individuel que les « travailleurs » pouvaient venir déposer leurs fleurs devant la Statue de la République.

Les chants et les slogans étaient interdits. Comme on peut se l’imaginer, les militants prirent un grand plaisir à détourner cet état de fait, en reprenant la Marseillaise, tout en ne pouvant s’empêcher d’entonner ensuite certains couplets de l’Internationale.

En tout état de cause, la police était présente en nombre, plus ou moins complaisante avec les manifestants. En 1939, les communistes regrettèrent largement les actions de certains commissaires, cherchant à limiter le mouvement. En 1935 et 1936, l’ambiance était davantage bonne enfant, au grand dam des journaux d’extrême droite, pour qui la commémoration du 6 février était importante.

Mais, malgré cette situation, la foule avait envahi l’ensemble de la place de la République lors de ces journées.

 

Des défilés tournant sur la place

Comme nous l’avons indiqué ici, le but de ces journées étaient de fleurir la statue. Aussi, les groupes qui arrivaient de toute part sur la place de la République cherchaient à la rejoindre pour ensuite se disperser.

Suivant les années, on avait organisé plusieurs chemins pour permettre ces dépôts, soit au-devant de la statue, soit en arrivant par derrière.

 

« On décide alors d’organiser deux cortèges, l’un continuant à passer devant la statue, l’autre la contournant.

Avec cette discipline admirable des foules ouvrières, il en fut fait ainsi et désormais, ce seront deux longs anneaux humains, qui, venus des boulevards Beaumarchais et Voltaire, et de l’avenue de la République, serpenteront le long de la place.

C’est exactement à cette heure-là, que l’afflux populaire se fait le plus intense. Nos camarades débouchent de toutes les artères convergentes. Les bouches du métro vomissent un flot sans cesse plus pressé et les autobus arrivent tous complets.

Un des chefs du service d’ordre officiel s’en aperçoit d’ailleurs tout de suite, qui donne l’ordre d’arrêter la circulation des véhicules aux environs immédiats de la statue.

C’est l’heure aussi où les artistes qui vêtent la République d’un manteau où domine le rouge couronnent, aux applaudissements du peuple qui passe, les allégories flanquant le fût.

Il est matériellement impossible de citer, ici le nom des militants. Ils étaient si nombreux que tenter de les compter eût équivalu à dénombrer les étoiles dans le ciel. »

 

 

Mais bon, il fallait s’armer de patience pour rejoindre le but final. Tous étaient soumis à la même enseigne. Ainsi, en 1936, le groupe auquel participait Léon Blum du faire le tour sur la place. Ce n’était pour le déplaisir des leaders socialistes, comme communistes. Ils pouvaient ainsi constater leur popularité auprès des manifestants.

 

« Il fallut cinquante-cinq minutes à la petite troupe pour arriver devant la statue. Tout au long du passage, des cris ne cessèrent de fuser : Vive Blum ! Vive Blum ! »

 

Des manifestations fortes pour l’unité du Front Populaire

Ce qui est frappant dans les revues de presse, c’est l’usage réalisé par ces manifestations comme lien entre les partis du Front populaire.

« Unité ! Unité ! » Ce cri revenait souvent dans la foule.

Ces cris revenaient encore en 1939, après la fin du Front Populaire. L’Humanité rapporte le 13 février 1939

« Malgré les défaillances, on retrouvait là des communistes, des socialistes, des syndiqués, des anciens combattants, des radicaux, des républicains, des intellectuels, des ouvriers, des artisans, des classes moyennes, des anciens combattants fraternellement groupés comme au premier jour du Rassemblement Antifasciste. »

Léon Blum participa une fois encore au mouvement cette année-là, salué par des communistes.

A cette même époque, la guerre d’Espagne est dans l’esprit des manifestants, qui appellent à soutenir les républicains alors en grande difficultés face aux forces de Franco.

 

Un tableau ?

Terminons par cette anecdote de la manifestation de 1936.

« Un couple. Elle, jeune, élégante : manteau noir, cravate d’astrakan, toque d’astrakan.

Lui, la tenant par le bras et commentant le spectacle populaire.

‘Que de monde ! Regarde la statue. Toutes ces fleurs, toutes ces couronnes ! Ça ferait une belle peinture. Et la femme de souligner :

‘Oh ! Oui, Robert ! Et ce qu’il y a de remarquable, c’est leur air de fête à tous.

Eh ! oui, passante sympathique. Les travailleurs acclament la République, sans contrainte, avec joie, naturellement.

Car elle est leur œuvre. ».

Cette remarque fait bien sûr penser aux tableaux post impressionnistes suivant le mouvement ouvrier. Les couleurs des fleurs sur la Statue de la République devaient donner une ambiance à nulle autre pareil. Maximilien Luce, mais aussi Jules Adler, Léonie Humbert Vignot se firent remarquer par des peintures de grève. Mais tout ça c’est une autre histoire !

 

Sources bibliographiques :

 

L’appel à manifester de Léon Blum le 11 février 1935

« Honneur à tous ceux qui sont tombés dans la lutte contre le fascisme

Travailleurs de la région Parisienne, venez à partir de 14 heures, déposer les fleurs du souvenir place de la République

Anniversaire 

L’émeute fasciste du 6 février n’avait pas atteint son but matériel : le Palais-Bourbon qu’il s’agissait de brûler comme le Reichstag, après avoir jeté les députés socialistes, communistes et républicains dans la rivière. Elle avait atteint en grande partie son objet politique. Le ministère était balayé, la majorité renversée, la volonté du Suffrage universel déchirée. Un gouvernement dit d’Union national était porté au pouvoir sous la direction des ‘hommes de confiance’ de l’émeute, MM Doumergue et Tardieu.

Mais, pour la réaction fasciste, la journée du 6 février n’était qu’un commencement, qu’une étape. Après le premier succès, elle comptait bien en marquer d’autres. C’est d’ailleurs ce que proclamait publiquement le plus prolixe de ses chefs, M. le colonel comte de la Roque. Elle n’avait pas fait son coup d’Etat d’un coup, mais elle était résolue à l’exécuter par temps décomposés. Qui pouvait lui barrer la route, quel obstacle pouvait-elle rencontrer dans sa marche ? Le ministère ? L’homme qui le présidait était son homme, et il l’a bien montré par la suite ; il était acquis tout entier à la restauration du pouvoir personnel. Le Parlement ? Il avait été réduit au discrédit et à l’impuissance. L’opinion publique ? La presse complice se chargeait de l’abuser et de la pervertir.

L’entreprise fasciste avançait dont vers un dénouement assuré et la République était perdue… sans le mouvement populaire du 12 février.

Sans le 12 février, la France était prise dans l’engrenage du fascisme ; elle était entraînée vers un sort semblable à celui de l’Allemagne ou plutôt de l’Autriche. Sans le 12 février, les « libertés démocratiques » étaient vidées progressivement de leurs substances et la réaction autocratique, militariste, cléricale se réinstallait en maîtresse dans la nation qui l’avait vaincue la première, et qui croyait l’avoir brisée pour toujours.

Ce que le mouvement du 12 février a eu de vraiment admirable, c’est son absolue spontanéité. Le peuple français s’est levé de lui-même. Personne n’a eu besoin de lui montrer le danger, personne n’a eu besoin de lui désigner le devoir. Il a compris et il a agi. Ce qui fait le mieux sentir la spontanéité de ce sursaut, c’est sa généralité.

A Paris, ce fut l’inoubliable spectacle du Cours de Vincennes et la place de la Nation, tout cet océan humain déferlant autour de nos drapeaux rouges, avec une puissance tranquille. Mais il n’est pas une grande ville en France qui n’ait eu son Cours de Vincennes et sa place de la Nation. L’élan ne s’est pas arrêté aux grandes agglomérations urbaines ; il a gagné les petites cités tranquilles de la province, les villages de la campagne. La grande lame sortie du fond des volontés populaires s’est étalée en un instant sur toute la France.

La force de cet élan a créé entre toutes les organisations des travailleurs une discipline soudaine et naturelle. Les comités de vigilance, les centres de liaison anti-fascistes sont sortis partout du sol. Le Parti Socialiste pour ne parler que de lui avait décidé une manifestation de masse pour le jeudi 8. Il la reportait au lundi 12 dès qu’il était avisé de la décision de la CGT, ordonnant pour cette date une grève générale de vingt quatre heures. La grève générale et la manifestation s’assemblaient ainsi l’une dans l’autre, pour se fortifier l’une par l’autre et pour imprimer à la journée un caractère plus puissant. Dans le même esprit, le Parti Communiste s’associait à l’appel du Parti Socialiste, la CGTU s’associait à l’ordre de la CGT. Tous marchaient de concert. L’unité des volontés populaires avait imposé ce que l’on a nommé plus tard, l’unité d’action.

Les masses ouvrières, paysannes et même bourgeoises, avaient voulu parce qu’elles avaient compris. Pour asservir un peuple, il faut d’abord le tromper, et le peuple français s’est rebellé contre la tentative d’asservissement parce que l’intelligence politique est chez lui un don naturel, cultivé par une éducation maintenant séculaire. Le peuple français comprend ce que signifie la liberté, et il est d’autant plus résolu à la défendre qu’il a acquise par son propre effort. Personne ne lui en a fait cadeau ; il l’a prise et conservée de ses mains ; il l’a payée par cent cinquante ans de lutte et de sacrifice. Elle n’est pas seulement son bien, elle est son œuvre. Chaque qu’au cours de notre histoire, les libertés démocratiques ont été mises en péril, ce sont les masses populaires qui les ont sauvées, et on ne les sauvera jamais autrement.

A ces vérités traditionnelles, la journée du 12 février est venue ajouter une preuve éclatante. Elle a arrêté net l’entreprise fasciste. Elle a rompu l’audace confiante des conjurés. Elle a commandé le développement logique des faits qui se sont déroulés à sa suite. Elle a déterminé la reconstitution des forces républicaines, la conclusion du pacte d’unité d’action entre les partis ouvriers. Elle a permis de jeter bas le gouvernement complice de l’émeute. Voilà pourquoi, si les circonstances nous y appellent, nous sommes prêts à la renouveler avec une force encore agrandie

Léon Blum »