Les entrepôts de vin de Bercy envahis par la crue de janvier 1910
Les entrepôts de vin de Bercy envahis par la crue de janvier 1910 : quand l’eau prend le chemin des barriques
Situés en amont, où la Seine entre dans Paris, les entrepôts de Bercy occupaient une large partie des quais. Le quartier de la Cour Saint Emilion garde encore le souvenir de cette large activité du XIXe et du début du XXe siècle. En effet, pendant plusieurs décennies, le vin venu de Bourgogne était apporté et déchargé ici après son transport par le fleuve. Tout le quartier vivait au rythme du vin et de son approvisionnement.
A proximité de la Seine, les entrepôts de vin de Bercy furent très vite et très fortement impactés par la crue de 1910.
Un espace très sensible aux inondations
Le lieu était dédié au déchargement des bateaux et le transport des barriques vers les entrepôts. Aussi, les berges étaient plutôt basses, afin de faciliter cette activité. Elles montaient ensuite progressivement. De ce fait, l’espace était très sensible aux variations de la Seine.
Déjà, début décembre 1909, lorsque la Seine donna quelques alertes, les bas entrepôts de Bercy furent touchés. Rapide compte rendu du Petit Journal du 8 décembre 1909 :
« Les bas ports en amont se retrouvèrent submergés. Par ailleurs, les entrepôts de Bercy se retrouvèrent inondés également. On y fut surpris et on dut laisser des futs sur les quais inférieurs. »
Dans ce contexte, pas de surprise de voir dés le début de la crue centennale que ces entrepôts sont de nouveau touchés. Surtout que l’eau montait très vite. Dans ses colonnes, la Petite République rapporte le 21 janvier 1910 :
« Les conséquences de cette crue aussi rapide seront assez graves. C’est ainsi qu’à Bercy, les entrepôts furent surpris par l’élévation subite des eaux, et que celles-ci entraînèrent de nombreux fûts à la dérive. »
Rapide dégradation de la situation
Les jours qui suivent marquent pour les entrepôts de Bercy une forte montée de la Seine. Le Petit Parisien rapporte le 22 janvier 1910 :
« C’est à Bercy que la situation est la plus critique. Les berges, sur lesquelles sont rangées des énormes quantités de fûts, sont complètement submergées et les tonneaux sont emportés à la dérive. Des ouvriers se multiplient pour en sauver le plus possible.
L’entrepôt des vins est encore indemne mais on éprouve les plus vives inquiétudes. En effet, les deux tunnels qui conduisent au quai et sous lesquels on roule les muids qu’on décharge des bateaux sont complètement inondés. Par ces tunnels, l’eau peut gagner d’un moment à un autre l’entrepôt, noyer les caves, inonder les bureaux, causer d’énormes préjudices aux négociants en vins. Aussi, une pompe est installée depuis midi devant chaque tunnel. »
Une zone totalement noyée
Ces tunnels, permettant de faciliter les transports des barriques, se révèlent alors être un grand piège. Toute la zone est entièrement touchée, comme l’écrit le Figaro du 23 janvier 1910.
« Sur les berges, c’est le désastre. A droite et à gauche, on se hâte pour sauver, ici, les sacs de ciment amarrés et dont les piles entières sont déjà submergées, perdue ; là, les barriques de vin et d’alcool, dont beaucoup ont sombré. Pour les rouler sans dommage, on a recouvert de paille les rampes qui conduisent des berges aux entrepôts. Les ouvriers se multiplient, admirables de dévouement. On dirait ici un concours de rouleurs de tonneaux ; là, une lutte de « forts » qui, bras nus, et tout blancs de ciment, trottent, pressés, hardis et habiles sur les planches qui relient au quai les piles de sacs de plâtre en perdition.
Quelques jours plus tard, la structure même des quais est en risque. La Petite République rapporte le 26 janvier 1910 : « Mais la situation est particulièrement grave à Bercy, dont les entrepôts sont envahis par les eaux et dont les quais menacent de s’écrouler. »
Des barriques qui sont emportées par le courant
Rapidement, les flots de la Seine charrient, avec leur fort courant, de nombreuses barriques.
« Des caves inondés de Bercy, des docks des magasins généraux, les barriques sont emportées par l’eau, charriées tout le long du fleuve. » La Lanterne du 24 janvier 1910
« Sous nos yeux, des barriques sont entraînées vers le vieux pont en pierre de l’Archevêché. Deux des voûtes de ce pont ont de l’eau jusqu’à la clef. La partie supérieure de la voûte centrale n’est pas encore atteinte par les flots, mais il s’en faut de bien peu. Les barriques heurtent les arches de ce pont avec un bruit formidable qui, à défaut d’autres éléments, suffirait à donner une idée de la force du courant. » Le Petit Parisien du 27 janvier 1910
On rapporte également des scènes surprenantes : des riverains profitent de ces barriques pour se construire des barques :
« Pourtant, il y a encore des habitants qui continuent à rire, à faire la nique au danger. L’un d’eux s’est construit une barque avec trois demi-barriques, et il la manie en marinier consommé, comme s’il jouait dans un ruisseau. » Le Matin du 26 janvier 1910
Dans ce contexte, les marchandises sont totalement perdues. Il ne reste qu’à attendre, espérant que les structures ne souffrent pas trop du dommage.
Sources bibliographiques :
- Le Petit Journal du 8 décembre 1909
- La Petite République du 21 janvier 1910
- Le Petit Parisien du 22 janvier 1910
- Le Figaro du 23 janvier 1910
- La Lanterne du 24 janvier 1910
- Le Matin du 26 janvier 1910
- La Petite République du 26 janvier 1910
- Le Petit Parisien du 27 janvier 1910