Histoires de Paris

A chaque coin de rue de Paris, des histoires… souvent revues, réadaptées mais fascinantes

Histoires de place

La grande inauguration de la Statue de la République

La grande inauguration de la Statue de la République : sous les vivats de la foule et des sociétés ouvrières.

A la fin des années 1870, Paris trouvait qu’elle ne comportait pas suffisamment de représentations de la République. Aussi, elle se lança dans l’organisation de plusieurs concours pour renforcer cette statuaire. C’est ainsi que naquit la grande Statue de la République.

Il avait été décidé dès le début qu’elle devait être de très grand format, fondue en bronze aux frais de la Ville de Paris. Les parisiens avaient pu déjà voir le modèle lors du 14 juillet 1880, quelques semaines après avoir été choisi par le jury dédié.

Pour le 14 juillet 1883, tout était prêt pour la grande inauguration !

Une fête bien matinale

Cette année-là, le 14 juillet tomba un samedi. Cela ne dissuada pas une grande foule de se lever avec le soleil estival pour rejoindre la place de la République. Le Petit Journal du 16 juillet 1883 nous raconte cette ambiance :

« Dès sept heures du matin, par un soleil splendide qui promettait une journée superbe, toutes les sociétés qui devaient assister à l’inauguration de la statue de la République ont commencé à sillonner les rues de Paris, toutes plus pavoisées les unes que les autres.

A huit heures, les abords de la place de la République étaient envahis par la foule.

Des gardiens de la paix maintenaient la chaussée libre sur la place, avec l’aide des gardes municipaux à cheval.

Au fur et à mesure de leur arrivée, les sociétés allaient se poster boulevard Voltaire, avenue de la République et boulevard Richard Lenoir, à l’emplacement qui leur avait été assigné. »

 

Une foule immense

Une foule présente et organisée dès 7 heures du matin. Il faut dire que la cérémonie d’inauguration était prévue à partie de 9 heures…

L’Intransigeant du 16 juillet 1880 rapporte :

« Dès six heures du matin, les abords de la place sont déjà envahis par la foule. Bientôt, arrivent les gardes de Paris, chargés de dégager les abords de la statue, pour permettre aux invités de se grouper sur l’estrade qui a été dressée au pied du monument. La circulation est interdite sur les boulevards accédant à la place, par lesquels doit avoir lieu le défilé. »

Le Petit journal complète.

« Les fenêtres, toutes garnies de drapeaux, étaient bondées de curieux.

Les mâts, ornés de longues barrières tricolores et reliés par une double rangée de ballons oranges, formaient un dais triomphal pour le passage du défilé. »

Tout le quartier était bondé ! L’Intransigeant poursuit :

« Peu à peu, les fenêtres donnant sur la place se garnissent de curieux : les balcons deviennent trop étroits ; on monte sur les toits, on s’accroche aux saillies, aux cheminées. De toutes les rues, de toutes les avenues, débouche une foule immense.

La place devenant bientôt trop petite, on se masse rue Turbigo, boulevard du Temple, boulevard Magenta, boulevard Saint Martin, rue du Faubourg du Temple, boulevard Voltaire ; enfin, partout où l’on peut apercevoir la statue. Ce n’est, de tous côtés, qu’une véritable fourmilière humaine. On se presse, on cherche à voir, pour la saluer au moment de son apparition, l’effigie de la République. Mais combien, dans cette foule compacte, n’auront même pu l’apercevoir. »

Une fête principalement municipale

La Ville de Paris avait organisé elle-même le concours pour l’édification de la statue. Elle avait pris à sa charge son élaboration. Ainsi, c’est le conseil municipal de Paris qui se chargea de son inauguration. L’Etat était représenté par le préfet de la Seine. Les membres du gouvernement avaient préféré éviter la cérémonie, ce qui ne manqua pas d’attirer de la raillerie des opposants au régime.

Le Petit Journal écrit :

« Le bureau du conseil municipal est arrivé par la rue du Temple, précédé de ses huissiers, à neuf heures ; un peu après, M. Oustry, préfet de la Seine, qui a représenté seul le gouvernement à cette cérémonie, M. Jules Ferry n’ayant pas cru devoir y assister.

Les membres du conseil municipal, les personnages officiers invités à l’inauguration, ont aussitôt pris place sur une estrade élevée au pied du monument. »

L’Intransigeant complète :

« Dès que les invités ont pris place sur l’estrade, toute la foule pousse un immense cri de Vive la République ! La fanfare des artilleurs de Vincennes, placée derrière le monument, exécute divers morceaux de son répertoire. »

Les nombreux participants, même s’il est peu probable qu’ils ne les aient vu ni entendu, purent ensuite écouter les discours de M. Mathé, président du conseil municipal de Paris, et de M. Oustry, préfet de la Seine.

L’inauguration en tant que tel

Juste après son discours, le préfet de la Seine donna au sculpteur Léopold Morice la croix de la Légion d’honneur auteur du monument, ainsi qu’à Jules Dalou qui avait réalisé les bas-reliefs tout autour. A Charles Morice, architecte du piédestal, reçu les palmes académiques.

La statue de la République avait été recouverte d’un grand voile. L’Intransigeant décrit alors :

« Sur un signal donné par l’ingénieur chargé des travaux, des ouvriers montent sur le monument au moyen d’une échelle de corde amarrée à la statue. En un clin d’œil, le voile qui la couvrait tombe et la République apparaît. 

Toutes les têtes se découvrent, la musique entonne la Marseillaise, les clairons, les tambours battent aux champs, le cri de Vive la République s’échappe de toutes les poitrines. »

La statue qui se dévoile alors.

Le Petit journal du 16 juillet nous décrit alors le monument :

« La statue, inaugurée hier, et dont nous avons fait la description à diverses reprises déjà en donnant ses dimensions produit le plus bel effet.

Elle est place sur un piédestal immense de 15m50 de hauteur et domine toute la vaste place du Château d’eau.

Les proportions du monument sont admirablement gardées.

La République élève dans sa main droite un rameau d’olivier, signe de paix ; sa main gauche repose sur les tables des Droits de l’homme.

Autour de la colonne, sur laquelle, elle est dressée, reposent trois statues en pierre blanche, ayant des qualités très expressive et personnifiant la liberté, l’égalité et la fraternité.

Le soubassement porte un motif d’une heureuse inspiration : un lion, haut de quatre mètres, symbolisant le peuple issu de 1789, gardien du suffrage universel.

Aux pieds de la statue, se trouvent les armes de la Ville de Paris ; plus bas, on lit l’inscription suivante : A la gloire de la République française, la ville de Paris. 1883.

On sait que douze bas-reliefs doivent orner le piédestal du monument. Six seulement ont pu être mis en place. Ce sont : 1° la prise de la Bastille, 2° l’abandon des privilèges, 3° le serment du Jeu de paume, 4° la proclamation de la République en 1848, 5°, le 4 septembre 1870, 6° la fête nationale du 14 juillet. »

Le défilé

Ensuite, un véritable défilé se met en place pour aller saluer la statue. Laissons le Petit Journal décrire le moment :

« Le défilé des groupes, sociétés et corporations devant la statue de la République a commencé vers neuf heures et demie.

En tête, venait le bataillon scolaire du premier arrondissement, avec tambours et clairons, le seul que le comité d’organisation de la fête ait cru devoir faire figurer à la cérémonie, par suite de la fatigue que l’éloignement de certains quartiers aurait occasionnée aux enfants composant les autres bataillons scolaires.

La foule ne lui a pas marchandé les applaudissements tout le long de la route qu’il a parcouru.

La famille des proscrits de 1851 – 58 ouvrait la marche derrière le bataillon scolaire, suivie de l’Harmonie des ateliers Lemaire, du groupe fraternel républicain des anciens défenseurs de la Patrie, de l’Harmonie des Enfants de la Nation et des membres de l’Institut colonial et maritime de France.

Puis venaient les sociétés d’Alsace Lorrain chaleureusement acclamées.

Le défilé a présenté le coup d’œil le plus pittoresque au moment du passage des sociétés de gymnastiques, marchant ensuite.

Il y en avait vingt-deux, tant de Paris que de banlieue. Leurs uniformes de toutes les couleurs donnaient au défilé un aspect bariolé très séduisant.

L’Indépendante du dixième arrondissement ouvrait la marche des sociétés militaires et patriotiques. Une jeune fille, personnifiant la République, était portée par quelques-uns de ses membres, sur un pavois aux couleurs nationales.

La société des volontaires de 1870 a été une des plus applaudies grâce à la présence de Mme Jarthout, l’héroïque vivandière de Chateaudun, sur la poitrine de laquelle brillait la croix de la Légion d’honneur.

Les délégations des chambres syndicales, des sociétés de boulangers, des sociétés ouvrières, au nombre de quarante-deux, continuaient le cortège.

Soixante-quinze sociétés ont, en outre, défilé par groupe dans l’ordre suivant : sociétés étrangères, sociétés de la libre pensée, maçonniques, industrielles, coloniales, politiques, de prévoyance et de secours mutuels, artistiques, tant de Paris que des départements.

Il y avait en tout 170 sociétés, groupes ou corporations, et 25 musiques ou orphéons ; c’est-à-dire 10 000 personnes environ. » 

La participation des sociétés ouvrières

Ce qui est très intéressant dans cette inauguration, c’est la forte mobilisation des sociétés et des corporations ouvrières.

Quelques jours auparavant, la presse faisait l’écho de ces appels. Le Rappel du 14 juillet 1883 écrivait :

« Le syndicat de Paris Nord de l’association fraternelle des employés des chemins de fer français a, dans sa séance du 11 juillet, décidé d’inviter tous les sociétaires de l’Association fraternelle présents à Paris, à assister à l’inauguration de la statue de la République.

La chambre syndicale des ouvriers cimentiers prie toute la corporation, compagnons et garçons (sociétaires ou non) de vouloir bien se rendre le 14 juillet, jour de la fête nationale, à sept heures du matin, pour escorter la bannière qui doit assister au défilé de toutes les corporations, qui se fera pour les manifestations de ladite fête.

On se réunira 9, rue Saint Paul. En cas de retard, rejoindre la place de la République.

La société des coupeurs-chemisiers, faux cols et cols cravates réunis invite toute la corporation à venir se grouper sans sa bannière pour l’inauguration de la statue de la République. La réunion aura lieu salle Horel, rue Aumaire, à sept heures du matin. On partira à sept heures et demie précises pour prendre la place qui est réservée à la société.

La chambre syndicale des ouvriers couvreurs, plombiers, zingueurs invite tous ses retardataires et toute la corporation à bien vouloir se joindre à elle pour l’inauguration de la statue de la République.

On se réunira le 14 au matin, au siège social, rue Vieille du Temple, 129, à 7 heures et demie.

La chambre syndicale ouvrière de l’industrie des cuirs et des peaux convoque tous ses membres en réunion extraordinaire le 14 juillet à sept heures précises du matin, rue du Petit Thouars, 6, pour aller saluer la statue de la République, la seule idole que nous devons vénérer.

Les ouvriers parqueteurs sont invités à se réunir samedi matin, à huit heures très précises, au marché aux fleurs, en face le tribunal de commerce. »

Ainsi, malgré le nouveau régime, malgré la Révolution, les métiers continuaient à se regrouper et défiler, comme du temps des Six Corps. Bien sûr, les corporations anciennes avaient disparu, mais un certain esprit restait…

Sources bibliographiques :

Discours de M. Mathé, président du conseil municipal de Paris

Messieurs,

En venant au nom du conseil municipal de Paris, saluer l’image de la République, j’ai pour pouvoir devoir de rendre un éclatant hommage à la mémoire des citoyens courageux qui n’ont cessé de lutter pour elle et qui sont morts pour sa défense.

Héritiers du passé, pleins de confiance dans l’avenir, en élevant ce monument, nous avons voulu, une fois de plus, affirmer notre profond dévouement à la République et notre foi dans la liberté.

Il y aura bientôt un siècle, un an après la prise de la Bastille, les conquêtes de la Révolution se trouvaient menacées, du nord au midi, de l’est à l’ouest, il n’y eut qu’un cri, qu’une volonté : résister aux menées monarchiques, défendre la constitution nouvelle ; alors Paris assista à la mémorable fête de la Fédération du 14 juillet 1790.

De tous points de la France, on vint saluer l’aurore de la liberté.

Aujoud’hui, nous n’avons plus les mêmes criantes, la République existe ; des partis hostiles peuvent l’attaquer, mais elle n’a rien à redouter parce qu’elle a pour bases le suffrage universel et la souveraineté du peuple.

Vous allez assister, Messieurs, à une nouvelle fête de la Fédération ; vous ne verrez pas défiler devant vous des visages inquiets de l’avenir, mais de vaillants citoyens qui ont confiance dans les institutions républicaines, qui seules pourront leur apporter des réformes politiques et sociales trop longtemps attendues.

Les sentiments que j’exprime sont ceux de la population parisienne : ne pouvant toute entière assister à cette fête, elle a tenu à s’y faire représenter par un grand nombre de délégations qui, tout à l’heure, viendront, en son nom, rendre hommage à cette République qui lui est chère.

En voyant éclater au grand jour ses convictions républicaines, qui reposent sur la paix, le travail et la liberté, vous serez convaincus qu’on doit avoir pleine confiance dans cette grande cité.

Sans vouloir porter atteinte à l’unité nationale, Paris, par son passé et par son initiative constante dans la voie du progrès, a conquis le droit de réclamer ses franchises municipales.

Un autre sentiment s’impose à nos réflexions en face de cette statue, symbole de l’union de tous les citoyens.

Nous aurions été heureux que cette fête fût marquée par un grand acte de clémence et de pacification.

Au nom du conseil municipal de Paris, j’adresse mes vives félicitations à MM. Morice qui après quatre années d’un travail assidu et pénible, ont doté la ville de Paris de l’œuvre que vous admirez en ce moment ; je félicite aussi l’habile fondeur, M. Thiébault, et les intelligents travailleurs qui ont collaboré à son exécution.

La grande cité républicaine devait prendre l’initiative de l’érection de la première statue de la République.

Son œuvre est terminée et, au nom de la population parisienne, nous la remettons à la France, comme gage inaltérable de l’union qui ne doit cesser d’exister entre les départements et Paris.

Vive la République !

Discours de M. Oustry, préfet de la Seine

Messieurs,

L’inauguration d’une statue monumentale de la République à Paris ne répond pas seulement au sentiment de la grande ville ; c’est une fête nationale à laquelle s’associe la France entière.

En juillet 1789, la nation répétait ce cri de la délivrance poussé par les vainqueurs de la Bastille. Sa souveraineté s’élevait sur les ruines de l’absolutisme.

De même aujourd’hui, dans les flots humains qui se pressent autour de la statue de la République, et la saluent de leurs acclamations se trouvent des citoyens venus de tous les points du territoire.

Moins d’un siècle a suffi pour assurer le triomphe de la grande Révolution et pour que nous soyons arrivés, à travers de nombreuses vicissitudes à l’application de ses principes.

En 1793, le peuple de Paris, emporté par un irrésistible élan vers la liberté, avait hâte d’en finir avec un régime qui ruinait et opprimait la nation. Il lui fallait avant tout renverser et détruire ; aujourd’hui, au contraire, c’est une œuvre de reconstruction que nous poursuivons ; notre désir le plus ardent est de fonder définitivement l’édifice républicain, de le perfectionner, de le rendre toujours plus digne de la France et de ses aspirations élevées.

Ce peuple, si héroïque au jour de la lutte, si terrible dans ses colères, a définitivement posé les armes en voyant disparaître les dernières causes de ses ressentiments

Aussi a-t-il voulu que la République qu’il honore se dépouillât de ses anciens attributs, qu’elle répudiât sa devise d’autrefois et qu’elle se présentât à la France et au monde calme et fière, tenant à la main le rameau, symbole de la paix et de la concorde.

Nous en avons fini pour toujours avec la violence : le suffrage universel, cette grande conquête de 1848, a remplacé l’action révolutionnaire.

La République actuelle doit puiser sa force là même où elle prend son origine : dans le droit.

C’est cette pensée qu’a très bien traduite l’auteur du monument que nous inaugurons, lorsqu’il a donné pour appui à la République la table sur laquelle est gravée la déclaration des droits de l’homme, l’expression la plus élevée que nous connaissions du sentiment démocratique, l’expression la plus complètes des principes qui doivent régir les rapports des hommes vivant en société : égalité des citoyens, liberté individuelle, liberté de conscience, liberté de la presse et de la parole, inviolabilité de la propriété, respect du travail et des droits d’autrui, droits et devoirs se trouvent réunis dans les dix sept articles dont se compose ce mémorable monument.

Telle est, Messieurs, la République que M. Morice a conçu l’image et à laquelle le conseil municipal de la ville de Paris a donné ses préférences ; ainsi comprise, ainsi pratiquées ; la République poursuivra paisiblement ses destinées, dédaignant les clameurs et les menaces impuissantes de ses adversaires.

La nation française ne veut pas imposer sa volonté aux autres peuples ; elle demande seulement à vivre chez elle, libre et respectée, et aucun sacrifice ne lui coûtera pour maintenir son indépendance.

Elle a acquis assez de gloire sur les champs de bataille pour ne pas chercher de nouveaux combats.

On sait qu’elle trouvera dans son travail, dans les qualités de son génie, les conditions nécessaires pour tenir glorieusement son rang dans le monde et contribuer puissamment au progrès de l’humanité.

Ces sentiments, Messieurs, ont certainement inspiré l’œuvre remarquable du jeune statuaire, il se dégagent de la solennité présente, ils nous unissent dans un même vœu pour la grandeur de la patrie, et nous font pousser la même acclamation : Vive la République.

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